Crise de la dette : l’inflation n’est pas une solution

L’inflation n’est en rien une solution à la dette publique massive qui menace les pays européens. Voici pourquoi.

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Dette publique de la France (source Insee depuis 1978).

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Crise de la dette : l’inflation n’est pas une solution

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 12 octobre 2013
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L’inflation n’est en rien une solution à la dette publique massive qui menace les pays européens. Voici pourquoi.

Par Jean Dupont.

Dette publique de la France (source Insee depuis 1978).

Quand on évoque les solutions à la dette abyssale des États de la zone euro, les économistes énumèrent la plupart du temps trois solutions :

Beaucoup de ces économistes préconisent la dernière solution, qui permettrait selon eux de sortir « par le haut » de la crise. Ils répètent ce mantra à longueur de journée mais sans jamais donner la moindre justification. Or c’est sans doute la pire des solutions, et voici pourquoi.

On peut modéliser le taux d’une obligation de la manière suivante: T(aux) = L(oyer) + I(nflation) + (prime de) R(isque):

  • Le loyer est la rémunération attendue par l’investisseur. Pour simplifier, on peut poser L=0 dans la suite.
  • L’inflation doit être incluse car il faut au minimum que le pouvoir d’achat à la sortie soit équivalent à celui à l’entrée. On considère donc la moyenne sur la durée du contrat.
  • La prime de risque correspond à la possibilité d’un défaut avant la fin du contrat.

Dans une même zone économique, I ne change pas: ce qui va différencier les contrats est le risque lié au souscripteur. Ce risque est estimé relativement aux autres acteurs, ce qui explique qu’on a pu avoir R<0 récemment pour les États du « nord » de l’Europe.

Notez au passage que l’annonce du FMI n’a rien d’étonnant, elle est parfaitement cohérente. Dans un contexte où les taux obligataires souverains remontent, c’est une tentative transparente pour rassurer les investisseurs en les confortant dans l’idée que les États se retourneront vers leurs épargnants avant de faire défaut; le tout dans le but de faire diminuer R et donc les taux obligataires.

En simplifiant, on peut considérer que l’inflation (officielle) est d’environ 2%, plus ou moins constante : les taux du portefeuille d’OAT sont calculés sur cette base. Supposons maintenant qu’on décide de relever temporairement l’inflation à 5%, le temps de « régler la crise ». Toujours pour simplifier je prends l’hypothèse contestable que la BCE soit capable de maîtriser ce taux. Dans un premier temps, les États sont gagnants: ils paient beaucoup moins cher que l’inflation (notez que certaines OAT incorporent l’inflation dans leur contrat, pour celles-là il n’y a aucun bénéfice à attendre). Mais comme ils doivent au moins rembourser les contrats qui arrivent à échéance (roll-over), ils doivent faire de nouvelles souscriptions, sur base du taux d’inflation actualisé. Au fur et à mesure du renouvellement du portefeuille, le gain diminue puis disparaît lorsque toutes les obligations sont renouvelées.

Si en fin de compte on décide de revenir à une inflation à 2%, on aboutit à la situation inverse: le portefeuille coûte trop cher, le temps là encore de le renouveler. Au final on est revenu au point de départ, mais avec une situation économique dégradée. On introduit donc un effet de « cliquet »: il est facile d’augmenter l’inflation, beaucoup plus difficile et coûteux de la faire diminuer.

Mais ça ne s’arrête hélas pas là. Jusqu’ici on a considéré un I stable dans le calcul du taux. Si on commence à le faire varier, on introduit une incertitude supplémentaire sur les OAT à long terme: rien ne garantit que I va rester à 5% sur toute la durée du contrat – jusqu’à 50 ans! Il faut donc ajouter RI dans l’équation: une prime de Risque sur l’Inflation, d’autant plus élevée que le terme est long. Ce n’est pas pour rien que la mission principale de la BCE est le contrôle de l’inflation, cela permet jusqu’à maintenant d’avoir RI=0. Au final, le taux des OAT va augmenter plus vite que l’inflation, avec un effet inverse à celui tant espéré: un renchérissement du crédit. On aggrave le problème au lieu de le résoudre! La suite logique est une nouvelle hausse de l’inflation pour tenter de compenser cet effet, ce qui augmente d’une part l’estimation par les investisseurs du I moyen sur la durée du contrat, d’autre part RI puisque la variabilité de I est confirmée, et au final accélère encore le renchérissement du crédit.

La seule possibilité théorique de s’en sortir avec cette méthode est l’interdiction stricte de souscrire à de nouvelles obligations dès le moment où l’inflation augmente. Mais les États sont déjà incapables d’équilibrer leur budget avec un roll-over, le faire en plus en remboursant leur dette colossale est totalement hors de portée. N’y pensez pas une seconde.

Le résultat est sans appel: c’est le chemin mécanique vers la stagflation puis l’hyperinflation et l’effondrement de l’économie, en un cercle vicieux. En sortir coûterait très cher, en générant une crise beaucoup plus profonde que celle que nous connaissons actuellement.

