Débat sur la microfinance : ne détourne-t-elle pas des vraies questions ?

Avant de penser à réglementer la microfinance, voyons si elle ne souffre pas de certaines réglementations existantes et de politiques malavisées.

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Débat sur la microfinance : ne détourne-t-elle pas des vraies questions ?

Publié le 15 octobre 2013
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Par Emmanuel Martin.

imgscan contrepoints 2013-2259 microfinanceEn contrepoint de Débat sur la microfinance : pourquoi perd-elle de son attrait ?

La microfinance semble avoir été une autre de ces « stratégies miracles » dont on a rapidement réalisé les limites. Beaucoup demandent une intervention réglementaire pour mieux encadrer un secteur dans lequel peuvent en réalité prospérer les « micro requins » qui appauvrissent au final les emprunteurs modestes par des taux d’intérêts exorbitants.

Avant tout, on n’offrira pas ici une critique de la microfinance en elle-même. D’abord, le fait que tout le concept soit fondé sur le prêt pour un investissement, c’est-à-dire un acte entrepreneurial de production vaut beaucoup mieux que l’aide habituelle, qui a tendance à déresponsabiliser les récipiendaires et bureaucratiser les donateurs, avec un inévitable canal de corruption au sein des intermédiaires.

Il s’agit donc ici de comprendre la nature de la micro finance et de ses limites non pas « en elle-même », mais du fait de l’environnement dans lequel elle émerge. Avant de demander de nouvelles réglementations, il faut sans doute se poser la question de savoir si des réglementations actuelles, pas simplement directes mais aussi indirectes, n’empêchent justement pas le secteur de se « réguler » sur des bonnes pratiques.

La première question à se poser quand on parle de microfinance est la suivante : pourquoi le secteur bancaire traditionnel n’est-il pas capable de fournir des services de microfinance ? Les pays pauvres ont typiquement des taux de bancarisation très faibles, notamment chez les  populations très pauvres. La première explication qui vient à l’esprit est le manque de rentabilité que représenterait le créneau des très pauvres. Cette explication est en réalité peu convaincante : s’il y a une marge à dégager, notamment quand on voit les taux d’intérêt effectivement pratiqués dans la microfinance, au-delà de 20%, il y a un marché.

Sans doute alors faut-il regarder les réglementations publiques du secteur bancaire en termes d’accès à un compte bancaire (apport minimum etc.). N’excluent-elles pas de facto la frange la plus pauvre de la population ? N’empêchent-elles pas l’émergence d’un secteur bancaire « low cost » mais officiel ? De même, bien souvent le secteur est partagé entre grandes enseignes proches du pouvoir qui préfèrent éviter la concurrence « low cost » et sont heureuses de faire leurs marges avec l’élite riche du pays… La « réglementation » est bien souvent faite pour protéger les intérêts catégoriels des « gros » en place. Cette économie de la connivence réglementaire, si elle est avérée, ne constituerait-elle pas le problème à prendre à bras le corps ? On ne prétend pas ici avoir la réponse – tout dépend des pays – mais il faut y regarder de plus près.

Dans le même esprit, le manque de définition et de sécurisation des droits de propriété est un frein essentiel à la bancarisation. C’est l’histoire bien connue d’Hernando de Soto dans son ouvrage Le mystère du capital : parce qu’ils ne détiennent pas de titres de propriété officiels, les pauvres des pays en développement ne peuvent tout simplement pas prouver la légitimité de leur propriété – qui permettrait théoriquement d’avoir accès, par le biais de la garantie hypothécaire, à un crédit bancaire. Or, c’est là la mission de l’État de garantir les droits de propriétés. C’est donc indirectement l’absence de ce service fondamental, devant être assuré par les autorités, qui explique en partie dans de nombreux pays pauvres la situation de besoin de microfinance. Avant de « réglementer » davantage, pourquoi ne pas se concentrer d’abord sur cet aspect ?

