Un monde d’azur, par Jack Vance

Critique du livre de science-fiction Un Monde d’Azur, par Jack Vance.

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Un monde d'azur (Jack Vance)

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Un monde d’azur, par Jack Vance

Publié le 8 septembre 2013
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Critique du livre de science-fiction Un Monde d’Azur, par Jack Vance.

Par Cyril C. 

Publié la première fois en 1966 aux États-Unis et en 1970 pour la France, Un Monde d’Azur prend place sur une planète inconnue, entièrement recouverte d’eau, et dont la matière la plus dure est l’os humain. Depuis que s’est écrasé le vaisseau des deux cent premiers colons, fuyant les « tyrans » [1], douze générations ont passé. Habitant sur un archipel d’îles constituées d’algues flottantes, les hommes se sont organisés en une société hiérarchisée en castes et corporations bien définies, issus des Premiers. Cet archipel est protégée des créatures marines par le Roi Kragen, un monstre marin qui, en échange d’éponges (la principale source de nourriture sur cette planète), s’occupe de tuer les créatures plus petites qui viennent piller les ressources de l’archipel. Or, plus le temps passe, plus le roi devient gros et plus il a d’appétit.

On peut voir dans le Roi Kragen une allégorie de l’État. Jack Vance semble d’ailleurs prendre ici le concept d’État Léviathan au pied de la lettre. Le Roi Kragen est littéralement un léviathan, un monstre marin colossal que les habitants de l’archipel considèrent comme un Dieu.

« Le Roi Kragen est puissant, le Roi Kragen est sage et bienveillant, sauf quand sa dignité est outragée, comme ce fut le cas à l’odieux incident de Tranque, où l’entêtement d’un libre penseur fanatique a provoqué le malheur d’un grand nombre. »

Cet État mythifié et déifié est à l’origine d’un culte, avec ses fidèles et ses grands prêtres. Au premier rang, on trouve les intercesseurs, la caste le plus importante de la société puisqu’elle est chargée de faire le lien entre la bête et les hommes, de parler au nom des hommes à la créature. De ces grands pouvoirs découlent de grandes richesses et de nombreux privilèges dû à leur fonction.

« Les intercesseurs, qui prétendent avoir tant de pouvoirs, courent en vain ici et là. Nous devons agir par nous-même ; n’est-ce pas là le libre arbitre et cette indépendance que les hommes revendiquent comme droits fondamentaux ? »

Dans cette société bien huilée, le grain de sable qui grippe la machine vient lorsque Sklar Hast, le héros de l’histoire, décide de ne pas attendre que le Roi s’occupe d’un petit kragen qui lui vole ses éponges et règle le problème lui-même. La question qu’il ose poser brutalement (a-t-on besoin du Roi Kragen ?), personne ne veux en entendre la réponse, et surtout pas la caste des intercesseurs, évidemment ! Celle-ci aurait bien trop à perdre de la mort de la bête et devrait alors, comme le souligne le héros, travailler comme tout le monde.

« Il ne fait aucun doute que nous sommes devenus mous et craintifs (…). Au lieu de nous protéger nous-mêmes, nous payons un monstre pour faire le travail à notre place. »

En posant cette question et en y apportant la réponse, Sklar Hast commet une hérésie impardonnable, un crime de lèse-majesté : il ose remettre en cause publiquement le pouvoir du Roi Kragen et cherche même à le tuer. C’est ce crime que la société [2] des îles entend punir. On l’accusera de folie et il sera banni ; et même banni, il sera considéré comme une menace. D’ailleurs, qui est vraiment l’ennemi ? Est-ce le Roi Kragen ou bien les hommes de pouvoir ? Car, finalement, le plus grand adversaire de Sklar Hast est moins le monstre que la guilde des intercesseurs.