Il y a pourtant une quatrième solution dont presque personne ne parle, prônée ici et sur quelques sites hélas trop confidentiels. C’est la vraie rigueur, à ne pas confondre avec la faustérité: baisse générale de la fiscalité, réduction drastique de la réglementation et de la bureaucratie, recentrage de l’État sur les domaines régaliens en privatisant ce qui n’en fait pas partie, etc. Les États qui ont suivi cette voie, même partiellement, ont amélioré leur situation et réduit leur exposition à l’endettement via une vraie relance économique. Ne comptez pas sur nos pipoconomistes et nos politocards apprenti-sorciers pour l’envisager…

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  • Intéressante démonstration ! Toutefois, « au fur et à mesure du renouvellement du portefeuille, le gain diminue puis disparaît lorsque toutes les obligations sont renouvelées », sauf si le stock de dette diminue dans le même temps, c’est-à-dire si les comptes publics sont en excédent. Il n’est même pas nécessaire que l’excédent soit égal aux titres arrivant à échéance. La simple raréfaction de la dette publique suffit à réduire R, voire à le rendre négatif, ce qui permet d’annuler I positif. L’Allemagne aux comptes publics excédentaires est précisément dans ce cas de figure vertueux.

    Il faut rappeler sans cesse cette évidence : on ne peut pas ne pas rembourser une dette, d’une façon ou d’une autre. Rembourser la dette signifie qu’on dispose de moins d’argent, c’est-à-dire qu’on se retrouve plus pauvre. Comme avec une drogue, après la jouissance de la dette, l’appauvrissement est inéluctable. L’Etat français, quoi qu’il arrive, remboursera sa dette et ça fera mal. Le sujet politique est de savoir si la douleur sera courte et supportable ou longue et pénible.

    Il n’y a qu’un moyen pour espérer compenser l’appauvrissement consécutif au remboursement de la dette : produire plus, travailler plus, échanger plus, de telle sorte que les richesses nouvelles soient supérieures aux richesses perdues. Ceci implique nécessairement le dégonflement de la bulle de l’Etat obèse, à savoir la fin de la social-démocratie et le retour à la véritable démocratie, libérée de la perversion socialiste.

    Certains prétendent qu’on ne pourrait pas renouer avec des taux de croissance supérieurs à 3% l’an, parce que l’économie française serait mature. Rien n’est plus faux et mensonger ! Des taux de croissance supérieurs à 3 ou, pourquoi pas 5% l’an, sont tout à fait envisageables, dès lors qu’on renonce à la collectivisation et au socialisme.

    • Vous avez raison pour la situation actuelle de l’Allemagne. J’avais l’exemple français en tête, dont l’État est totalement incapable de réaliser un excédent budgétaire. Cependant, si l’inflation augmente, un R faible ne parviendra pas à compenser cette hausse. Avec une inflation à 5% – ce qui reste une valeur relativement faible par rapport aux années 70 par exemple – même l’Allemagne ne pourra conserver un taux obligataire de 1 à 2%. Je suis entièrement d’accord avec le reste de votre commentaire.

    • our être plus précis: si la diminution annuelle du portefeuille de dettes correspond à la différence entre l’inflation avant-après, alors la situation est tenable. Reste à voir si les États concernés (donc pour la zone euro dans le cas qui nous occupe) sont capable de l’assumer, et ça personnnellent j’en doute…

      • Merci pour vos réponses. Une sortie en douceur de la dette implique la combinaison d’un excédent budgétaire et d’une baisse de la fiscalité sur les producteurs, indifféremment entreprises et ménages, soit une baisse des dépenses publiques d’un quart avant remboursement de la dette, de l’ordre de 300 milliards d’euros. Comme vous, j’ai quelques doutes sur la capacité du gouvernement français, gauche et droite confondues, à réaliser ces deux objectifs… Ceci dit, plus les dépenses publiques sont élevées, plus les économies potentielles sont importantes.

  • L’inflation est bien sûr une mauvaise manière de diluer la dette pour la rembourser à moindre effort. Mais c’est une pilule qui se prend à petites doses pas trop douloureuses bien que destructrice.

    La « bonne » alternative est la parcimonie étatique couplée à une croissance économique permettant le remboursement. L’un peut se décider, pas l’autre.

    La « mauvaise » voie, bien que praticable, c’est le défaut qui comporte un risque certain, celui de la perte de confiance pour les endettements futurs, et un autre risque énorme quoique pas certain qui est celui de la guerre, l’histoire ne manque pas d’exemples.

  • Les politiciens emprunteront, si j’ose dire, toujours la voie du milieu.

    En l’espèce : un peu des 3 « solutions » (guillemets puisqu’elles n’en sont pas….)

    Et l’histoire récente le prouve.

    On a eu un peu des 3 dans la zone Euro (petit défaut grec, petite spoliation chypriote, petite inflation via le LTRO de la BCE, entraînant une hausse vertigineuse du prix de certains actifs, en tout cas la non déflation des « actifs » des banques)

    Voilà le textbook, le mode d’emploi.

