Du foncier à la nationalité : les socles de la division en Côte d’Ivoire

La question de l’immigration se pose en termes conflictuels en Côte d’Ivoire parce qu’elle est mise en liaison avec les questions de la propriété collective des terres rurales.

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Du foncier à la nationalité : les socles de la division en Côte d’Ivoire

Publié le 25 juillet 2013
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La question de l’immigration se pose en termes conflictuels en Côte d’Ivoire parce qu’elle est mise en liaison avec les questions de la propriété collective des terres rurales.

Par Mamadou Koulibaly, depuis Abidjan, Côte d’Ivoire.
Un article d’Audace Institut Afrique.

Le but de la réforme foncière est de faire en sorte que les conflits fonciers cessent ; que l’agriculture soit plus rentable, plus diversifiée et plus productive ; que le monde rural connaisse et vive la démocratie et la liberté comme des réalités et que les populations rurales sortent de leur vie de misère pour être au centre de la prospérité du pays.

Dans une société de liberté, la reconnaissance des droits de la propriété privée des individus est la base de la cohésion sociale. Ce sont les individus qui s’organisent librement en collectivité. La collectivité est donc un assemblage harmonieux d’individualités qui, par la mise en cohérence de leurs propriétés, construisent la communauté. Être propriétaire c’est avoir le droit de définir ce qui nous appartient par notre création ou par l’échange libre, d’être le seul capable de dire qui nous acceptons dans notre propriété et qui nous excluons de notre association. Être propriétaire c’est avoir un droit matérialisé par un titre foncier, un titre de propriété qui nous donne la possibilité exclusive d’empêcher que n’importe qui ne vienne s’accaparer du bien qui fait l’objet de notre propriété. Dans une société de liberté, les libertés de circuler, de s’enrichir de travailler etc. sont garanties comme des droits fondamentaux mais ne signifient pas que l’on puisse braquer la vendeuse de pagnes du marché parce que nous avons plus besoin qu’elle de nous enrichir. La libre circulation dans une société de liberté ne signifie pas que nous puissions aller n’importe où, à l’aide de n’importe quel moyen, exercer n’importe quelle activité sans tenir compte des droits des propriétaires légitimes de ces lieux, de ces biens, de ces moyens et de ces activités. Dans la société de liberté, chaque membre propriétaire a la liberté de contrats avec tous les autres qu’il les connaisse ou pas. Le contrat libre et l’échange libre garantissent l’harmonie et la cohésion sociale. En absence des droits clairement établis des populations paysannes sur le foncier rural cette harmonie est rompue et le conflit s’installe.

Les responsables politiques en Afrique exploitent cette incohérence pour instrumentaliser les groupes qu’ils classifient en foyers antagonistes. C’est d’autant plus simple lorsque les problèmes de l’immigration et du foncier rural concernent un pays dans lequel les droits sont dilués, les responsabilités non reconnues et la propriété collectivisée, étatisée. Les difficultés de la mise en harmonie entre la démographie et le foncier rural viennent du fait que nous avons accepté en Côte d’Ivoire que légalement la terre appartienne à l’État, et que la nationalité soit aussi sa propriété.

Admettre que la terre appartient à l’État c’est d’une part exproprier de jure les populations rurales qui depuis des siècles sont les premiers propriétaires de ces terres et d’autre part, c’est collectiviser la terre de Côte d’Ivoire ce qui crée automatiquement à son sujet des querelles propres aux propriétés collectivisées et diluées. Ces dispositions qui exproprient d’une part et qui collectivisent de l’autre débouchent sur un refus de leur droit aux populations traditionnellement propriétaires. Les droits coutumiers des populations sont ainsi totalement ignorés, violés.

Ce système prive les populations de leurs libertés contractuelles et seules sont reconnues les lettres d’attribution et les décisions de mise à disposition de parcelles de terre par les États. C’est dans cette logique que l’on assiste aux ruées de l’accaparement des terres et aux conflits qui s’en suivent. La répartition des richesses du sol et du sous-sol entraine convoitise, antagonisme, bataille, guerre, conflits, là où il aurait simplement fallu reconnaitre les droits de propriété privée aux populations et laisser faire le commerce libre des terres, des titres fonciers et instaurer des marchés hypothécaires.

Les autorités politiques après avoir organisé des catégories collectives vont réclamer des droits au nom de ces catégories dont l’importance et l’instrumentalisation politiques s’opposent dans des belligérances entretenues par l’État. L’immigration pose-t-elle problème dans cette ambiance en Côte d’Ivoire?

L’immigré est une personne qui, selon Pascal Salin dans un texte « l’immigration: une position libérale » publié par le Libéral Européen n° 15 de novembre-décembre 1990, veut acquérir de manière pacifique le droit de s’associer à une copropriété ». Mais il faut savoir que l’immigré doit supporter des coûts de départ de sa zone d’origine et faire face à des coûts d’installation dans sa zone d’accueil. Ces différents coûts déterminent les flux et les sens de l’immigration.