Jack Vance n’est peut-être pas un grand écrivain, mais cet ancien de la marine marchande n’a pas son pareil pour décrire des sociétés imaginaires et exotiques d’une grande richesse. Un Monde d’Azur n’est certes pas l’œuvre la plus importante de l’auteur ni la seule à proposer une thématique libérale (on pense à Wyst : Alastor 1716Emphyrio ou L’Homme sans visage) mais elle demeure pas moins originale. C’est une fable qui nous raconte le destin d’un homme épris de liberté et de ses efforts pour surmonter les obstacles que dressent sur son chemin les hommes de l’État. Songeons à ce qu’encourent les « fous » qui, dans notre pays, osent remettre publiquement en cause, par exemple, le monopole de la sécurité sociale…

Le Monde d’Azur ne fait pas officiellement partie du Hall of Fame de la Libertarian Futurist Society, au coté du Seigneur des Anneaux, de 1984 ou de Révolte sur la Lune, mais il y fut néanmoins proposé 4 fois : en 1988, 1994, 1995 et 1996. Espérons que la cinquième sera la bonne !

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Note :

  1. Dès la première page, le lecteur est amené à avoir de sérieux doutes vis-à-vis de la mythologie des Premiers. En effet, vu le nom des différentes castes qui composent la société décrite (escrocs, incendiaires, contrebandiers, malfaiteurs, etc.), on se pose la question : les 200 Premiers fuyaient-ils vraiment une tyrannie ?
  2. Il ne s’agit pas, bien sur, de la société toute entière mais seulement des éléments disposant des leviers de pouvoir. Le reste de la population, laborieuse et silencieuse, prendra finalement fait et cause pour les dissidents.
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  • « Jack Vance n’est peut-être pas un grand écrivain » sisi c’est un grand de la SF http://fr.wikipedia.org/wiki/Jack_Vance
    à lire et à relire

    • Il est évident que Jack Vance est un grand auteur de SF. Je dit que ce n’est pas un grand écrivain dans le sens où la majorité des critiques à son encontre pointent des personnages un peu creux et des intrigues parfois simplistes (comme c’est le cas avec le Monde d’Azur). Il n’en reste pas moins un formidable conteur et un créateur de monde hors-pair.

  • Jack Vance est un de mes auteurs préférés, et je pensais justement à sa réflexion sur le rôle de l’infalsifiabilité de la monnaie dans « La machine à tuer » en lisant hier les articles de Contrepoints sur le bitcoin…

  • Merci pour cette très intéressante recension.

    Juste pour ajouter un point. Jack Vance est aussi un très bon conteur. Et ce livre est particulièrement bien écrit pour faire tourner les pages avec intérêt.

  • J’ai lu ce livre pour la première fois quand j’avais autour de 15 ans (la première édition de 1970). Je remets ici ce que j’en disais sur liborg:

    Le Monde d’azur (The blue world) est une petite prouesse du genre: comment, en une histoire assez courte (une grosse centaine de pages) et mouvementée, proposer une allégorie de l’humanité et ses travers collectivistes comme conservateurs, dénoncer la violence de l’état comme source d’autorité en l’incarnant littéralement dans un « léviathan » monstrueux, faire l’apologie de l’individualisme et de la recherche de sa propre amélioration comme moteur d’innovation et de prospérité pour tous, ainsi que de la destruction raisonnée mais violente de la figure d’autorité absolue, le tout sans jamais utiliser de terme politique, sans la moindre allusion même indirecte à quelque personnage ou mouvement ayant existé, uniquement en mettant en scène des hommes loins de tout, sans le moindre lien avec notre monde, notre culture ou notre histoire, et leur façon de se confronter à un monde radicalement différent.

    Jack Vance est l’anti-Rand. Chaque phrase fait avancer l’intrigue ou plus rarement le développement des personnages. Dans ce livre il ne fait rien de moins que l’apologie complète et totalement implicite de l’esprit d’initiative et de liberté de l’homme contre l’état et le collectivisme (avec en bonus des piques contre la religion étatiste et le fascisme), rien qu’en plaçant ses personnages en situation de devoir prendre des décisions morales et d’agir, et ce sans jamais parler de théorie économique, de philosophie, de finance, d’impôt ou quoi que ce soit qui pourrait rebuter les allergiques aux prêches et aux monologues à la Galt.

    Bref, plutôt que d’essayer de faire lire un indigeste Ayn Rand à des proto-socialistes, proposez-leur de lire un court texte dépaysant, mi-conte philosophique, mi-roman d’aventure.

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