La société française à deux étages

Témoignage intéressant « en deux étages » qui montre à quel point la société française entre en déliquescence.

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La société française à deux étages

Publié le 29 août 2013
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J’ai récemment parlé d’immobilier et aujourd’hui, je voudrais relater ici le témoignage d’un de mes lecteurs (qui se reconnaîtra et que je remercie au passage). Comme on va le découvrir, l’accession à la propriété, de nos jours, en France, peut conduire à tout et notamment à mesurer, en prise directe, l’état général de déliquescence du pays.

Pour plus de praticité, l’aimable lecteur qui nous rapporte ses aventures sera appelé Pierre par la suite ; pour faire comme les rédactions à sensation des journaux actuels, je tiens bien sûr à préciser que le prénom a été changé et choisi au hasard dans une liste contenant toute la dose de diversité et la parité nécessaire pour éviter la moindre discrimination et l’amalgame malheureux. Notez que j’aurais pu choisir Sven, Mouloud, Batman ou Pimprenelle, mais, vous le verrez, le sujet est suffisamment sérieux pour qu’on évite de s’éparpiller.

Bref.

logo ca - le bon sens a de l'avenirL’histoire est récente, puisqu’elle débute en juin de cette année. L’été s’installe, les petits oiseaux gazouillent, les arbres et les massifs municipaux des multiples ronds-points se fleurissent à grands frais et Pierre se lance dans l’achat d’un bien immobilier. Pour cela, il va passer par des enchères publiques : un bien a en effet retenu son attention. Il s’agit d’un modeste immeuble de rapport constitué de deux logements, identiques, sur deux étages, et d’un local commercial, libre, au rez-de-chaussée. Pierre a pris soin, avant d’envisager l’achat, de consulter le dossier rédigé par l’avocat du créancier. Ce dernier, le Crédit Agricole, indique les conditions qui amènent ce bien aux enchères : le précédent propriétaire l’avait acquis en 2008, pour un montant de 162.000€, intégralement financé par un crédit sur 25 ans, alors que ses revenus de salarié d’une agence immobilière n’étaient que de 2250€ mensuels. « Le bon sens a de l’avenir », dit-on au Crédit Agricole, réputé pour une être une indécrottable bande d’optimistes.

enchères - balaisL’enchère est de courte durée, Pierre est le seul enchérisseur présent, et le montant initial est même revu à la baisse pour un total final de 60.200€… Le marché immobilier n’est plus ce qu’il était jadis, semble-t-il. Une fois reçu le jugement d’adjudication, validant Pierre comme nouveau propriétaire, ce dernier décide de rendre visite aux locataires afin de leur faire connaître leur nouveau propriétaire, et prendre connaissance des contrats locatifs qu’il n’avait pu obtenir avant l’achat.

La matinée touche à sa fin. Se rendant au premier étage et toquant à la porte, une dame de 35 ans environ, en robe de chambre, lui ouvre la porte. Pierre lui explique l’objet de sa visite : il désire simplement prendre connaissance du bail. Elle le fait entrer, ce qui permet à notre homme de découvrir qu’elle est l’heureuse maman de quatre enfants. Les fouilles qu’elle mènera dans les minutes qui suivent dans une paperasse assez peu organisée ne permettront pas de retrouver le document recherché, Pierre lui demande simplement le montant du loyer dont elle s’acquitte. Petite surprise : elle s’avère incapable de lui en donner le montant. Elle n’en paye rien, puisque « c’est la CAF qui gère tout ça ». Pierre insiste : après tout, c’est elle qui a signé le bail, et elle a forcément des courriers de la caisse d’allocations familiales sur le montant versé chaque mois au propriétaire. Malheureusement, les recherches s’avèreront aussi infructueuses que les précédentes. L’allocataire retrouve tout de même son numéro, habilement stocké dans son téléphone portable, ce qui permettra peut-être au nouveau propriétaire de retrouver l’information auprès du payeur réel.

… Auquel il se rend et apprend que le montant de l’APL de cette dame s’élève à 478€ versés directement au propriétaire. Heureuse surprise : compte-tenu de la localisation du bien, de son étage et des paramètres habituels, Pierre pensait le loyer moins élevé. Quant aux changements de propriétaire, tous les papiers devront être envoyés par courrier, avec le cerfa machin, le coup de tampon bidule et vous signez là et tout sera automatique et merci et bonne journée.

