Afrique : vers une croissance en dents de scie ?

L’Afrique se dirige vers une croissance en dents de scie, par manque d’épargne et d’une industrie forte.

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Afrique : vers une croissance en dents de scie ?

Publié le 30 août 2013
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L’Afrique se dirige vers une croissance en dents de scie, par manque d’épargne et d’une industrie forte.

Par Chris Becker, depuis l’Afrique du Sud.
Un article du Mises Institute. Traduction Nicolas Kokel/Axoma.

Les économies occidentales commençant sérieusement à régresser suite à des décennies d’inflation monétaire infructueuse et destructive, et à l’accumulation de dettes, les investisseurs en mal de rendement redirigent les capitaux réels vers le seul continent industriellement inexploité dans le monde : l’Afrique. Cependant, nous ne voyons pas l’industrie se déplacer vers l’Afrique pour s’y implanter. Au lieu de cela, les capitaux canalisés par la voie politique vers le secteur des matières premières alimentent et financent le cycle de croissance de la consommation le plus puissant du monde. Il s’agit là d’un modèle commercial pour l’Asie, ce qui présage d’un cycle majeur d’expansion-récession de l’économie en Afrique continentale.

Le paysage de l’investissement

Ces dernières années, la majeure partie de l’investissement en Afrique a été dirigé vers les infrastructures, (en premier lieu desquelles les réseaux d’approvisionnement en énergie et les transports), l’énergie et l’agriculture. Les flux d’investissement sont contrôlés principalement par des entreprises sous contrôle étatique dans le domaine énergétique (en grande partie indiennes et chinoises) et par des fonds d’investissement privés dans le cadre de partenariats privé-public touchant aux infrastructures et à l’agriculture. L’attrait est ici constitué par une richesse abondante en ressources naturelles et minérales inexploitées, ainsi que de terres agricoles arables dont l’exploitation peut être développée au service du marché asiatique en expansion ainsi que du marché de la consommation occidentale.

Ceci étant posé, de nombreuses entreprises viennent en Afrique dans le but de bénéficier de la forte croissance du marché de la consommation africaine. Pour n’en nommer que quelques unes, nous constatons que le détaillant américain Walmart, l’espagnol Zara, les australiens Trenery, Witchery, et Cotton On, le détaillant britannique TopShop, et le détaillant français Carrefour, ont tous implanté des magasins en plusieurs endroits en Afrique Sub-Saharienne au cours des deux dernières années.

Il y a peu ou pas de nouvelles mentionnant l’implantation en Afrique par des entreprises industrielles internationales majeures d’usines ciblant les marchés d’exportation. C’est là la conséquence d’un environnement des affaires et d’une réglementation trop exigeants en Afrique, ainsi que de taux d’épargne trop bas pour permettre le développement d’une division du travail sophistiquée, alors que cette dernière permettrait à l’Afrique de rivaliser avec l’Asie ou l’Occident. Il est actuellement plus facile plus facile de prélever les matières premières brutes en Afrique afin de les échanger contre des produits finis, plutôt que de tenter de fabriquer ces derniers localement.

Le « ventre mou » de l’Afrique

L’histoire de l’Afrique est donc celle de l’expansion des secteurs importants des biens de production (plus éloignés du consommateur – c’est-à-dire, l’extraction minière et l’agriculture) et des produits de consommation (plus proche du consommateur – c’est-à-dire, la vente en gros et la vente au détail). On rencontre des exploitations minières et de l’agriculture et l’on trouve aussi la distribution, mais le centre est absent. Ce centre est celui de la production manufacturière diversifiée, le cœur productif de tout pays réellement émergent. L’Afrique est pourvue d’une infrastructure productive relevant essentiellement des biens de consommation et des services, ainsi que de procédés très basiques d’extraction des matières premières, avec entre les deux un ventre mou.

Par exemple, si vous vous rendez dans la région productrice de cuivre en Afrique – la Ceinture de Cuivre en Zambie – vous ne pouvez pas acheter un souvenir en cuivre qui aurait été produit localement. Le cuivre est expédié à deux ou trois mille kilomètres de là en Chine, où il est transformé en biens de consommation – des souvenirs touristiques dans le cas présent – avant d’être réexpédié par bateau vers la Ceinture de Cuivre, ou ils seront vendus aux consommateurs. L’Angola exploite des gisements pétroliers sur son sol, mais exporte le pétrole brut offshore pour son raffinage, avant qu’il soit ne soit réimporté comme produit de consommation locale.

L’histoire de l’Afrique au cours des dernières décennies est celle de l’exportation des matières premières en échange de biens de consommation.

Préférence temporelle et accumulation du capital en Afrique

La raison du sous-développement des secteurs intermédiaires tient à des taux d’épargne particulièrement bas sur cette période, ce qui a mené à un déficit de capital accumulé et partant, à un déficit du secteur productif (manufacturier) en biens d’équipement. Les sociétés africaines ont tendance à être moins patientes que leurs homologues japonaises, chinoises, ou occidentales, et affichent des niveaux d’épargne incroyablement bas. Lorsque les Africains démontrent une réelle volonté d’épargner, leurs efforts ont été contrecarrés par des dépenses d’endettement irresponsables de la part des gouvernements, par la planche à billets et l’inflation monétaire, la confiscation pure et simple, ou la guerre.

Pour soutenir que l’Afrique sera transformée en zone de production manufacturière, il faudrait aussi pouvoir prétendre que la préférence temporelle africaine va décroître afin de dégager les économies nécessaires et l’investissement servant au développement de biens de production et de biens d’équipement sophistiqués et à valeur élevée.

