Sécurité et sûreté : les joyeux contresens de Christian Estrosi

Le droit ignore toute confusion entre sûreté et sécurité, confusion qui n’existe que dans l’esprit de M. Estrosi et de ceux qui cherchent un fondement constitutionnel destiné à légitimer une politique sécuritaire.

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Sécurité et sûreté : les joyeux contresens de Christian Estrosi

Publié le 26 septembre 2013
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Le droit ignore toute confusion entre sûreté et sécurité, confusion qui n’existe que dans l’esprit de M. Estrosi et de ceux qui cherchent un fondement constitutionnel destiné à légitimer une politique sécuritaire.

Par Roseline Letteron.

L’émission d’Yves Calvi, « Mots Croisés » était consacrée le 23 septembre 2013 à la légitime défense, après le fait divers qui a vu un bijoutier tuer un jeune homme qui venait d’attaquer violemment son magasin. Christian Estrosi, député-maire de Nice, a commencé par prendre à témoin Marion Maréchal-Le Pen : » Vous êtes parlementaire comme moi. Nous connaissons le droit (…)« . Ce fin juriste a ensuite déclaré de manière péremptoire : « Je suis un héritier de la révolution de 1789, celle des droits de l’homme et du citoyen, qui consacre la sécurité comme la première des libertés« . Sur le plateau, personne n’a réagi, ni la magistrate représentant le syndicat de la magistrature, ni le Grand Criminologue, sans lequel il est désormais impossible de parler de délinquance.

Et pourtant… Aucun des dix-sept articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne mentionne un quelconque droit à la sécurité. L’origine de ce contresens, fréquent chez les étudiants, réside dans une confusion avec le principe de sûreté. La serrure de sûreté n’a-t-elle pas pour fonction d’assurer la sécurité ? Sans doute, mais l’analyse juridique n’a rien à voir avec les serrures, et la sûreté n’est pas synonyme de la sécurité.

Sûreté et sécurité

La sûreté se définit très simplement comme l’état de la personne qui n’est ni arrêtée ni détenue, et qui jouit de sa liberté d’aller et de venir. Toute conception libérale de l’État exige ainsi le respect du principe de sûreté. Les auteurs de la Déclaration l’avaient parfaitement compris, qui, pour en finir avec une époque dominée par les lettres de cachets et les procès dépourvus des garanties les plus élémentaires des droits de la défense, ont fait de la sûreté un des « droits fondamentaux et imprescriptibles de l’homme » (art. 2).

Mais sa seule consécration n’est pas suffisante, et la garantie du principe de sûreté repose sur le respect des procédures et de l’égalité devant la loi : « Nul ne peut être accusé, arrêté, détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites » (art. 7). De fait, la sûreté n’a rien à voir avec la sécurité matérielle des individus, mais seulement avec leur sécurité juridique. Elle se rapproche de la notion d’Habeas Corpus développée au Royaume Uni, et impose l’intervention du juge judiciaire pour protéger la liberté individuelle des personnes et empêcher toute arrestation arbitraire (art. 66 de la Constitution).

Cette définition est admise dans l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe. L’article 5 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme énonce ainsi que « tout personne a droit à la liberté et à la sûreté« . Elle dresse ensuite la liste des atteintes licites au principe de sûreté comme la garde à vue, l’emprisonnement après condamnation par un juge pénal, la détention de certaines personnes considérées comme dangereuses pour elles-mêmes ou pour les autres, ou encore celle des étrangers contre lesquels une procédure d’éloignement est en cours.

Le droit positif ignore donc toute confusion entre sûreté et sécurité, confusion qui n’existe que dans l’esprit de M. Estrosi et de ceux qui cherchent un fondement constitutionnel destiné à légitimer une politique sécuritaire.

Un droit purement déclaratoire

Doit-on en déduire que le droit à la sécurité n’existe pas ? Sur le plan formel, le législateur l’a consacré à plusieurs reprises depuis la loi du 21 janvier 1995 qui affirme avec solennité que « la sécurité est un droit fondamental« , formulation reprise par les lois du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne et du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Ces multiples occurrences législatives du droit à la sécurité ont un caractère quelque peu incantatoire, car le contenu de ce droit n’est pas défini. S’il a une existence formelle, il est dépourvu de contenu matériel. Quoi qu’il en soit, il n’a jamais permis de fonder des prérogatives particulières au profit des citoyens, et surtout pas le droit de porter des armes ou de se faire justice soi-même. Tout au plus est-il invoqué pour justifier certaines politiques publiques, comme celle visant à inciter les collectivités à investir dans des systèmes de vidéoprotection.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, n’a jamais consacré le droit à la sécurité comme un droit constitutionnel. Dans une décision du 22 juillet 1980, il a mentionné « la sécurité des personnes et des biens » comme un « principe de valeur constitutionnelle« , formulation très prudente qui a simplement permis en l’espèce de justifier une limitation du droit de grève sur des sites où sont entreposés des matières nucléaires. On le constate, la sécurité dont il s’agit n’a rien à voir avec la lutte contre la délinquance.

