Le principe de précaution : un principe myope et à hauts risques

Le problème du principe de précaution est qu’il nous invite à ne considérer que certains risques tout en en négligeant d’autres.

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Le principe de précaution : un principe myope et à hauts risques

Publié le 20 juin 2013
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Le problème du principe de précaution est qu’il nous invite à ne considérer que certains risques tout en en négligeant d’autres.

Par Florent Ly-Machabert

Depuis son inscription dans la charte environnementale adossée à la Constitution de 1958 et sa ratification par le Parlement réuni en Congrès le 28 février 2005, le principe de précaution a désormais une valeur constitutionnelle en France. Et rien qu’en France, puisque la tentative d’introduction de ce principe à l’échelle communautaire, initialement contenu dans le Traité instituant une Constitution pour l’Union Européenne, s’est abîmée en haute mer, en même temps que ledit traité.

Né du sommet de Rio en 1992, année qui consacra également officiellement le concept de « sustainable development » (développement durable), le principe de précaution repose sur une ligne directrice pour le moins complexe, puisque pour l’énoncer il ne faut pas moins de trois négations successives : « NE PAS avoir de certitude concernant un risque N’est PAS une raison pour NE PAS agir de façon préventive. » Or, dans la foulée de Boileau, l’on pourrait se demander si ce principe se conçoit vraiment bien pour s’énoncer aussi peu clairement… C’est la question que je pose et j’y réponds franchement : le principe de précaution me semble – et c’est son paradoxe – un principe à hauts risques. La seule chose qui ne soit pas une surprise, c’est que ce soit notre pays qui ait décidé de l’ériger en principe constitutionnel : il lui colle si bien à la peau, il entre si bien en résonance avec la langueur de son État-Providence ! Il semble nous susurrer insidieusement à l’oreille :
« Arrêtez tout ! Il y a un risque. Laissez faire l’État, qui vous dira quoi faire et qui, le cas échéant, vous interdira de faire quoi que ce soit. »

Sauf qu’avec l’État, et avec cette définition de la précaution dont il se porte le garant, « le cas échéant », c’est tout le temps. Et le champ des libertés personnelles, dont Amartya Sen nous dit qu’il est celui du développement lorsqu’il s’accroît, se réduit peu à peu comme peau de chagrin sous l’effet de l’application de ce principe.

Laissez moi prendre trois exemples.

Au nom de ce principe, le DDT, un pesticide, a été interdit aux USA en 1972, au motif qu’il pouvait se révéler toxique pour certains oiseaux et ainsi menacer la biodiversité. À quoi servait-il également ? À éradiquer la malaria, qui fait près de 2 millions de victimes en Afrique chaque année.

Au nom de ce principe, la recherche sur les OGM a été stoppée, au motif qu’elle constituait une opportunité pour procéder à des manipulations génétiques. À quoi ces travaux de recherche contribuaient-ils en parallèle ? À élaborer un médicament contre la mucoviscidose.

Au nom de ce principe, l’année 1997 a porté sur les fonts baptismaux le protocole de Kyoto, consacrant l’objectif d’une réduction par 4 (le fameux « facteur 4 ») des émissions de gaz à effet de serre des pays signataires. La mise en œuvre de ce protocole a coûté des efforts diplomatiques et socio-économiques historiques, pour une efficacité limitée au retardement d’environ 6 ans de la hausse de la température planétaire (qui serait ainsi passée de 2100 à 2106).

Et l’on pourrait ainsi, ad nauseam, allonger la liste des exemples, puisés dans des domaines aussi variés que la biologie, la médecine, le droit, l’éthique… Dans un domaine en particulier, toutefois, la menace est encore plus grande, comme l’illustrent les premier et troisième exemples ci-dessus : celui de la protection de l’environnement, pétrie de politiquement correct et érigée en idéologie de référence ; c’est ce que j’appelle l' »idécologie ». Ces nouveaux idéologues, tenants de ce qu’on appelle parfois la « soutenabilité forte », ne proposent rien moins que d’appliquer le principe de précaution au progrès technique lui-même ! Celui-là même qui est le moteur de la croissance économique et l’un des déterminants fondamentaux du processus de destruction créatrice cher à J. Schumpeter. Celui-là même qui permet aujourd’hui de mieux utiliser et de mieux préserver les ressources naturelles (grâce aux technologies propres), tout en améliorant continûment l’efficacité des efforts de dépollution. Je suggère à ces sectateurs de la décroissance ou de la croissance nulle, héritiers, quarante ans plus tard, du Club de Rome et du rapport Meadows qui prophétisait la fin du pétrole pour 1980, qu’ils arrêtent de penser, qu’ils s’appliquent à eux-mêmes le principe de précaution, car réfléchir présente toujours un risque.