Les Africains doivent arrêter de dépenser dans des biens de consommation et commencer à épargner et à investir dans les procédés de production. Cependant, avec des devises mal gérées, des taux d’intérêt réels négatifs, la hausse du crédit  à la consommation, en complémentarité d’une mauvaise gestion monétaire à l’étranger, on constate l’existence d’une structure institutionnelle fortement hostile à l’épargne. Lorsque l’on assiste néanmoins à une augmentation du taux d’épargne, l’Etat se charge d’annihiler ces efforts en redirigeant les ressources vers la dépense gouvernementale.

L’Afrique voit un afflux d’épargne étrangère et d’investissement se déverser dans le développement de l’exploitation des matières premières et des infrastructures, mais les recettes générées par ces secteurs sont soit gaspillées par les politiciens dans leurs projets de prédilection, soit en investissements de mauvaise qualité qui n’ont que peu ou prou de valeur économique, soit encore employés au financement de déficits commerciaux perpétuels. Il parait donc plausible que la renaissance du consommateur africain s’appuie en grande partie sur le boom des matières premières financé par la dette tant au niveau local que sur le marché en pleine expansion des émissions obligataires Africaines (Eurobonds Afrique). Bien entendu, les investisseurs internationaux, privés de rendement, sont incités à se tourner vers ces investissements à haut risque par la politique monétaire fortement expansionniste de leurs banquiers centraux. Les détaillants étrangers s’implantent pour prendre des parts du marché de la distribution résultant de l’investissement étranger. Le consommateur africain est actuellement en mesure d’apprécier ces marchandises pour aussi longtemps que l’investissement étranger reste fort, mais, que se produira-t-il lorsque l’exploitation minière et agricole faibliront et que les capitaux étrangers s’en iront vers d’autres horizons ?

Le nouveau modèle de financement commercial asiatique

Le plus fascinant dans cette histoire, c’est que durant les dernières décennies, l’Asie a financé commercialement la consommation occidentale. Désormais, par contre, l’Asie finance commercialement le consommateur africain en investissant dans ses matières premières et son secteur agricole tout en achetant les produits de cette exploitation, procurant de ce fait à l’Afrique les fonds nécessaires à l’achat de ses biens d’équipements. Au lieu d’obtenir des Bons du Trésor Américain en échange des biens de consommation, l’Asie reçoit les terres et les matières premières, de vrais biens tangibles, comme contrepartie. C’est un modèle de financement commercial beaucoup plus puissant que celui mis en œuvre pour financer la consommation occidentale, mais il fait de l’Afrique un brocanteur de matières premières, avec des ménages et des gouvernements toujours plus endettés. Ce modèle n’a pas si bien fonctionné que cela en ce qui concerne l’Occident.

Conclusion

C’est uniquement par l’augmentation de l’épargne réelle à travers une baisse volontariste de la préférence sociale temporelle, que l’Afrique peut devenir un continent sain et réellement diversifié du point de vue économique. C’est la seule voie possible vers le progrès de l’économie africaine. D’ici à ce que soit développés des environnements politiques plus favorables à l’épargne et que la population africaine dans sa globalité se mette à épargner davantage, les profits résultant des investissements ne seront probablement pas durables, mais exposés aux caprices des presses à billet occidentales. La réalité est que, puisque ce n’est pas la direction qu’emprunte l’Afrique, elle se dirige vers un nouveau cycle économique  majeur d’expansion-récession.


Version anglaiseTraduction originale

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  • Article bien elevé, propre mais me rappelant les previsions doctes des experts expliquant que le mobile n’avait aucun avenir en Afrique dans les annees 90.

  • Vous avez raison, mais ce qui m’a interpellé dans cet article, c’est que l’auteur tiens le même discours que le miens depuis plusieurs années : il faut tout faire pour que les investissement puissent se diriger vers la production de biens à plus forte valeur ajoutée sur le sol d’Afrique.
    Malheureusement les entrepreneurs ni sont pas réellement incités pour les raisons explicitées dans cet article.
    La bulle africaine qu’envisage cet auteur n’est que potentielle, et l’on peut encore l’éviter, avec beaucoup de courage et de volonté,et surtout moins d’ingérence politique.
    La préférence donnée aux flux financiers a déjà conduit à plusieurs bulles d’investissement, comme celle de l’immobilier de Marrakech, qui s’est effondré de 70% après son pic.
    Les villes les plus chères au Monde sur le plan du logement sont pour plusieurs d’entre elles en Afrique, et ce n’est pas logique considérant que c’est le continent le plus pauvre au Monde : on assiste à un grand écart entre les investissement spéculatif ne fournissant aucun rendement justifiés par une attente de hausse des prix, et les investissements productifs auto-amortissables toujours délaissés..
    Pour inverser cette tendance, il faudrait que certaines mesures soient prises vers plus de libertés individuelles et économiques.
    Il y a des signes prometteurs, mais l’Afrique partant de très bas, les aspects positifs ne sont pas visibles au premier coup d’oeil, car dissimulé dans des chiffres statistiques très faibles: les valeurs étant très basses, on ne distinguent pas encore la progression fulugrant dans certains domaines, et comme vous je met l’accent dans un autre article (aussi repris ici même) sur l’importance du développement des services et de la communication : http://www.axio.ma/Analyse-economique/L-essor-de-l-Afrique-n-est-sans-doute-pas-un-mythe-content-100.php

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