L’autre dimension du problème est celle du climat des affaires. Quand un État fait tout pour mettre les bâtons dans les roues de ses petits entrepreneurs, en termes de réglementations inutiles, permis, licences, autorisations, taxes, et autres interminables démarches administratives, il devient extrêmement coûteux de faire des affaires dans le secteur formel. Il faut évidemment des réglementations, mais raisonnables, et simples. L’état de la réglementation des affaires dans les pays pauvres tient souvent d’un labyrinthe kafkaïen fondé sur l’inefficacité et la corruption. On jette ainsi les gens dans l’informel en rendant le coût d’utilisation du formel trop onéreux. Or l’informel, c’est l’insécurité juridique, l’incertitude. À bien des égards les pauvres jetés dans l’informel doivent alors payer une « prime de risque » lorsqu’ils empruntent dans les systèmes alternatifs de finance adaptés à l’informel.

Faisons converger les différentes dimensions du problème : sur-réglementation du secteur bancaire, connivence, climat des affaires délétère. En fait : absence d’État de droit, pour le dire simplement. Un tel environnement fait évidemment la joie des « requins » de la finance alternative souvent informelle qui, du fait de la connivence leur conférant un pouvoir économique de type mafieux, peuvent empêcher la concurrence et instaurer au niveau local une sorte de monopole sur leurs services, extorquant alors facilement leurs clientèle captive.

Enfin, le parallèle est souvent fait entre la microfinance et la crise financière de 2008, pour montrer que la réglementation était insuffisante. Cela est faux : la réglementation bancaire était considérable. Ce qui était insuffisant c’était la régulation du système. Car la réglementation (production de directives de manière centralisée) n’est qu’une voie possible de régulation, « par le haut », qui malheureusement peut avoir des effets pervers. Une régulation par la responsabilité (responsabilisation des acteurs « d’en bas ») a au contraire plus de chances de rendre le système résilient et efficace.

Avant de réglementer un secteur qui est « borderline », voyons s’il ne l’est pas du fait même de certaines réglementations existantes et de politiques malavisées. Pourquoi ne pas faire en sorte de réformer le climat des affaires, du secteur et en général, et le système des droits de propriété et ce, afin de faciliter l’émergence d’un secteur bancaire et financier réellement concurrentiel, formel et capable de répondre à tous les besoins ?

La microfinance en ressortirait assainie. Et, à vrai dire, on n’aurait très rapidement plus besoin d’elle. Enfin, on peut se le demander : la microfinance n’a-t-elle pas été souvent brandie comme pseudo solution par des États mal gérés et corrompus afin de s’exonérer des vraies réformes nécessaires ?


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  • Finirons-nous par nous apercevoir un jour que la microfinance n’apporte rien et ne peut rien apporter dans l’aide au développement tant que nous nous acharnons à n’en rester qu’à la toute première étape du modèle coopératif qui seul peut apporter la solution ?

    LES LIMITES DE LA MICROFINANCE, L’EXEMPLE DE L’AGRICULTURE

    La microfinance tend à devenir la panacée à l’ensemble des problèmes de développement, notamment agricole, au point que tous les projets se rapportant à ce dernier ne s’articulent qu’autour du pivot central « crédit » à condition que celui–ci corresponde aux principes de la microfinance.

    Dans le début des années 70, Muhammad Yunus développait au Bengladesh le concept de la Grameen[1] Bank. Il partait du principe qu’une somme minime est souvent suffisante pour permettre le démarrage d’une activité, particulièrement dans les campagnes.

    Le concept reposait sur les principes ancestraux du mutualisme, les mêmes repris chez nous avec le succès que l’on sait à la fin du 19ème siècle. Ces principes s’appliquaient au Bengladesh à une population homogène dans sa pauvreté absolue.

    Grandes furent les difficultés de Muhammad Yunus pour obtenir un appui des bailleurs de fonds internationaux, Banque Mondiale et Fonds Monétaire International considérant que cette initiative au ras des pâquerettes ne pouvait s’inscrire dans le contexte de la mondialisation ou du développement dit durable.

    Longtemps décrié et combattu, le système devait il y a peu, non seulement être remis à l’honneur, mais devenir la véritable tarte à la crème de la Banque Mondiale qui n’avait pas manqué au passage de le dénaturer. On ne parle plus désormais en matière de développement agricole dans les pays émergents que de microprojets financés par la microfinance dérivée directement de l’initiative de Muhammad Yunus.

    La crise actuelle, où le système bancaire tend à limiter les crédits, est l’occasion pour certains de considérer que le microcrédit est une des solutions, sinon la solution, à cette crise.

