La fiabilité des statistiques de la délinquance, éternel débat ?

Pourquoi les statistiques de la délinquance ne sont-elles pas élaborées et analysées par l’INSEE, comme toutes les autres statistiques concernant les activités de l’État ?

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La fiabilité des statistiques de la délinquance, éternel débat ?

Publié le 12 septembre 2013
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Pourquoi les statistiques de la délinquance ne sont-elles pas élaborées et analysées par l’INSEE, comme toutes les autres statistiques concernant les activités de l’État ?

Par Roseline Letteron.

Le Figaro, dans ses deux parutions du 9 et du 10septembre 2013 engage une campagne centrée sur la hausse des statistiques de la délinquance. Observons à ce propos que ces chiffres ont été connus en juillet, mais que le journal a préféré attendre septembre pour livrer son analyse, probablement parce que leur exploitation politique rencontre davantage d’audience en cette période de rentrée.

L’objet est, on s’en doute, de montrer que les atteintes aux personnes et aux biens ont augmenté depuis l’alternance de 2012, pendant que diminuaient les poursuites contre les étrangers se maintenant irrégulièrement sur le territoire. Derrière les chiffres, un discours subliminal : la population n’est plus en sécurité, et cette situation est liée à la présence des étrangers en situation irrégulière. Et tout ça, c’est la faute à Manuel Valls et à François Hollande.

Impossible comparaison

L’utilisation politique des chiffres de la délinquance n’est pas nouvelle, et c’est bien là le problème. Dans son excellent article paru sur son blog, Laurent Borredon, journaliste chargé des questions de sécurité au Monde, se livre à une analyse rigoureuse des chiffres et montre que les changements intervenus dans les modalités d’établissement de ces statistiques rendent pratiquement impossible toute comparaison entre la période juin 2011/juin 2012 et la période juin 2012/juin 2013.

Pulsar

Au début 2012, la gendarmerie a adopté un nouveau logiciel de statistiques, dénommé « Pulsar ». Il lui permet d’enregistrer tous les faits, alors qu’auparavant elle ne disposait pas, contrairement aux forces de police, de main-courante informatisée. Le résultat a été, par exemple, une hausse annuelle de 114,5% des violences à enfants et de 73% des harcèlements sexuels contre des mineurs. Or les chiffres de ces mêmes infractions étaient, sur la même période, parfaitement stables en zone police. Doit-on en déduire que les habitants des zones rurales sont brutalement devenus de dangereux pervers ? Certainement pas. On peut simplement penser que les gendarmes ont réintégré dans le système des faits délictueux qui étaient auparavant passés sous silence

Une pratique de dissimulation

Il faut le reconnaître, ces faits oubliés des statistiques arrangeaient bien les affaires de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant, présentés comme ceux qui étaient parvenus, grâce à une politique sécuritaire parfaitement assumée, à juguler la délinquance. Souvenons-nous qu’en septembre 2011, les mêmes gendarmes ont reçu une note de leur Directeur général de l’époque, leur demandant de « combattre la tendance haussière actuelle » et de « viser un bilan favorable de l’évolution de la délinquance en 2011« . Si l’on considère ces pratiques, dont on peut penser qu’elles n’étaient pas très différentes dans la police nationale, on peut estimer que les chiffres de 2013 ne reflètent nullement une hausse massive de la délinquance, dès lors que ceux de 2012 avaient été artificiellement minorés.

Derrière le débat actuel s’en cache cependant un autre,  nettement moins conjoncturel, portant sur la fiabilité de l’établissement et de la présentation des statistiques de la délinquance. Ces dernières sont exploitées par l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP). Créé en 2003, il est rattaché à l’Institut national des hautes études de la sécurité et la justice (INHESJ), établissement public placé sous la tutelle du ministre de l’intérieur jusqu’en 2009, puis du Premier ministre depuis cette date.

La suspicion à l’égard de l’ONDRP

Or l’ONDRP demeure une institution contestée. Jusqu’en 2012, son conseil d’orientation, censé garantir cette indépendance, était présidé par Alain Bauer, alors très proche de Nicolas Sarkzoy, qui l’avait d’ailleurs nommé à cette fonction. Inutile de dire que cette situation jetait une certaine suspicion sur l’indépendance de l’institution.

Doit-on aujourd’hui oublier ces craintes, dès lors que l’INHESJ est, en principe, détaché institutionnellement du ministère de l’intérieur et qu’Alain Bauer a démissionné de sa fonction après l’élection de François Hollande ? Non, car ces évolutions demeurent parfaitement cosmétiques. L’INHESJ est toujours dirigé par un commissaire, ancien des syndicats de police, et auteur de plusieurs ouvrages écrits avec Alain Bauer. Ce dernier fait d’ailleurs toujours partie de son conseil d’administration, pourtant renouvelé en avril 2013. Quant à l’ONDRP, il est toujours dirigé par un proche d’Alain Bauer, également auteur de plusieurs livres écrits avec lui, même si son conseil d’orientation est désormais dirigé par un représentant de l’INSEE.

Certes, il ne faut pas faire peser sur l’ONDRP l’intégralité de la responsabilité des manipulations qui ont affecté les statistiques de la délinquance jusqu’en 2012. Mais force est de constater que cette structure n’a pas fait l’objet d’une réforme en profondeur. Si Alain Bauer s’est officiellement retiré d’un poste trop visible, ses proches demeurent largement présents dans l’institution. La question demeure posée de la spécificité des statistiques de la délinquance ? Pourquoi ne sont-elles pas élaborées et analysées par l’INSEE, comme toutes les autres statistiques concernant les activités de l’État ? Ce choix d’une institution qui demeure rattachée, au moins par son personnel, au ministère de l’intérieur, et la décision ne pas toucher aux équipes Bauer toujours en place suscitent nécessairement le doute sur les statistiques de la délinquance. Mais peut être le ministère de l’intérieur, qui affirme qu’il n’a aucun lien avec Alain Bauer, va-t-il engager une réforme réelle des statistiques de la délinquance ?