Il faut aussi savoir qu’il existe différents types de copropriété qui vont du club de sport et du club de danse aux clubs des copropriétaires d’un immeuble ou des habitants d’un quartier, d’un village ou d’un pays, en passant par les associations ésotériques (Rose Croix et Franc-maçon) et les clubs services (Jeune Chambre, Rotary ou Lion’s), les syndicats et toutes les autres formes d’associations nationales ou internationales. L’accès à ces clubs pour un nouvel arrivant, un immigré donc, se fait toujours à différentes conditions. Tout le monde n’y est pas accepté et la capacité de paiement des droits d’adhésion et de cotisations ne suffit pas. En plus de ces conditions pécuniaires, il faut parfois être parrainé. Il faut parfois accepter le crédo, les statuts, règlements et valeurs. Ces groupes et associations de copropriétaires organisent la libre exclusion des gens qui ne supportent pas leurs conditions. Ils ont des droits en tant que propriétaires d’associations dont les constitutions acceptent librement et excluent librement qui elles veulent. L’État ne leur impose pas de membres de force car les droits de propriété ont cet attribut naturel que le propriétaire est libre de contracter ou de refuser le contrat à qui il veut. Si l’on supprime cette capacité au propriétaire, on porte atteinte à la liberté du propriétaire et à sa dignité.

La question de l’immigration se pose en termes conflictuels en Côte d’Ivoire parce qu’elle est mise en liaison avec les questions de la propriété collective des terres rurales. Lorsque l’immigré arrive et que c’est l’État le propriétaire exclusif des terres qui l’installe implicitement au nom du principe selon lequel celui qui met la terre en valeur en devient le propriétaire, alors l’expropriation de propriétaires coutumiers par l’État est accompagnée de l’installation de l’immigré par l’État représenté par le préfet, le sous-préfet ou le ministère des eaux et forêts ou celui de l’agriculture. Les coûts supportés par l’immigré qui s’installe sont certes élevés (départ de sa zone d’origine, transport et déplacement à la recherche de la zone d’accueil, adaptation à sa nouvelle zone, coût d’apprentissage de sa nouvelle vie, etc.), mais ces coûts sont à comparer à ceux supportés par les populations qu’il trouve dans sa zone d’arrivée. Si à son arrivée l’immigré trouvait des populations locales propriétaires de terres immatriculées, avec des titres fonciers, il pourrait entrer en négociation avec ces propriétaires pour obtenir un champ à cultiver comme il le fait pour l’obtention d’une maison à habiter. Il doit échanger avec le propriétaire, obtenir son accord sur les superficies, les prix et les autres conditions de la location ou de la vente par actes notariés. Ces contrats libres garantissent la mise à disposition de terres selon les conditions de l’offre et de la demande de terres cultivables. Par ces libres négociations, les transactions se font volontairement sur le foncier rural, il n’y a pas d’accaparement de terre qui ne soit contractuellement discuté et accepté par les propriétaires fonciers qui y trouvent un gain. Le libre échange sur les terres rurales est ainsi mutuellement bénéfique pour les coéchangistes. Le processus marchand exclut aussi bien la force brutale de l’État que ceux des immigrés qui ne peuvent payer et remplir les conditions du marché.

Mais lorsque la terre est déclarée propriété de l’État et qu’en plus il est admis que celui qui la met en valeur en devient le propriétaire, les sources du conflit deviennent apparentes. Les populations locales vont perdre leurs terres coutumières au profit de nouveaux arrivants installés par l’État. Les coûts de la présence des immigrés pour les populations locales seront donc élevés par rapport à ce qu’ils pourraient être en cas de libres négociations contractuelles. Les populations locales se sentent alors exclues par un processus d’accaparement de leurs terres au profit des nouveaux arrivants. Localement, le jeu économique est tel que ce que les populations locales perdent sera gagné par les populations immigrées qui s’installent. Les populations locales face à cette exclusion marchande mais étatique réagissent en refusant d’être spoliées de leurs terres et prennent pour cible les immigrés et dans une mesure plus lointaine l’État. Dans ce contexte, la belligérance et le conflit s’installent entre locaux et étrangers. À court terme, seul l’État gagne dans cette division. Mais, à moyen et long terme, lorsque les conflits vont dégénérer, l’État aussi devient perdant, conduisant l’économie à une situation dans laquelle tous les participants perdent. Une perte sèche globale frappe tout le monde.

La loi sur le foncier rural actuelle dit que seuls les Ivoiriens peuvent être propriétaires alors que le même État offre la nationalité et peut l’accompagner par une redistribution des terres. Les germes d’un conflit identitaire et nationaliste sont ainsi mis en place. À partir du moment où l’État donne la terre à l’immigré, il lui donne aussi la possibilité presque automatique de prétendre à la nationalité et vice versa. Les catégories collectives organisées et instrumentalisées se retrouvent en conflit sous l’arbitrage d’un personnel politique pyromane qui revient en pompier pour faire la réconciliation de façade. Le cycle reprend et continue, les réconciliations sont suivies de conflits et les conflits précèdent de longues rencontres de réconciliation qui se terminent par de nouvelles frustrations et de nouveaux conflits. Quelques rentiers et mafieux profitent de ces situations mais la grande masse de la population qui s’appauvrit tout simplement d’année en année voit l’immigré comme le responsable des malheurs alors que ce dernier, très souvent, souffre aussi de ces instabilités et de ces conflits qui rendent les équilibres sociaux précaires.

Un équilibre politico-social est pourtant possible en milieu rural si la gestion du foncier rural est laissée aux populations qui passent librement des contrats avec qui elles veulent et selon les conditions du marché. Sans propriété privée de la terre rurale, c’est l’État qui organise l’exclusion des populations et opposera des groupes les uns aux autres dans des conflits qui ne profitent à moyen et long terme à personne. Les possibilités existent d’organiser des marchés gagnants-gagnants pour tous.

Il ne sert à rien de réveiller la polémique nauséabonde sur la nationalité et, sur le foncier, nous devons dépasser les sophismes populistes et mettre fin à la spoliation des populations, à la pauvreté organisée et adopter un système qui valorise les bienfaits de l’immigration et qui nous évite les effets pervers collatéraux sur la sécurité et le foncier rural.


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