    Dans la recherche de solutions de financement pour les plus démunis que le système bancaire traditionnel maintient à l’écart de ses interventions, on oublie systématiquement le modèle coopératif qui il y a plus de cent ans apportait la réponse à l’agriculture française notamment.

    Muhammad YUNUS et la Grameen Bank du Bengladesh n’ont pourtant quoi qu’on en dise rien inventé du tout, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à leur mérite.

    La Grammeen Bank, et tous les modèles de microfinance qui en découlent, ne sont que la première étape du modèle coopératif inventé par les Babyloniens. Après l’expérience des pionniers de Rochdale ou des producteurs de micocoulier dans le Gard en France, le système a été il y a cent ans à la base des modèles européens de la coopération agricole, notamment le Crédit Agricole français, que l’on oublie systématiquement dans les programmes de développement au profit du seul modèle de Muhammad YUNUS, prix Nobel de la Paix, porté désormais aux nues.

    Le problème est que malgré tous ses mérites, le modèle mis en œuvre dans cette seule première étape, ne marche pas – à l’échelle de l’économie globale – et ne marchera jamais, pas plus d’ailleurs que les modèles coopératifs européens pris dans leur forme actuelle et que nous nous acharnons à développer en vain depuis les indépendances.

    Il faut pour mobiliser le maximum de ressource bancaire vers le secteur agricole sous forme de prêts, bancariser les populations rurales de façon à ce que tous les flux financiers résultant de leur activité – essentielle dans les pays en développement, il s’agit du secteur primaire – restent dans ce secteur et ne s’évadent pas vers la banque commerciale. Celle–ci dans la meilleure des hypothèses fera semblant d’aider l’agriculture en avançant des fonds aux organismes de microfinance qu’elle crée la plupart du temps sous forme de filiales.

    Ceci est vrai aussi pour les autres secteurs et pour nos pays en ce qui concerne les laissés pour compte du système bancaire traditionnel.

    On ne saurait trop insister sur cette nécessité de bancarisation déjà citée des populations les plus pauvres

    – C’est une véritable alphabétisation, économique bancaire et comptable qui leur permet d’appréhender des notions simples, ce que ne permet pas la manipulation de la seule monnaie fiduciaire.

    – C’est une garantie supplémentaire pour le prêteur que l’emprunteur dispose sur un compte qui enregistre tous ses mouvements financiers, de la ressource nécessaire, résultant de l’activité financée, pour rembourser le crédit.

    Ceci implique bien entendu, et ce n’est possible que dans le cadre coopératif, que le principe essentiel d’exclusivisme soit bien respecté, c’est–à–dire que le sociétaire ne puisse pas, au risque d’exclusion du système, ouvrir des comptes et contracter des emprunts dans plusieurs établissements.

    Il faut rappeler encore une fois que la dégradation de tous les modèles coopératifs a pour origine principale le non respect de ce principe d’exclusivisme, qui a d’ailleurs été supprimé ou n’a pas été repris dans toutes les lois coopératives mises en place dans les pays en développement, ce qui conduit irrémédiablement à l’échec du système.

    – C’est une garantie de création monétaire réelle. Le crédit anticipe en effet la création monétaire par production de biens ou de services.

    Celui qui distribue le crédit doit donc s’assurer que le prêt est bien utilisé pour l’objet financé et que son montant ne dépasse pas ( il doit même rester inférieur) la valeur estimée du produit de l’activité financée.

    Il est évident que la simple surveillance des mouvements du compte, à condition là aussi que le principe d’exclusivisme soit appliqué et respecté, permet de vérifier que l’anticipation de création monétaire est parfaitement justifiée.

    Ce point est d’une cuisante actualité dans la crise économique que nous vivons et qui résulte de dérives bancaires où, dans le cadre d’une économie virtuelle généralisée et mondialisée, les crédits consentis pour des spéculations de tous ordres ont conduit à la création de fausse monnaie avec les conséquences dramatiques que nous n’avons pas fini de vivre.

    Cette mobilisation indispensable de la ressource de base qui devra d’ailleurs être complétée notamment pour les investissements longs ne peut se faire qu’au travers du modèle coopératif qui a fait ses preuves depuis des siècles.

