Le trader Fabrice Tourre condamné : décryptage

Le trader Fabrice Tourre a été condamné jeudi pour six des sept chefs d’inculpation, à New York, lors de son procès face au gouvernement américain. Décryptage.

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Banques argent finance (Crédit : 401(K) 2013/Creative Commons)

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Le trader Fabrice Tourre condamné : décryptage

Publié le 4 août 2013
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Le trader Fabrice Tourre a été condamné jeudi à New York, lors de son procès face au gouvernement américain. Une reconnaissance du rôle de la finance dans la crise comme le répète le politiquement correct ?

Par Vladimir Vodarevski.

Le verdict est tombé : Fabrice Tourre, « fabulous fab« , est reconnu coupable de fraude, ainsi que leFigaro.fr l’annonce. Fabrice Tourre est accusé d’avoir vendu des titres qu’il savait toxiques, comme on dit aujourd’hui. Son procès est présenté comme celui du secteur financier, considéré comme responsable de la crise actuelle.

Les comportements des banques, des traders, sont en effet présentés comme la cause de la crise. Pourtant, ces comportements ne sont que la conséquence de la réglementation. De même que la crise financière n’est pas une cause, mais également une conséquence de la crise, qui est en fait monétaire.

Le comportement des banques est en effet hyper-régulé. Elles doivent se conformer aux critères de Bâle. Ces critères doivent être utilisés pour déterminer si un titre, ou un crédit, sont risqués. Plus le risque, selon les critères de Bâle, est grand, plus la banque doit avoir de capitaux propres. Et plus elle doit avoir de capitaux propres, plus sa rentabilité baisse.

Ces critères sont appliqués pour mesurer le risque des crédits accordés par les banques, et pour mesurer le risque des émissions obligataires, comme les fameux titres subprimes, appelés aujourd’hui toxiques. Pour les émissions obligataires, le risque est déterminé par les fameuses agences de notations. Le fait que ces agences soient payées par celui qui « fabrique » les obligations mises sur le marché a été critiqué. Mais c’est la réglementation qui l’impose.

De nombreux organismes se sont calés sur la réglementation de Bâle, et n’achètent que des titres notés AAA selon ces critères. Ce sont, par exemple, des fonds de pension. Nous sommes donc dans une situation où les mécanismes du marché sont annihilés. La décision d’acheter un titre dépend de son rendement, certes, mais aussi de sa notation, appréciée selon les critères de Bâle.

Par conséquent, le métier d’un vendeur de titres, comme fabulous fab, c’est de confectionner des titres conformes aux critères imposés par la réglementation. Peu importe ce qu’il pense. S’il considère que d’autres titres, offrant les mêmes rendements, sont moins risqués que ceux jugés sans risque selon les critères de Bâle, il ne peut pas les vendre. Son acheteur lui rétorquera que la réglementation considère que ces titres sont risqués. Il peut proposer d’autres titres, conformes à la réglementation, mais qui seront refusés car ils offriront un rendement moindre que les subprimes.

Dans cette situation, comment juger quelqu’un qui a vendu des titres considérés comme sans risque par la réglementation, mais risqués selon lui ? D’un point de vue moral, il y a une réponse. Mais d’un point de vue légal, sachant que seul ce point de vue importe selon la loi ? Ne faudrait-il pas plutôt juger ceux qui ont établi la réglementation ?

Il a été dit que l’ingénierie financière a évolué plus vite que la réglementation, et que c’était la cause de la crise. Ce qui est faux. D’abord, il ne faut pas prendre les régulateurs pour des idiots. Une visite sur le site de la Banque des Règlements Internationaux suffit à montrer l’étendue de la réglementation. La vérité est que les titres subprime étaient adossés à l’immobilier. Or, l’immobilier était considéré comme peu risqué par les critères de Bâle. Ce n’est donc pas un hasard si ce sont ces titres qui se sont développés, et non, par exemple, des titres liés au crédit automobile. C’est un effet de la réglementation.

Le comportement de la finance était donc conditionné par la réglementation, et par conséquent les acteurs du monde de la finance ne sont pas à blâmer, mais c’est la réglementation qui l’est. Cette réglementation financière pourrait être jugée comme cause de la crise, sauf que ce serait s’attaquer à une partie d’un tout. En effet, la crise n’est pas financière, elle est monétaire.

Il est frappant de constater qu’on nous assène que la finance est responsable de la crise, sans jamais nous décrire l’enchaînement d’événements qui explique cette causalité. La raison en est simple : la finance n’est pas responsable de la crise.

La crise provient de la relance par le crédit. La Fed a maintenu les taux d’intérêt bas très longtemps, ce qui a encouragé le crédit. Le gouvernement fédéral US a encouragé le crédit hypothécaire, à travers les agences Fanny Mae et Freddy Mac. Ces agences rachètent le crédit hypothécaire. Le gouvernement fédérale leur a permis de racheter des crédits peu solvables. Ce qui a encouragé le crédit hypothécaire.

Le crédit hypothécaire a provoqué un boom de l’immobilier, et de la construction. L’emploi dans la construction a augmenté. Ce qui a provoqué une hausse de la consommation, et donc de la croissance.

Aux États-Unis, quand la valeur du bien immobilier augmente, on peut contracter un nouvel emprunt hypothécaire, garanti par l’augmentation de la valeur du bien. Ce qu’on a appelé l’effet richesse : l’augmentation de la valeur du patrimoine permet l’augmentation du crédit garanti par ce patrimoine, et permet la croissance économique. Dans la première décennie des années 2000,tout le monde louait cet effet richesse. Il était reproché à l’Europe de ne pas en profiter assez, du fait de sa législation.

L’effet richesse a joué à plein. Mais l’inverse également. Les prix de l’immobilier ont stagné, ce qui a interrompu la hausse de la consommation, puisqu’elle ne pouvait plus être soutenue par de nouveaux crédits. La construction a marqué le pas, également. Les prêts hypothécaires comportaient des clauses selon lesquelles les remboursements étaient faibles les premières années, puis augmentaient. Ce qui a entraîné des défauts de paiements. Enfin, la Fed, inquiète de la création monétaire qu’elle a provoquée, augmente les taux d’intérêt. Comme beaucoup de prêts hypothécaires sont à taux variables, cela rend encore plus difficiles les remboursements.

La crise provient donc de la politique monétaire des États-Unis. La crise financière est une conséquence de la crise économique. Quand l’immobilier s’est effondré le fameux effet richesse s’est inversé. Et les crédits subprime n’étaient plus garantis par la valeur des maisons. Les titres adossés aux subprimes, noté AAA, devenaient subitement risqués. Les banques qui avaient acheté ces titres, notés sans risque, se sont soudain retrouvées en difficultés.

Par conséquent, si procès il devait y avoir, ce serait celui des régulateurs, qui ont provoqué la crise. Ce serait celui de la relance, puisque que c’est pour relancer l’économie que le crédit a été encouragé.


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