Bien évidemment, deux mois plus tard, et malgré l’envoi de tous les papiers nécessaires, la CAF ne parviendra pas à payer directement sur le compte de Pierre, comme prévu. Sur place, on expliquera à Pierre que, faute d’effectifs suffisants, par manque de moyens et parce qu’il n’y a pas assez de gens présents et tout ça, les courriers ont un mois et demi de retard, et les virements des deux mois précédents ont encore été réalisés sur le compte de l’ancien propriétaire, mais rassurez-vous mon bravmôssieu, les paiement auront bien lieu rapidement, « Charge à nos services de récupérer les sommes indûment perçues par l’ancien propriétaire » (connaissant la situation de ce dernier, on leur souhaite bien du courage pour recouvrer les sommes).

Les bonnes nouvelles s’enchaînant joyeusement, un coup de téléphone le lendemain permet à la locataire du premier d’indiquer à Pierre qu’elle a retrouvé son bail et les papiers de la CAF. Leur lecture permettra d’établir que le montant du loyer est en réalité de 340€, et que le montant des prestations de cette dame est de 1542€ mensuels hors APL. Pierre profitera d’un nouveau passage à la CAF pour tenter de comprendre le différentiel entre le loyer versé par l’organisme et le bail du loyer. Stupéfaction (confirmée ensuite à la lecture du guide du bailleur) :

« Non, non, Monsieur, point d’erreur de nos services. Il arrive dans certains cas que le montant versé soit supérieur au loyer. Les droits de cette dame en aide au loyer sont de 478€. Charge à vous de faire le remboursement du trop perçu au locataire. »

bureaucratie : rien ne pourra plus l'arrêter !

Parallèlement à cette histoire CAFkaïenne, Pierre a bien évidemment tenté de rencontrer les locataires du second étage. Rarement là, ils sont difficiles à joindre. Après quelques jours, Pierre tombe en fin d’après-midi sur un garçonnet de neuf ans qui lui ouvre et lui apprend que ses parents travaillent et ne seront là le soir que vers 20H.

La prise de contact aura donc lieu le soir même. Pierre fait alors connaissance d’un couple dont le mari est artisan boulanger et la femme tient la boutique, qu’ils ont repris depuis quatre ans à quelques 300 mètres de l’appartement. Le bail, présenté rapidement, est de 340€, comme à l’étage inférieur. Mais ici, la CAF n’intervient pas : ils nagent en effet dans l’opulence avec des bénéfices de 19.800€ annuels et leur trop petit nombre d’enfants (un seul, pensez donc !). Les histoires de loyer évoquées, la discussion roule gentiment sur les banalités habituelles de la pluie et du beau temps, de la fatigue qu’on peut comprendre pour ceux qui se lèvent à 4H du matin et qui ferment leur boutique à 19H30, et sur les petits soucis d’argent. Eh oui. Le RSI (vous savez, le régime des indépendants si cher à nos artisans) vient d’envoyer un gros rappel (9.200€). Évidemment, aucune explication de ce rappel n’aura été fournie, ni par le comptable, complètement perdu, ni par les services concernés de l’organisme, complètement incompétents. ‘ Manquerait plus que ça ! On est en France, éternelle et merveilleuse, merdalafin.

Bilan : le papier timbré a été envoyé, et qu’importe si le rappel parait démesuré par rapport à l’activité de la boulangerie. Qu’importe finalement si cette somme, plus que probablement indue, n’est là que pour éponger les dettes d’un système qui s’écroule tous les jours un peu plus sous nos yeux. Qu’importe. C’était payer ou les huissiers. La bourse ou la vie (professionnelle, au début). Le boulanger clôra la conversation dans un soupir :

« Mais rassurez-vous. Nos loyers ont toujours été versés en temps et en heure. »

Tout va bien, alors.

Pierre quitte donc l’artisan et sa famille, un peu sonné de la différence si radicale d’un étage à l’autre. Certains, en France, bénéficient plus de l’égalité et de la fraternité que d’autres. En passant par l’arrière-cour le menant à la sortie du bâtiment, il tombe sur deux vélos d’enfant. L’un d’eux est flambant neuf, un BMX 380 prêt à décoller pour de nouvelles aventures. L’autre est un vieux clou qu’on aurait du mal à recycler même à la communauté Emmaüs. Le premier appartient à l’un des fils de la locataire du premier. Pas le second.