    Attention. Il ne faut pas non plus perdre de vue dans ces « solutions »… la diagonale du fou, c’est à dire un élément technique et politique très important (et que vous semblez ignorer) : le bras armé des banques centrales.

    En effet, pour vous le taux d’une OAT intègre -logiquement- une « prime de risque » par rapport à l’inflation. Ca c’est dans le cadre d’un marché… normal.

    Mais les 5 dernières années ont prouvé que les BC avaient pris le contrôle (plus ou moins directement) des taux, et des marchés !

    En clair : ne sous-estimez pas la crapulerie absolue des BC, de gens comme Bernanke, Draghi, Yellen…

    Ils sont au service des politiciens.

    A ce titre, je rappelle toujours que Draghi a été nommé par…. Merckel, la fameuse « chancelière qui fait soit disant les gros yeux ».

    Ce n’est pas un hasard.

    Ils sont dangereux, et ils se battront jusqu’au bout, pour défendre le status quo, leur paradigme, y compris en violant toutes les règles, en changeant les « lois ».

    Pour résumer donc ce qui nous attend… et pour de nombreuses années :
    -un peu des 3 fausses « solutions »
    -plus… contrôle des taux (pour empêcher leur hausse)

    Ce cirque dure déjà depuis… cinq ans. Presque la durée de la Seconde Guerre Mondiale.

    Rien que cela devait nous mettre la puce à l’oreille.

    Ils iront jusqu’au bout. Et ça pourrait durer…

    • Dans cet article j’ai essayé simplement de répondre à la recommendation de sortir de la crise de la dette par l’inflation uniquement. Je n’ai pas présumé de la voie qui sera réellement suivie, mais vu le nombre de personnes qui la soutiennent, ça ne m’étonnerait pas que la part de l’inflation dans le mix soit importante. C’est aussi la solution de facilité, on ne fait que reporter le problème sans devoir s’attaquer aux réformes, et c’est un argument de poids pour nos décideurs.

      Je n’ai pas parlé du rôle de la BCE et il est en effet bien lourd. Mais ses interventions ont seulement permis et permettent encore de retarder considérablement la résolution de la crise, en diminuant R dans l’équation grâce à sa garantie indirecte et maintenant directe. Mais à un moment ou un autre il faudra bien se rendre à l’évidence: cette garantie ne vaudra plus rien. Ce jour, hélas impossible à prévoir, la chute sera d’autant plus dure qu’elle aure été retardée…

  • Peut-on avoir des exemples de pays qui ont suivi cette voie ? Par contre les exemples de pays qui ont suivi la voie devaluation + inflation sont légions : Mexique, crise de la Tequila, Asie em 98, Brésil em 2000, Argentine, etc…
    Dans un pays comme la France avec 57% de dépenses publiques, la voie de la rigueur dans le cadre d’une monnaie forte comme l’euro c’est la dépression assurée.

  • De retour du Japon, je voudrais faire une petite remarque sur la dette de ce pays dont les médias français (aux ordres et politiquement corrects) font grand cas en prédisant les pires malheurs pour ce pays, je parle du Japon naturellement. La dette Japonaise, en gros deux fois le PIB, est détenue à plus de 90 % par des résidents, c’est-à-dire des fonds de pension, des assurances vie ou encore des particuliers par le truchement des banques. Les détenteurs de cette dette sont pour la plupart des personnes vieillissantes qui auront pratiquement toutes disparu dans 20 ans et c’est tout bon pour l’Etat japonais qui verra ainsi sa dette fondre comme neige au soleil sans faire quoi que ce soit. Ce miracle tient au fait que les droits de succession sont dissuasifs et que les obligations d’Etat que détiennent les citoyens japonais sont tellement taxés si ces derniers se risquent à les léguer à leurs descendants qu’elles disparaissent de facto. Le gouvernement japonais ne prendra donc aucune mesure pour faire en sorte que sa dette diminue mais se gardera bien de faire appel aux investisseurs non résidents, ce qui n’est pas le cas de la France ! Les dispositions relatives aux droits de succession en France paraissent beaucoup plus avantageuse que celles d’autres pays comme la Suède, la Finlande ou surtout les USA où la situation est la même : jusqu’à 95 % de droits !!! On n’en est pas encore là en France et le gouvernement actuel n’a pas de projets dans ce sens car plus de 60 % de la dette française est détenue par des non résidents, ce serait donc un coup d’épée dans l’eau que de réformer les droits de succession.

  • « Le loyer est la rémunération attendue par l’investisseur. »

    En l’occurrence, le terme investisseur n’est pas adapté, on devrait plutôt parler de pseudo-investisseur, achetant des promesses de recettes fiscales, s’agissant de ceux qui achètent des OAT.

    La solution consiste à cesser d’avoir recours à eu, en quasi interdisant les emprunts d’Etat par voie constitutionelle. Ce qui en clair demande 1/3 au moins de baisses de dépenses.

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