    Encore faudrait il que ce modèle fut et restât l’authentique, et ne soit pas remplacé par les ersatz infâmes que l’on a vu se développer tant en Afrique que dans les pays communistes et qui ont conduit à la ruine et à l’abandon de ce modèle coopératif .

    Ceci ne pourra se faire que par la mise en place de lois et règlements propres à la Coopération, agricole notamment, et qui en retiennent impérativement les authentiques principes de base.

    La bancarisation des plus pauvres est de surcroît une des conditions essentielles pour que le système s’il est vraiment d’inspiration coopérative soit construit et fonctionne à partir de la base : les sociétaires ; et il y a bien là une des faiblesses de la microfinance telle qu’elle est conçue jusqu’à présent comme un système construit « d’en bas » et géré « d’en haut ».

    Un problème supplémentaire est que l’on entend appliquer les principes de la microfinance d’un intérêt indiscutable par ailleurs à des populations hétérogènes dans leur pauvreté relative.

    On se retrouve donc en fait dans une agriculture à deux vitesses : l’une de type industriel, comme chez nous, qui doit se soumettre aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, l’autre de type social qui concerne la très grande majorité des populations rurales.

    On notera au passage que dans le second cas les résultats des actions menées pour atteindre des objectifs sociaux sont mesurés selon des critères uniquement économiques.

    Le financement est réalisé pour le premier type, la minorité, par les banques commerciales traditionnelles, pour le second par des systèmes complexes, notamment mutuelles d’épargne et de crédit qui fleurissent à qui mieux mieux sur le plan local, sans aucune coordination nationale, et qui finalement n’arrivent à concerner qu’une « minorité de la majorité » : les plus pauvres parmi les pauvres, les autres devant se débrouiller comme ils peuvent en recourant notamment au crédit informel.

    Le résultat désastreux est double :

    La ressource d’épargne et de dépôts – qui est une ressource bon marché – en excédent localement ne peut être transférée directement et à prix coûtant chez ceux où elle manque et transite par le système bancaire où elle est, soit utilisée au prix fort au financement des autres secteurs de l’économie, soit réacheminée toujours au prix fort vers les structures de microfinance momentanément déficitaires en ressource.

    Ce système encore une fois à deux vitesses, au delà du fait qu’il accroît les déséquilibres liés à deux types de systèmes d’exploitation extrêmes : agriculture de subsistance et agriculture industrielle, a l’inconvénient d’isoler les plus pauvres, les empêchant comme on vient de le voir de profiter de la solidarité au sein de leur groupe même en ce qui concerne la ressource bancaire.

    C’est bien au niveau de cette notion de solidarité que se trouve la solution au problème du financement du secteur primaire.

    Autant il serait vain en effet de vouloir faire jouer la solidarité du monde agricole en faveur des plus déshérités en isolant ces derniers dans des ghettos, autant il est possible de la mettre en œuvre efficacement dans des systèmes qui intègrent tous les acteurs de ce secteur, ceux momentanément déshérités bénéficiant de l’assistance du groupe.

    Bergerac le 3 septembre 2010

    Jean-Pierre CANOT

    Auteur de « Apprends-nous plutôt à pêcher ! »

    http://ehlafrancetoutfoutlecamp.blogs.nouvelobs.com/

    http://reviensilssontdevenusfous.blogs.sudouest.com

    Finirons-nous par nous apercevoir un jour que la microfinance n’apporte rien et ne peut rien apporter dans l’aide au développement tant que nous nous acharnons à n’en rester qu’à la toute première étape du modèle coopératif qui seul peut apporter la solution ?

    LES LIMITES DE LA MICROFINANCE, L’EXEMPLE DE L’AGRICULTURE

    La microfinance tend à devenir la panacée à l’ensemble des problèmes de développement, notamment agricole, au point que tous les projets se rapportant à ce dernier ne s’articulent qu’autour du pivot central « crédit » à condition que celui–ci corresponde aux principes de la microfinance.

    Dans le début des années 70, Muhammad Yunus développait au Bengladesh le concept de la Grameen[1] Bank. Il partait du principe qu’une somme minime est souvent suffisante pour permettre le démarrage d’une activité, particulièrement dans les campagnes.

    Le concept reposait sur les principes ancestraux du mutualisme, les mêmes repris chez nous avec le succès que l’on sait à la fin du 19ème siècle. Ces principes s’appliquaient au Bengladesh à une population homogène dans sa pauvreté absolue.