ModernWelfareTout ceci n’est, bien sûr, qu’un exemple parmi tant d’autres et il est impossible, à partir de cette tranche de vie, d’établir une statistique, d’analyser une tendance de fond, de tirer de grandes conclusions sur l’état réel de la société. Il s’agit pourtant d’un témoignage vécu, d’une tranche de cette réalité que nos politiciens, notamment ceux qui se trouvent si mal payés, ne peuvent absolument pas toucher du doigt ni même approcher. Cette tranche, aussi malingre et critiquable soit-elle, entraîne cependant quelques questions.

Ainsi, on peut se demander si la fraternité dont la République se gargarise bien volontiers au perchoir est aussi belle à regarder en pratique ; les aides, qui coûtent si cher à ponctionner, sont-elles vraiment distribuées aux plus méritants ? Permettent-elles vraiment l’émergence ou la perpétuation de valeurs qui fondent la vie en société, qui s’appuient notamment sur l’équité, la justice, qui encouragent l’effort et sa juste rétribution ? Ainsi, est-il vraiment souhaitable que le travail des uns permette aussi manifestement l’oisiveté des autres ?

Et moralement, que peut-on attendre d’une société qui n’offre plus de perspective pour un artisan et sa famille, ou qui en offre plus à des personnes qui ont choisi l’assistanat qu’à celles qui ont choisi le travail ?
—-
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  • Lorsqu’on demande la réduction des dépenses publiques il faut savoir que les dépenses de l’Etat ne constituent pas la part le plus importante.
    la grosse partie des dépenses publiques, ce sont les dépenses sociales.

  • état = incapable. mais lorsqu’on dit ça, souvent on nous jette des pierres. pourtant les preuves sont là, sous notre nez et à longueur de journée. finalement, on préfèrerait ne pas savoir.

    • Si vous dites ça, Il y en aura toujours un pour sortir la nécessité des routes, des hôpitaux ou sortir le cas trollesque de la Somalie, parler du far-west…
      Le syndrome de Stockholm est très implanté…

  • 162 000 euros pour des revenus bruts (si tout va bien !) de 2*12*340= 8160 €. déduisez la CSG, les taxes foncières, les frais divers d’entretien, et les intérêts d’emprunt (à 4% : 6400 €) ; supposons le fisc généreux (merci la « niche ») au point de ne rien prendre (mouais…) … ajoutez les emmerdements …
    C’était un placement pourri, pas étonnant que l’employée ait claqué.
    Effectivement, « le bon s’en va de l’avenir », car au présent ça a pas l’être.
    Pierre s’en tire bien, au pouce mouillé le bidule vaut, quoi, disons 90 000 ?

  • On reconnaît les trolls à l’absence totale de contenu de leurs commentaires creux.

    • Oui, mais l’argument du troll du dessus se retourne aisément:
      Chaque fois qu’un folliculaire à gage (Proust approved) essaie de faire pleurer dans les chaumières sur les pauvres anéantis par le Grand Capital Libéral en rapportant un cas tristounet à souhait.

    • Il serait intéressant – gros boulot, c’est du collectif ! – de tenir les chroniques de ce genre d’abus, et la myriade de ceux qui n’ont jamais travaillé et qui sont malgré tout devenus des experts en droit social – le leur!… En agonisant les trolls sous la masse des « cas particuliers » – si banals – ils finiraient pas admettre (sans doute pas…) qu’in ne s’agit pas d’un arbre au milieu du désert, mais bien d’une foret dense de prestations qui s’enchevetrent.

      Je suis même certain qu’on peut recruter parmi les fonctionnaire des chroniqueurs de ce genre – ils sont bien placés et se prennent sans doute dans les gencives régulièrement les « mieux armés » de ces experts en droit a percevoir l’argent des autres.

      Il est certain que ces fonctionnaire font partie des plus agacés de cette situation, ils avalent des couleuvres tous les jours.