Par la suite, alors même que le législateur avait affirmé, à plusieurs reprises, le caractère « fondamental » du droit à la sécurité, le Conseil constitutionnel, dans une décision du  13 mars 2003, met un frein à cet enthousiasme pour le droit à la sécurité, en affirmant que ces dispositions « ne créent aucun droit nouveau au profit des personnes (…) et qu’elles ne confèrent pas davantage à l’autorité administrative des pouvoirs dont elle ne disposerait pas déjà« . Il en conclut qu’elles sont « dépourvues de caractère normatif et ne sauraient donc être utilement arguées d’inconstitutionnalité« . L’idée générale est donc que le législateur peut proclamer le droit à la sécurité autant qu’il veut, ces dispositions conservent un contenu purement déclaratoire. Le droit positif est donc bien éloigné de ce qu’affirme Christian Estrosi, qui a sans doute tendance à prendre ses désirs sécuritaires pour des réalités juridiques.


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  • Indispensable rappel de Roseline : la sûreté est affaire constitutionnelle. Le principe d’une constitution est de consacrer la limitation du pouvoir des dirigeants de l’Etat à l’encontre des citoyens. Une constitution n’a pas d’autre objet. Une constitution qui dit autre chose est au mieux un fatras inutile de lois liberticides.

    La sécurité quant à elle est affaire des citoyens, notamment le devoir de s’opposer aux agressions avérées sur autrui, sécurité partiellement déléguée à une force de police pour les interventions les plus lourdes. Il suit que la légitime défense ne peut pas être assimilée à une forme de justice dévoyée (lynchage, vendetta…), selon le mensonge socialiste proféré et répété depuis tant d’années, mais se résume à une action de légitime police par les citoyens, défense réactive et permanente des personnes et des biens, précédant l’intervention accessoire et ponctuelle de la police. Le légitime défenseur ne se fait pas justice : il fait la police.

    Les lois réduisant la légitime défense à des situations improbables ou impraticables ou interdisant le port d’arme sont non seulement liberticides (mépris de la vie, de la propriété privée) mais également assassines. En les proclamant, l’Etat et ses juges agressent les citoyens en se rendant coupable de complicité avec les criminels. Ces lois sacralisent uniquement la vie des agresseurs et sacrifient sciemment la vie des victimes. Elles créent en effet un rapport de force définitivement favorable à ceux qui choisissent de s’en affranchir.

    Loin de pacifier la société comme nous pouvons l’observer sans doute possible, les lois socialistes liberticides (interdiction du port d’arme, réduction jusqu’à l’absurde du champ de la légitime défense) génèrent une société anarchique de plus en plus violente où la « bourse ou la vie » est la seule norme, où la loi du plus fort est la seule loi.

  • Foutaises.
    En 1789 le mot sûreté était utilisé pour désigner ce qu’on appelle aujourd’hui sécurité.
    Dans le « Dictionnaire de la Constitution et du gouvernement français Par P.-N. Gautier, 1792 », dont la lecture est passionnante et très instructive, d’ailleurs,
    http://books.google.fr/books?id=JT6o2ygNAMgC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
    le mot sécurité n’existe simplement pas. Le mot sûreté est présent 37 fois, et 37 fois dans le sens du mot moderne de sécurité ;
    L’organe de police chargé de la sécurité publique est encore parfois désigné sous son ancien nom : « la sûreté »

    le droit à la sécurité est dépourvu de tout contenu normatif ?
    Et le code pénal, alors, c’est pas du contenu normatif ? et c’est pas justifié exclusivement par la sécurité (on disait « sûreté », à l’époque) ?
    le CC n’a-t-il pas très régulièrement validé des atteintes à la liberté ou la propriété au motif d’un peu de sécurité ?
    C’est Mme Letteron qui devrait modérer son enthousiasme : le « fondement constitutionnel destiné à légitimer une politique sécuritaire » existe déjà.

  • Mme Letteron; vous écrivez :
    « La sûreté se définit très simplement comme l’état de la personne qui n’est ni arrêtée ni détenue, et qui jouit de sa liberté d’aller et de venir.  »

    Hors dans la langue française (source Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), la Sûreté est définie (en tant qu’état d’une chose) comme :
     » État ou situation de ce qui n’est pas en danger, de ce qui ne court aucun risque. »

    Donc la Sûreté comme Droit Naturel de l’Homme / Citoyen s’entend bien comme étant une situation ou toute personne peut se déplacer et vivre librement sans craindre pour son intégrité physique !!!
    En cela il faut comprendre : aucun risque de mort, de dégradation, d’arrestation arbitraire, de torture…

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