L’aide fatale, de Dambisa Moyo

Dans L’Aide fatale, Dambisa Moyo montre que l’Afrique n’est pas condamnée à vivre à la traîne et à subir les pires fléaux de l’humanité.

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L’aide fatale, de Dambisa Moyo

Publié le 17 novembre 2013
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Par Johan Rivalland

Enfin un ouvrage majeur qui ose montrer ce qui n’est pas bon à dire : que l’aide au développement, loin d’aider, au contraire appauvrit dramatiquement les pays d’Afrique.

La démonstration est sans appel et, une fois n’est pas coutume, vient d’une zambienne, qui sait de quoi elle parle et s’appuie, pour cela, sur de nombreux rapports, chiffres, éléments avérés et du quotidien sur le terrain.

Alors, pourquoi ce constat étonnant, qui ne manque pas de donner lieu à polémique ?

Pour commencer, la personnalité de l’auteur n’est pas anodine :

« Je pense que le fait que cet ouvrage préparé, nous dit l’auteur, pendant plusieurs années, soit celui d’une Africaine a beaucoup plus d’impact et mérite une particulière attention ».

Comme l’insinue Niall Fergeson dans l’avant-propos, « Depuis les économistes jusqu’aux stars du rock (Bono, Bob Geldof), on observe une colonisation de la discussion sur l’Afrique comparable à celle du continent africain un siècle plus tôt ».

Femme exceptionnellement qualifiée, d’expérience et ayant vécu longuement en Zambie avant de voyager à travers le monde, Dambisa Moyo montre que « l’assistance a été et continue d’être, pour la plus grande partie du monde en développement, un total désastre sur le plan politique, économique et humanitaire ».

Et d’ajouter, amère :

« L’un des aspects les plus déprimants de ce fiasco de l’aide est que donateurs, politiciens, gouvernements, universitaires, économistes et spécialistes, tous savent, au plus profond d’eux-mêmes, que l’aide ne marche pas, qu’elle n’a jamais marché et qu’elle ne marchera pas ».

Après avoir étayé ses arguments pas un ensemble de chiffres et faits très significatifs, l’auteur remonte alors à Bretton Woods et la création de la Banque mondiale, le FMI puis l’OMC. Elle rappelle qu’après la reconstruction, ces institutions se sont reconverties dans l’aide, mais surtout au départ dans un but hégémonique, dans le contexte de la guerre froide, puis de maintien de leur sphère d’influence par les pays européens après la décolonisation. Avant que l’aide ne s’intensifie et ne se reconvertisse en lutte contre la pauvreté dans les années 1970. Chaque décennie se trouve ainsi décrite dans ses spécificités, à l’aune des grands événements qui se sont produits.

Ainsi, les effets de l’aide se traduisent à la fois par la corruption, l’inflation, l’érosion du capital social, l’affaiblissement des institutions et la réduction des investissements domestiques (voir le très intéressant et révélateur exemple du fabricant local de moustiquaires, dont l’entreprise fait faillite et les emplois disparaissent lorsque les pays riches se mettent en tête de distribuer gratuitement des moustiquaires à la population), autant de points que l’auteur développe et qui donnent lieu à des tas d’exemples très concrets.

Et quid des prétentions des pays occidentaux à vouloir instaurer à tout prix la démocratie ? Intentions louables, mais là encore, à partir de multiples faits et exemples révélateurs, Dambisa Moyo aboutit à la conclusion suivante :

« Ce qui est clair c’est que la démocratie n’est pas le préalable de la croissance économique, comme le soutiennent les champions de l’aide. Au contraire, c’est le développement économique qui est le préalable de la démocratie (et ce dont le développement n’a pas besoin, c’est de l’aide). »

Vieux débat, mais tel que présenté dans cet ouvrage, qui trouve bien toute sa validité.