    Grandes furent les difficultés de Muhammad Yunus pour obtenir un appui des bailleurs de fonds internationaux, Banque Mondiale et Fonds Monétaire International considérant que cette initiative au ras des pâquerettes ne pouvait s’inscrire dans le contexte de la mondialisation ou du développement dit durable.

    Longtemps décrié et combattu, le système devait il y a peu, non seulement être remis à l’honneur, mais devenir la véritable tarte à la crème de la Banque Mondiale qui n’avait pas manqué au passage de le dénaturer. On ne parle plus désormais en matière de développement agricole dans les pays émergents que de microprojets financés par la microfinance dérivée directement de l’initiative de Muhammad Yunus.

    La crise actuelle, où le système bancaire tend à limiter les crédits, est l’occasion pour certains de considérer que le microcrédit est une des solutions, sinon la solution, à cette crise.

    Dans la recherche de solutions de financement pour les plus démunis que le système bancaire traditionnel maintient à l’écart de ses interventions, on oublie systématiquement le modèle coopératif qui il y a plus de cent ans apportait la réponse à l’agriculture française notamment.

    Muhammad YUNUS et la Grameen Bank du Bengladesh n’ont pourtant quoi qu’on en dise rien inventé du tout, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à leur mérite.

    La Grammeen Bank, et tous les modèles de microfinance qui en découlent, ne sont que la première étape du modèle coopératif inventé par les Babyloniens. Après l’expérience des pionniers de Rochdale ou des producteurs de micocoulier dans le Gard en France, le système a été il y a cent ans à la base des modèles européens de la coopération agricole, notamment le Crédit Agricole français, que l’on oublie systématiquement dans les programmes de développement au profit du seul modèle de Muhammad YUNUS, prix Nobel de la Paix, porté désormais aux nues.

    Le problème est que malgré tous ses mérites, le modèle mis en œuvre dans cette seule première étape, ne marche pas – à l’échelle de l’économie globale – et ne marchera jamais, pas plus d’ailleurs que les modèles coopératifs européens pris dans leur forme actuelle et que nous nous acharnons à développer en vain depuis les indépendances.

    Il faut pour mobiliser le maximum de ressource bancaire vers le secteur agricole sous forme de prêts, bancariser les populations rurales de façon à ce que tous les flux financiers résultant de leur activité – essentielle dans les pays en développement, il s’agit du secteur primaire – restent dans ce secteur et ne s’évadent pas vers la banque commerciale. Celle–ci dans la meilleure des hypothèses fera semblant d’aider l’agriculture en avançant des fonds aux organismes de microfinance qu’elle crée la plupart du temps sous forme de filiales.

    Ceci est vrai aussi pour les autres secteurs et pour nos pays en ce qui concerne les laissés pour compte du système bancaire traditionnel.

    On ne saurait trop insister sur cette nécessité de bancarisation déjà citée des populations les plus pauvres

    – C’est une véritable alphabétisation, économique bancaire et comptable qui leur permet d’appréhender des notions simples, ce que ne permet pas la manipulation de la seule monnaie fiduciaire.

    – C’est une garantie supplémentaire pour le prêteur que l’emprunteur dispose sur un compte qui enregistre tous ses mouvements financiers, de la ressource nécessaire, résultant de l’activité financée, pour rembourser le crédit.

    Ceci implique bien entendu, et ce n’est possible que dans le cadre coopératif, que le principe essentiel d’exclusivisme soit bien respecté, c’est–à–dire que le sociétaire ne puisse pas, au risque d’exclusion du système, ouvrir des comptes et contracter des emprunts dans plusieurs établissements.

    Il faut rappeler encore une fois que la dégradation de tous les modèles coopératifs a pour origine principale le non respect de ce principe d’exclusivisme, qui a d’ailleurs été supprimé ou n’a pas été repris dans toutes les lois coopératives mises en place dans les pays en développement, ce qui conduit irrémédiablement à l’échec du système.

    – C’est une garantie de création monétaire réelle. Le crédit anticipe en effet la création monétaire par production de biens ou de services.

    Celui qui distribue le crédit doit donc s’assurer que le prêt est bien utilisé pour l’objet financé et que son montant ne dépasse pas ( il doit même rester inférieur) la valeur estimée du produit de l’activité financée.