« Non, vous n’êtes pas tenus de penser : c’est un acte de choix moral. Mais il a fallu que quelqu’un pense pour vous maintenir en vie. Si vous choisissez de vous dérober à la pensée, vous vous dérobez à l’existence en en transmettant la charge à un être moral, en espérant qu’il sacrifiera son bien-être pour vous permettre de survivre dans votre vice. »  Ayn Rand

La myopie du principe de précaution réside donc dans le fait de nous inviter à ne considérer que certains risques et à en négliger d’autres. Il nous invite à nous « dérober à l’existence » et nous impose, sans cap, de nous exposer à tel risque plutôt que tel autre, avec l’onction de l’État qui protège ainsi le plus souvent des intérêts corporatistes et sous couvert de constitutionnalité.

Car il est un second présupposé tapi dans l’application de ce principe : la gestion publique du risque (par l’État en vertu du principe de précaution) serait supérieure à sa gestion privée. Vous l’aurez compris, c’est plus que contestable ; cela va même à l’encontre du bon sens libéral, les méthodes de marché ayant fait preuve d’une efficacité sans commune mesure avec les piètres interdictions, taxes pigouviennes et autres réglementations qui découlent du principe de précaution. Qu’on porte un instant son attention aux mécanismes assurantiels privés qui vantent la prévention, l’autodiscipline et la modération dans la prise de risques, effets que n’emporte pas, et n’emportera jamais, l’application du principe de précaution, qui nous invite au contraire à ignorer les risques que le principe de précaution génère lui-même du fait de son application.

Alors, solution qui ne court pas le risque de l’inconstitutionnalité : appliquons sans vergogne le principe de précaution au principe de précaution ; et que notre credo devienne en la matière de ne pas l’appliquer tant qu’il n’est pas prouvé qu’il est sans danger. Et là, nous serons tranquilles jusqu’au changement de République !

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  • Sans rentrer dans le débat de la réelle dangerosité du Bisphenol A, j’avais été choqué par la réponse d’un chef d’entreprise qui cherchait un substitut à ce produit pour ses boites de conserves. En effet lorsque le journaliste lui a demandé si les produits utilisés n’étaient pas potentiellement aussi voir plus dangereux que le Bisphenol il a eu pour seule réponse que tous les produits utilisés dans les expérimentations étaient autorisés par l’Europe (Comme le Bisphenol quelques mois plus tôt…)

    Le problème n’est pas tant ce chef d’entreprise qui doit bien s’adapter mais on voit bien les effets pervers de toutes ces réglementations qui déresponsabilisent l’individu qui n’a besoin que de rester dans les clous de la loi pour s’assurer de ne pas être attaqué en justice.

    À un autre niveau les accords Bâle II et III seront un bon moyen pour les prochaines banques qui vont essuyer de lourdes pertes de venir réclamer de l’argent à l’état en indiquant avoir scrupuleusement suivi les recommandations.

    • Beaucoup d’intervenants sont payés par les lobbys pour des fifrelins pour défendre leur domination avec des produits dangereux, à long terme, sous prétexte que le principe de précaution étouffe l’économie et la liberté, comme montrè hier soir sur envoyé spécial de l’A2 !!

      lisez l’historique résumé des produits chimiques :
      un empoisonnement universel Fabrice Nicolino ed. LLL
      Les terroristes détraqués font bien moins de morts que ces saletés chimiques mises partout !!

      Le BPA est très similaire à un autre bisphénol : le distilbène (voir sur wikipedia les différents produits ,) juste le pont entre les deux phénols change, jugé mensongèrement sans danger et prescrit pendant des décennies contre les fausses couches, une horreur qui entraine des malformations graves sur des générations !!
      Sans le principe de précaution, on est sûr que ce type de folie meurtrière va se reproduire !!
      On cache le danger à long terme pendant des décennies, se moquant des morts avec des causes peu identifiables au delà de 3 mois !!

      Le pire est à venir sans aucune précaution ni préparation du tout :
      malheureusement la réalité de centrales nucléaires pétées ( 3 au Japon ) dramatiquement pire que toutes les autres catastrophes, avec toute une région radioactivée vidée en un jour de tous ses habitants pour des siècles, :mrgreen: est tôt ou tard inévitable en France, car nous ne sommes pas infaillibles à perpétuité comme l’exige le nucléaire, en étant pas plus intelligents que les japonais, comme notre technologie cherche à nous faire croire !! !!
      Notre économie sera coulée, plombée avec plusieurs milliers de milliards d’€, car notre nucléaire tourne sans aucune assurance, comme un conducteur automobile sans assurance croyant à son infaillibilité pour n’avoir jamais d’accident.
      Tôt ou tard, en France, le nucléaire pétera inévitablement et le tarif explosera, avec plus d’électricité du tout, plus de chauffage pour les plus pauvres, etc… !!
      Et les Allemands nous regarderons en rigolant de notre absurdité de croire à l’infaillibilité du nucléaire, eux avec une électricité sans pollution à nous vendre, devenue gratuite à perpétuité une fois l’effort d’installation réalisé !!

