Détroit : Autopsie d’une mort par overdose de syndicalisme

Si la mauvaise gestion des élus du Michigan et de Détroit n’est plus à prouver, on parle peu des raisons qui ont mené GM, Chrysler et Ford dans l’ornière.

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Le siège mondial de General Motors peine à briller au cœur de Detroit.

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Détroit : Autopsie d’une mort par overdose de syndicalisme

Publié le 24 juillet 2013
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Si la mauvaise gestion des élus du Michigan et de Détroit n’est plus à prouver, on parle peu des raisons qui ont mené GM, Chrysler et Ford dans l’ornière.

Par K.

Le siège mondial de General Motors peine à briller au cœur de Detroit.

Jeudi 18 Juillet 2013, Détroit, ancien fer de lance de l’industrie automobile américaine, se déclarait en faillite laissant une ardoise d’un peu plus de 18,5 milliards de dollars. Sous domination démocrate depuis 1962, Motor City n’en finit plus d’accumuler les records peu enviables dans tous les domaines : élue ville la moins sûre des États-Unis par Forbes, réputée pour son chômage galopant, son exode urbain sans précèdent, ses taxes délirantes – tout particulièrement pour les individus ayant le malheur de faire plus de $75.000 par an. Inutile de nier que ces différents phénomènes se sont efficacement nourris les uns les autres pour former une spirale du déclin difficile à stopper. Cependant, parmi tous les facteurs qui ont mené Détroit à la faillite, si la nullité des élus du Michigan et de Détroit n’est plus à prouver, on parle peu des raisons qui ont mené GM, Chrysler et Ford dans l’ornière, entrainant dans leur chute les villes adjacentes qui vivaient directement ou indirectement des retombées économiques qu’ils généraient.

Les déboires de GM, Chrysler et Ford, alias The Big Three, ne sont pas nouveaux. Sous perfusion étatique depuis 2008, le Big Three a subit de plein fouet la compétition des constructeurs asiatiques et allemands (Volkswagen, Honda, Toyota & co.), la fin de l’ère des gros 4×4 comme l’emblématique Hummer et ses 20 L aux 100 km, et enfin l’impact de la crise de 2008. Bien évidemment, le leadership douteux des dirigeants de GM, Chrysler et Ford a une responsabilité indéniable dans cette débâcle : manque de vision, de réactivité, d’innovation, etc. Les constructeurs asiatiques ont eu aussi leurs fiascos, bien entendu, mais on est loin des nombreuses boulettes à 9 chiffres qu’ont pu faire le Big Three.

Néanmoins, ce que les articles de presse ne mentionnent presque jamais pourtant, c’est le rôle central du syndicat UAW (United Automobile Workers) dans le déclin de Détroit. Un beau mastodonte de la lutte syndicale, 390 000 membres actifs, 600 000 membres en retraite chez les constructeurs automobiles, leurs sous-traitants, mais aussi dans les universités et les hôpitaux de l’État. Contrairement à une idée reçue, de l’autre côté de l’Atlantique, les syndicalistes ne sont pas de doux agneaux asservis par Wall Street. Loin s’en faut. Aux États-Unis,  on mesure la force de frappe d’un syndicat au nombre d’usines qu’il contrôle, on parle d’usine « unionized ». Les salaires et les conditions de travail y sont définis par le syndicat majoritaire et la direction. Inutile de préciser que la direction n’a pas intérêt à contredire la parole du syndicat majoritaire au risque de provoquer une grève générale qui durera jusqu’à ce que l’entreprise rende gorge – n’ayant pas le droit légalement d’embaucher des travailleurs non-syndiqués bien-sûr, sinon c’est de la triche pardi – mais devant faire face à des employés rémunérés par leur syndicat pendant toute la durée du blocus. Une tactique de siège et de guerre d’usure, comme au Moyen-âge ! Eh oui, le socialisme c’est la paix entre les hommes, mais la paix c’est la guerre, la liberté d’embaucher c’est l’esclavage, et l’ignorance c’est la force. Oups, pardon, je m’égare.

Donc, revenons à nos moutons avec un petit historique des coups d’éclats de UAW chez GM seulement (et encore ce qui suit est loin d’être exhaustif). En Novembre 1945, ils bloquent GM pendant 113 jours pour obtenir une revalorisation des salaires et une place à la table de la direction. Rebelote en 1970 avec une grève nationale. En 1984, c’est 25 usines GM qui sont paralysées. En 1998, toujours chez GM, UAW fait grève pendant 54 jours à l’usine de Flint pour protester contre une décision de la direction de déplacer certains équipements. Facture finale pour GM : $3 milliards de dollars. En 2011, ils obtiennent une revalorisation des salaires et un bonus pour signer l’accord qui coûtera à GM la bagatelle de 242,5 M de dollars alors que le groupe bat toujours de l’aile.

Maintenant, intéressons-nous aux résultats de toutes ces décennies de lutte chez GM, Chrysler et Ford. La situation des trois constructeurs est très similaire comme vous allez le voir, mais vu que j’ai les chiffres pour GM, on va se pencher d’un peu plus près sur cette société. Chez GM, l’assembleur moyen faisait 28,02$ par heure en 2008 et l’électricien moyen 32,43$ par heure avec par-dessus le marché une généreuse couverture sociale, une belle pension de retraite, et un joli système de primes. On est loin des clichés sur les travailleurs exploités. Analysons maintenant la qualité du montage des véhicules sortant des usines gérées par UAW. Ce qui ressort de la lecture du paquet d’articles traitant des relations entre UAW et le Big Three c’est l’attitude bien particulière de UAW en ce qui concerne le progrès technologique et la conscience professionnelle. Le Wall Street Journal évoque le cas d’une tentative d’optimisation des techniques de soudure qui a tourné court faute d’avoir l’aval de UAW, ici un témoignage plus personnel d’un ancien employé qui se demande ouvertement comment on peut humainement réussir à atteindre une qualité d’assemblage aussi médiocre. Pour faire court, partout où UAW passe, la qualité de la production trépasse. Et bien-sûr, avec UAW, on se gardera d’évoquer toute modernisation des techniques de production dans la crainte d’hypothétiques réductions des effectifs.