    Il est évident que la simple surveillance des mouvements du compte, à condition là aussi que le principe d’exclusivisme soit appliqué et respecté, permet de vérifier que l’anticipation de création monétaire est parfaitement justifiée.

    Ce point est d’une cuisante actualité dans la crise économique que nous vivons et qui résulte de dérives bancaires où, dans le cadre d’une économie virtuelle généralisée et mondialisée, les crédits consentis pour des spéculations de tous ordres ont conduit à la création de fausse monnaie avec les conséquences dramatiques que nous n’avons pas fini de vivre.

    Cette mobilisation indispensable de la ressource de base qui devra d’ailleurs être complétée notamment pour les investissements longs ne peut se faire qu’au travers du modèle coopératif qui a fait ses preuves depuis des siècles.

    Encore faudrait il que ce modèle fut et restât l’authentique, et ne soit pas remplacé par les ersatz infâmes que l’on a vu se développer tant en Afrique que dans les pays communistes et qui ont conduit à la ruine et à l’abandon de ce modèle coopératif .

    Ceci ne pourra se faire que par la mise en place de lois et règlements propres à la Coopération, agricole notamment, et qui en retiennent impérativement les authentiques principes de base.

    La bancarisation des plus pauvres est de surcroît une des conditions essentielles pour que le système s’il est vraiment d’inspiration coopérative soit construit et fonctionne à partir de la base : les sociétaires ; et il y a bien là une des faiblesses de la microfinance telle qu’elle est conçue jusqu’à présent comme un système construit « d’en bas » et géré « d’en haut ».

    Un problème supplémentaire est que l’on entend appliquer les principes de la microfinance d’un intérêt indiscutable par ailleurs à des populations hétérogènes dans leur pauvreté relative.

    On se retrouve donc en fait dans une agriculture à deux vitesses : l’une de type industriel, comme chez nous, qui doit se soumettre aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, l’autre de type social qui concerne la très grande majorité des populations rurales.

    On notera au passage que dans le second cas les résultats des actions menées pour atteindre des objectifs sociaux sont mesurés selon des critères uniquement économiques.

    Le financement est réalisé pour le premier type, la minorité, par les banques commerciales traditionnelles, pour le second par des systèmes complexes, notamment mutuelles d’épargne et de crédit qui fleurissent à qui mieux mieux sur le plan local, sans aucune coordination nationale, et qui finalement n’arrivent à concerner qu’une « minorité de la majorité » : les plus pauvres parmi les pauvres, les autres devant se débrouiller comme ils peuvent en recourant notamment au crédit informel.

    Le résultat désastreux est double :

    La ressource d’épargne et de dépôts – qui est une ressource bon marché – en excédent localement ne peut être transférée directement et à prix coûtant chez ceux où elle manque et transite par le système bancaire où elle est, soit utilisée au prix fort au financement des autres secteurs de l’économie, soit réacheminée toujours au prix fort vers les structures de microfinance momentanément déficitaires en ressource.

    Ce système encore une fois à deux vitesses, au delà du fait qu’il accroît les déséquilibres liés à deux types de systèmes d’exploitation extrêmes : agriculture de subsistance et agriculture industrielle, a l’inconvénient d’isoler les plus pauvres, les empêchant comme on vient de le voir de profiter de la solidarité au sein de leur groupe même en ce qui concerne la ressource bancaire.

    C’est bien au niveau de cette notion de solidarité que se trouve la solution au problème du financement du secteur primaire.

    Autant il serait vain en effet de vouloir faire jouer la solidarité du monde agricole en faveur des plus déshérités en isolant ces derniers dans des ghettos, autant il est possible de la mettre en œuvre efficacement dans des systèmes qui intègrent tous les acteurs de ce secteur, ceux momentanément déshérités bénéficiant de l’assistance du groupe.

    Bergerac le 3 septembre 2010

    Jean-Pierre CANOT

    Auteur de « Apprends-nous plutôt à pêcher ! »

    http://ehlafrancetoutfoutlecamp.blogs.nouvelobs.com/

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    [1] Grameen signifie « village » c’est dire que le concept s’appuyait sur le principe de proximité !

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    [1] Grameen signifie « village » c’est dire que le concept s’appuyait sur le principe de proximité !

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