Finalement, en effet, qu’est-ce qui fait que des dictateurs ont intérêt ici à s’accaparer le pouvoir ? Et qu’est-ce qui fait que d’autres ont intérêt à déclencher des guerres pour tenter de s’emparer du pouvoir ? Une seule réponse : la véritable manne que représente l’aide et qui, loin de bénéficier à ceux à qui elle est destinée, va pour l’essentiel directement dans les poches de ces dictateurs (ce que nous savons tous !). Il en restera toujours quelque chose, peut-on se dire ? Justement, non. Que de la nuisance profonde. Et le livre le montre excellemment.

Dans une seconde partie de l’ouvrage, Dambisa Moyo, en femme d’action, présente ensuite d’autres moyens pour l’Afrique de financer son développement. Une note d’espoir, en somme ; à condition que les pays aidants comprennent enfin quel est leur actuel pouvoir de nuisance.
Comment se fait-il, en effet, qu’en d’autres endroits de la planète (Asie notamment) des pays soient parvenus à se développer considérablement en quelques décennies à peine et sans bénéficier des sommes impressionnantes de l’aide africaine ? Qu’est-ce qui interdirait à l’Afrique de se développer elle aussi à son tour ?

S’inspirant du cas de l’Inde, de la Russie, le Chili, ou encore l’Afrique du Sud, Dambisa Moyo présente tout à tour une série d’alternatives qu’elle développe en détail : commerce, IDE, marchés de capitaux, versements de l’étranger, microfinance et épargne, qui constituent autant de points d’appui fondamentaux et d’espoirs.

Elle montre aussi le rôle important que joue actuellement la Chine dans le développement de l’Afrique, démontant bien des idées reçues et montrant qu’à sa manière, même critiquable sur certains points, cette politique contribue bien plus au développement effectif de l’Afrique que toutes les années d’aides occidentales cumulées.

Absolument passionnant.

En définitive, quel est le principal obstacle ? Il est politique. C’est malheureux à énoncer et honteux pour nos sociétés, mais comme elle le dit elle-même :

« Les donateurs occidentaux ont une industrie de l’aide à entretenir, des fermiers dont il faut calmer les esprits (ces fermiers sont vulnérables quand les barrières commerciales sont supprimées), des électeurs progressistes dont les intentions altruistes sont exigeantes – et puis, à cause de leurs propres difficultés économiques, très peu de temps libre pour s’inquiéter du drame de l’Afrique. Pour un politicien occidental, maintenir le statu quo de l’aide est la solution la plus facile : il s’agit juste de signer un chèque ».

Je laisserai cette dernière phrase de l’auteur à votre méditation.

Je n’ai qu’un conseil à vous apporter : lisez au moins ce livre pour vous faire votre propre idée.
Et qu’un souhait : que nos dirigeants et âmes généreuses cessent de duper tout le monde en se voilant la face. Il est plus que temps d’agir. Un ouvrage vraiment fondamental !

— Dambisa Moyo, L’aide fatale, éd. J.C Lattès, septembre 2009, 250 pages.

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  • Merci à l’auteur pour cette remarquable présentation.

    Une présentation de l’implacable réquisitoire de Dambisa Moyo figurait sur ma liste d’articles à écrire pour Contrepoints. Je n’aurai pas à le faire.

    Double Merci donc.

  • Peut -être une source d’inspiration pour la Grèce….

  • L’analyse est très pertinente surtout la conclusion mais le problème en Afrique c’est pas l’ignorance mais plutôt la négligence.Comme le disait l’autre l’Africain est un mendiant qui assoit sur une mine d’or.

  • Une impression déprimante: rien de nouveau sous le ciel de la démonstration. Mais le marché comme seule voie, je ne suis pas convaincue. Il faut quelque chose en plus…..ou en moins… et les modèles références (pays émergents asiatiques) je ne sois pas certaine que cela soit reproductibles car ce ne sont ni les mêmes hommes, les mêmes femmes, les mêmes circonstances et la même histoire. Suis persuadée qu’on peut faire beaucoup mieux….

  • Les commentaires sont fermés.

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