Heureusement pour eux, les constructeurs étrangers s’étant implantés aux États-Unis ne sont pas tombés dans le même piège que leurs cousins américains et dans la grande majorité des cas, leurs usines ne sont pas unionized (enfin, pour le moment ; UAW est bien évidemment sur le coup depuis quelques années déjà, vu que ses bases historiques dans le Nord du pays se réduisent à peau de chagrin…). Les deux graphiques suivants devraient achever d’expliquer pourquoi GM, Chrysler et Ford se sont fait plumés par la concurrence :

Figure 1 : coûts de production par heure avant la faillite de 2008.
Figure 2 : coûts de production par heure en 2011, l’écart s’est resserré mais les compagnies américaines restent beaucoup trop chères par rapport à la valeur ajoutée de leurs produits.

Cher lecteur, si cet article commence à te rappeler l’affaire PSA, sache que tu viens de taper dans le mille. Mêmes causes, mêmes conséquences. Une ingénierie passable, des coûts de production absolument non-compétitifs, une qualité qui laisse à désirer, tout ce qu’il faut pour envoyer une société par le fond en un temps record. Les « experts » à tendance Montebourde expliqueront évidemment que ce n’est pas la faute aux coûts de production prohibitifs et au chantage perpétuel de UAW mais au manque de R&D (vous savez le fameux « monter en gamme »). On rappellera donc que lorsqu’on n’est pas compétitif, on ne fait pas de marge, donc pas de profit, donc pas d’investissement en R&D possible. Point barre.

Voilà le résultat de 50 ans de socialisme à Détroit : un tissu industriel ruiné, des pans entiers de la population condamnés au chômage, une ville en faillite devenue l’ombre de ce qu’elle était auparavant. Terminons sur une note d’espoir en saluant le courage et la détermination de beaucoup d’habitants de Détroit qui ont enfin décidé de reprendre les rênes des mains des incompétents qui les ont conduits dans cette impasse.

Prévenir l’overdose de socialisme.

P.S : Signe encourageant, le Michigan vient d’adopter en Décembre 2012 une loi autorisant les employeurs à embaucher des personnes n’étant pas membres d’un syndicat même quand ce dernier est majoritaire sur le lieu de travail [14]. Fini le monopole syndical.

P.S 2 : Autre bonne nouvelle, chez les concurrents, il semblerait que le message soit passé, malgré les nombreuses tentatives de UAW pour gangréner leurs usines, même les salariés ne voient plus l’intérêt de se syndiquer. Il faut dire que chez Volkswagen, pour reprendre l’exemple de l’article, les salaires toisent ceux des employés de GM, Chrysler ou Ford avec à la clé un joli paquet d’avantage en nature (cabinet médical gratuit sur place, salle de sport, location de voiture, bonus à la performance, couverture médicale). En plus de ça, la compagnie ne licencie pas, mais au contraire embauche et offre des possibilités d’évolution de carrière. À faire pâlir d’envie les syndiqués de chez UAW.


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  • Il est vrai que vu de France on ne se rend pas toujours compte à quel point les syndicats US peuvent être nocifs.
    Le problème est toujours d’arriver à un équilibre entre patronat et syndicat, mais équilibre signifie que le système doit être réajusté en permanence et que l’une des parties ne prenne pas trop d’importance.
    Quand il y a déséquilibre, il y a de fait de forts mouvements de balancier.

  • K. Votre article est intéressant mais j’ai du mal à comprendre le PS2. Vous dites que que chez Volkswagen, les salaires toisent ceux des employés de GM, Chrysler ou Ford.
    Or si je regarde le graphique, je vois 38 $ de coût de production chez VW et 58 $ chez Ford. Je n’appelle pas vraiment ça « toiser ».
    Une explication svp ?

  • Est-ce une catastrophe qui pourrait survenir à Paris ?

  • Et a La Ciotat et Marseille, le pouvoir syndical n est ‘ il pas sur la même voie ?
    Allez les dockers…

  • J’imagine que le système de retraite qui gère les pensions des 600 000 personnes du syndicat doit être très généreux et financé par des montagnes de dettes et d’argent gratuit des autres.

  • GM fut une entreprise à caractère sociale qui faisait accessoiremernt des véhicules.

     » le leadership douteux des dirigeants de GM, Chrysler et Ford a une responsabilité indéniable dans cette débâcle : manque de vision, de réactivité, d’innovation, etc.  »

    Où était-ce un choix? choisir entre investir dans des avantages sociaux très généreux où bien investir dans l’innovation.

    D.J

  • Article aussi simpliste que dénué de fondement.

    La main d’oeuvre bon marché deviendra un argument contre les salaires décents. Et ensuite le robot est à quoi face à l’humanité, un truc qui fait baisser les salaires des spécialistes ?

  • si je comprends bien, avec les méchants syndicats, les coûts deviennent prohibitifs

    alors les autres constructeurs, pour ne pas avoir de syndicat chez eux, embauchent à des tarifs qui leur coûtent encore plus cher

    ou est la logique, je ne le sais pas !!

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