    • On comprend surtout qu’il y a de bons glandeurs bien engraissé sur le dos des autres

  • Pierre devrait savoir qu’on n’achète jamais, pour aucune raison ni sous aucun prétexte, un logement occupé.

  • Je soupçonne que ces deux exemples, loin de représenter l’exception, sont plutôt la norme dans notre beau pays.
    Bien évidemment, il ne faudrait surtout pas que cela s’ébruite…

    • Bien ouais, c’est le genre de thèse qui est tellement ennemie-de-la-démocratie, qu’il faut se boucher le nez et les oreilles à la première parole d’un tenant de cette ignominie.
      – Les oreilles pour se préserver des paroles démoniaques
      – Le nez pour se préserver de l’haleine démoniaque de l’orateur.

  • On est le seul pays où être politique est une profession et il faut bien que ces gens vivent quand même ! alors ils font tout, surtout quand ils sont au pouvoir) pour que ceux du premier étage (contre qui j’ai rien de spécial du reste) se sentent bien pour permettent à nos sympathiques dirigeants de garder leur boulot, c’est comme ça.
    Le gros problème c’est que ces gens ne créent aucune richesse et on ne peut pas indéfiniment piller les richesses des uns pour donner aux autres. On ne peut pas non plus indéfiniment dire aux gens ce qui est juste à leur place, à la fin ça finit par se voir !
    Malgré tout, ça ne changera pas car la France ne sait pas faire de réformes, elle ne sait faire que des révolutions. Comme toute révolution, c’est imprévisible donc…

    • ça m’énerve ce poncif de « la France ne sait pas faire de réformes, elle ne sait faire que des révolutions ».
      Des réformes significatives il y en a eu, pleins. Critiquables, bien sûr, et critiquées, souvent à juste titre : pas toujours suffisante, et même pas toujours dans le bon sens. Mais pas nulles.

      • P, Avec ce que vous dites sur les réformes, c’est bien la preuve que nous ne savons pas les faire…
        Mais je suis plus que pour des réformes intelligentes et vraiment justes, croyez-moi !

        • non, c’est la preuve que vous êtes un pur produit du mammouth, qui enseigne la perfection ou rien. Comme si la vie ne comptait que deux cases : succès/échec, et que tout ce qui n’est pas indubitablement dans la première est automatiquement dans la seconde (qui du coup est bien mieux remplie que l’autre case).
          Dans cette vision, il n’y a aucune place pour les succès partiels.
          Soyez plus souple. Plus tolérant. Plus libéral.
          Exigez des réformes « vraiment » justes, mais sachez prendre votre parti de réformes seulement « un peu plus » justes.

        • Moi aussi je vais « réformer » ma petite cuisine; un coup de peinture (subventionnée en crédit d’impot), et hop!…

      • Malheureusement, le cas exposé est loin d’être unique. Mon métier me permet d’affirmer tout le contraire, j’ai instruit des centaines de demandes de prestations de ce type.
        Il ne s’agit pas de récompenser les plus méritants, cette valeur est inexistante dans la distribution d’argent gratuit, voire même très mal considérée. Il s’agit de permettre à ceux qui n’en ont pas les moyens d’avoir le nombre d’enfants désirés, sans se poser la question de leur entretien.

        • Je soupçonne un certain nombre de n’avoir en fait aucun désir d’enfants, seulement un désir de « l’argent braguette ».

          • Ceci n’est pas certain; mais quand on a vocation traditionnelle a en faire, avec famille élargie pour s’en occuper, et qu’en plus ca chiffre sans rien faire de plus, ca n’incite pas a se priver…

  • Lisez jusqu’au bout : tiré de l’antépénultième paragraphe :
    « Tout ceci n’est, bien sûr, qu’un exemple parmi tant d’autres et il est impossible, à partir de cette tranche de vie, d’établir une statistique, d’analyser une tendance de fond, de tirer de grandes conclusions sur l’état réel de la société. »

    • Merci pour la remarque before.
      Je l’ai bien lu, ne t’inquiètes pas, mais il ne faut être dupe quand même, y a des choses qu’on voit tous.
      Le problème, c’est qu’elles se voient davantage en période de crise.

  • C’est à vomir de rire ! Merci pour ce billet, frais et tellement vrai.
    Vivement la PS4…..pour se détendre.

  • Mais on ne parle pas de la cave, parce que là…

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