      C’est aussi inévitable, ce type d’accident, qu’un tremblement de terre énorme en France, de force 8 à 9, qui casse toute une région, comme la vallée du Rhone et les Alpes, rare 10 à100 fois moins souvent qu’au Japon, mais totalement certain sur quelques milliers d’années, pouvant se produire demain aussi bien que dans 1000 ans !!!
      La quasi totalité de l’énergie tectonique est dans les plus forts de force 8 à 9 , sinon les montagnes des Alpes n’existeraient pas !!
      .
      C’est même pire en France, car le fossé se trouve sous la vallée du Rhone, alors qu’au Japon il se trouve à 150Km au large dans la mer.

      Mais nos géologues pro nucléaires nous cachent cette réalité dramatique de catastrophe gigantesque où rien n’est prévu pour l’après catastrophe multipliée par nos centrales pétées en série !!

  • Excellent article. Le principe de précaution est un outil bien pratique, trop d’ailleurs. Mis à toutes les sauces en fonction des intérêts des uns et des autres. J’en fais ici la démonstration par l’absurde (pas tant que ça d’ailleurs): http://0z.fr/3CPgD

  • Cher Florent,

    J’adore mon fils et ne supporterait pas qu’il lui arrive quelque chose.

    Il a 15 ans, et je suis fière de dire qu’il ne s’est jamais fait mal. En fait, il vit dans son lit cage, avec un filet, et des jouets certifiés CEE.

    Maintenant, j’ai des ennuis avec les services sociaux, qui trouvent qu’il n’évolue pas très vite. Et quand je leur parle du principe de précaution, ils haussent grossièrement les épaules.

    Que faire ?

    Une lectrice désespérée.

    • Je vous plains avec votre fils qui semble victime de la quasi absence de principe de précaution dans le passé.
      J’espère que les impôts que je paye (selon certains excessifs sur ce site ) vont servir à votre fils, en particulier à s’occuper de lui une fois adulte.
      Agissez en association avec d’autres pour vous faire connaître cette injustice, partout et à la télé et changer les lois et la société, pour aider votre fils à vivre dans de bonnes conditions et même demandez la charité publique, comme aux USA, sans sécurité sociale, pour payer les frais d’hôpitaux des démunis, sans avoir honte d’une situation où la responsabilité est l’absence de principe de précaution et pas du tout vous, victime collatérale avec votre fils, du progrès technique sans précaution.

  •  » l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable  »
    Amendé par Michel Barnier, le principe de précaution ne devrait pas être invoqué à tous bouts de champs de maïs OGM ou d’exploration de gaz naturels.
    Je dis même que sont interprétation positive devrait imposer l’expérimenation des OGM et l’exploration des gaz de schistes.

  • Le principe de précaution n’est pas un principe au sens de grands principes ou de principe au sens de loi physique.
    Je suppose qu’il s’agit d’une traduction abusive de l’anglais..

  • La plupart des points soulevés sont repris de cette note, même le titre: http://www.institutmolinari.org/le-principe-de-precaution-un,512.html

    On y trouve notamment la phrase « Le problème du principe de précaution est donc de nous inviter à ne considérer que certains
    risques tout en négligeant les autres. » dont je suis l’auteur (étant co-auteur de la note)

    Bref, c’est quand même plus chouette de mentionner ses sources et d’utiliser des guillemets.

    • M. Méra, je suis d’autant plus sensible à la question des sources et du droit de citation que je publie moi-même des livres, mais j’ignorais l’existence de cette note retraçant avec autant de fidélité une conférence de C. Philippe, rencontrée à l’IFP il y a 6 ou 7 ans, à laquelle j’ai assisté et qui, entre autres sources, m’a inspiré cet article.

  • Même si je suis partiellement d’accord avec votre article. Les exemples choisis pour l’illustrer sont un peu limite.
    Le problème du DDT ne se résume pas à « certains oiseaux migrateurs», mais a des populations entière d’oiseaux. Il avait un effet néfaste au niveau piscicole. Des cas de résistance de certains insectes commençaient à apparaître.
    Les insecticides ne sont malheureusement pas sélectifs, les insectes indispensables à la pollinisation sont détruits également.
    Pour finir, il faut savoir que le DDT est toujours utilisé en Afrique, c’est un outil efficace pour lutter contre le paludisme. Mais son efficacité est moindre de par le cycle de vie du moustique en milieu tropicale, où la reproduction est continue. Il est donc utilisé de manière plus locale.

    Pour les OGM, c’est surtout en milieu agricole que l’on peut se poser des questions. Les recherches génétiques sur les maladies ne sont pas remises en causes.

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