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  • Si je comprends bien votre propos, l’ONDRP est suspect parce que le président de son conseil d’orientation a été nommé par Sarkozy alors que l’INSEE est fiable parce que son DG a été nommé en conseil des ministres?

  • Chère Madame,
    Comme beaucoup dans cette société de communication, vous écrivez des choses sans justification et sans même avoir pris ni le temps ni les précautions de lire les productions de l’ONDRP.
    Est-ce un défaut d’être lié à telle ou telle personne ? Est-ce parce qu’on est lié à telle ou telle personne qu’on en partage nécessairement et toujours les mêmes opinions ? Est ce parce qu’on est éventuellement lié à telle ou telle personne qu’on ne peut ni être indépendant ni objectif ? Non ! La seule manière de juger de l’indépendance de quelqu’un c’est de le prendre en faute sur ses écrits et ses analyses.
    Est-ce que, depuis 10 ans, l’ONDRP a été pris en défaut sur ses productions, ses commentaires de la statistique policière, ses analyses, etc. Non ! En 10 ans personne n’a mis en exergue des erreurs dans les productions de l’ONDRP. Bien au contraire. A chaque fois qu’un problème s’est posé sur les statistiques policières l’ONDRP a été le premier à l’écrire, le réécrire, etc. Taux d’élucidation supérieur à 100 %, mois tronqués, modifications des pratiques d’enregistrement des plaintes pour escroqueries sur Internet et plus récemment rupture statistique chez les gendarmes à cause de la mise en place de leur nouveau système d’information.
    Je vous rappelle également que le responsable des statistiques au sein de l’ONDRP est un attaché principal de l’INSEE, que je dispose en plus de trois attachés de l’INSEE, que l’INSEE est présent au sein du conseil d’orientation depuis 10 ans et que depuis un an c’est un inspecteur général de l’INSEE qui préside le conseil d’orientation.
    Je me permets aussi de vous rappeler que l’INSEE n’est pas nécessairement exempt de critiques. Combien de polémiques sur les chiffres de l’emploi ? Combien d’études réalisées par les services statistiques ministérielles qui ne sont pas publiées et qui sont stockées dans les cabinets ?
    Je ne suis pas un personnel du ministère de l’Intérieur tout comme d’ailleurs mes collaborateurs. La direction de l’INHESJ n’intervient pas sur les travaux de l’ONDRP et, là encore, on peut être commissaire de police et indépendant ! Et la neutralité du service public !!
    Il ne me semble pas non plus qu’au regard de la polémique engagée par le Figaro l’ONDRP ait été pris en défaut. Et comme l’a rappel lui-même l’actuel ministère de l’Intérieur et la plupart des médias les avertissements méthodologiques que l’ONDRP énonce depuis des mois n’ont pas été pris en compte. D’après vous, pour que Laurent BORREDON écrive son article il s’est appuyé que quoi ? Sur toutes les analyses et productions réalisées par l’ONDRP en janvier 2013 ! Comme il le rappelle lui-même d’ailleurs. Un peu d’honnêteté. Ne soyez pas sélective dans la manière dont vous piochez les informations.
    Je vous invite à lire également le récent rapport de l’IGA sur les statistiques de la délinquance et vous y verrez que l’indépendance de l’ONDRP n’est nullement remise en cause. Bien au contraire il est rendu hommage au travail de l’ONDRP et à ses efforts de transparence (peut-on en dire autant dans tous les ministères) et de pédagogie. Lorsque, en 2011, Alain Bauer a contredit publiquement le ministère de l’Intérieur devant 150 journalistes sur la présentation des statistiques de la délinquance, était-il dépendant ? Lorsqu’on nous indiquons que le chiffre unique ne veut rien dire alors que tous les responsables politiques l’utilisaient, sommes-nous dépendants ? Lorsque nous indiquons que certaines infractions ne sont plus toutes prises en plainte, sommes-nous dépendants ? Lorsque nous mentionnons que certains faits sont contraventionnalisés, sommes-nous dépendants ?
    Nous ne sommes ni responsables de l’usage qui est fait des chiffres par les pouvoirs publics (et qui pose le même problème sur la plupart des statistiques), ni de la manière dont les faits sont collectés. Il y aura toujours à la base d’une statistique un policier ou un gendarme qui enregistrera la plainte et donc cet enregistrement sera toujours soumis à une influence ! Vous aurez beau vous parer de toutes les vertus de l’indépendance vous ne changerez rien à cela.
    Alors, de grâce, avant de remettre en cause une structure et de porter atteinte à la probité de ses personnels, essayez d’avoir des arguments qui ne portent pas uniquement sur les liens et l’allégeance supposés d’un tel en direction d’un autre. Prenez la peine de lire nos études !
    Je reste bien entendu ouvert à tout échange ou dialogue pour peu qu’il soit constructif.
    Christophe SOULLEZ
    Directeur de l’ONDRP (indépendant dans la réponse qu’il vous fait).

    • Quelles sont les justifications habituelles des actes de vols et autres agressions ?
      – le chômage
      – la crise économique
      Depuis 2012, le chômage (notamment des jeunes) bat des records et la crise économique nous menace d’une récession.

      Et Dame Letteron s’étonne d’une augmentation de la délinquance ?

  • La crise économique n’arrange rien en effet mail le problème de laxisme judiciaire et le manque de places de prison est aussi un problème…

  • Les commentaires sont fermés.

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