Edward Snowden : jamais dans l’histoire il n’y a eu Américain avec une tâche plus importante

La dénonciation de Snowden nous donne une chance de revenir sur ce qui équivaut à une frappe de l’exécutif contre la constitution américaine.

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Edward Snowden : jamais dans l’histoire il n’y a eu Américain avec une tâche plus importante

Publié le 13 juin 2013
- A +

La dénonciation de Snowden nous donne une chance de revenir sur ce qui équivaut à une frappe de l’exécutif contre la Constitution américaine.

Par Daniel Ellsberg.

J’estime que jamais dans l’Histoire américaine il n’y a eu fuite plus importante que la révélation des activités de la NSA par Edward Snowden – en incluant l’affaire des papiers du Pentagone il y a 40 ans. La dénonciation de Snowden nous donne une chance de revenir sur ce qui équivaut à une frappe de l’exécutif contre la Constitution américaine.

Depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis ont entamé, d’abord secrètement puis de plus en plus ouvertement, une révocation de la déclaration des droits pour laquelle le peuple américain s’est battu il y a 200 ans. En particulier, les 4ème et 5ème amendements de la Constitution américaine, qui protègent les citoyens d’une intrusion de l’État dans leurs vies privées, ont été pratiquement suspendus.

L’État américain prétend qu’il dispose d’un mandat judiciaire couvert par la FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) – mais ce mandat inconstitutionnel est délivré par un tribunal secret, dispensé de toute supervision et soumis aux demandes de l’exécutif. Comme l’a dit Russel Tice, ancien analyste de la NSA : « C’est un tribunal bidon armé d’un tampon. »

Que le président Obama déclare que le Congrès dispose de comités de renseignement qui supervisent et contrôlent les agences secrètes est faux. Pour une énième fois – comme tout ce qui concerne la torture, le kidnapping, la détention, les assassinats des drones et les escadrons de la mort – ils ont démontré qu’ils étaient manipulés par les agences de renseignement qu’ils prétendent contrôler. Celles-ci dissimulent également des informations qui devraient être connues du public.

Le fait que certains membres du Congrès aient été « briefés » sur les interventions de la NSA et qu’ils s’en soient accommodés sans débat public, auditions, analyses ou possibilités de différer montre à quel point le système de contrôle et d’équilibre parlementaire est endommagé dans ce pays.

Les États-Unis d’Amérique sont désormais un État policier. Étant donné l’ampleur de l’invasion de la vie privée des citoyens américains, celui-ci dispose de toutes les infrastructures électroniques et législatives nécessaires à un État policier. Si, par exemple, il se déclenchait une guerre qui donnait lieu à un mouvement pacifiste de grande ampleur – comme cela est arrivé pendant la guerre au Vietnam – ou plus sûrement, si nous subissions une attaque de type 9/11, je craindrais pour notre démocratie. Ces pouvoirs sont extrêmement dangereux.

Il existe des justifications légitimes pour le secret, et spécifiquement pour le secret dans les communications de surveillance. C’est pourquoi Bradley Manning et moi-même – qui avons eu accès à des informations de surveillance plus haut classées que secret-défense – avons choisi de ne dévoiler aucune information classée. Et c’est pourquoi Edward Snowden s’est engagé lui-même à ne pas publier les informations qui auraient pu entrer en sa possession.

Ce qui n’est pas légitime est d’utiliser des agences secrètes pour cacher au grand public des programmes qui sont largement anticonstitutionnels dans l’étendue et l’ampleur de leurs abus. Ni le Président ni le Congrès ne sauraient révoquer eux-mêmes le 4ème amendement – et c’est pourquoi Snowden a révélé ce qui était jusqu’à présent inconnu du public américain.

En 1975, le sénateur Franck Church parlait de la NSA en ces termes :

Les moyens et structures nécessaires à la création d’une tyrannie en Amérique sont là. Nous devons donc nous assurer que les agences qui possèdent ces moyens et ces structures restent dans le cadre de la loi et sous supervision, afin que nous ne franchissions jamais l’abîme. Il s’agirait là d’un point de non-retour.

La perspective dangereuse dressée par F.Church était la suivante : « la capacité de surveillance des États-Unis – qui est aujourd’hui bien au-delà de ce qui existait à l’époque – peut être redirigée à tout moment contre les citoyens américains ; aucun Américain ne disposerait alors de sa vie privée. »

Nous y sommes. Ce sont bien les faits que Snowden a exposé à l’aide de documents officiels. La NSA, le FBI et la CIA ont, à l’aide de la technologie numérique, des moyens de surveillance sur nos citoyens dont la Stasi – la police secrète dans l’ancienne RDA – n’aurait pu rêver. Nous sommes donc tombés dans l’abîme du sénateur Church. Les questions à se poser sont désormais les suivantes : avait-il raison ou tort de dire qu’il n’y a pas de retour possible, et cela implique-t-il que la démocratie est en danger. Il y a une semaine, j’aurais trouvé difficile de contester ses conclusions pessimistes.

Mais avec Edward Snowden qui a mis sa vie en danger pour rendre publique ces informations, et qui pourrait inciter d’autres américains de connaissances, de conscience et de patriotisme similaires à montrer un courage civil comparable, – dans le public, dans le Congrès ou dans l’exécutif lui-même – je parie sur l’improbable possibilité d’une sortie de l’abîme.

La pression du public désormais informé pourrait aboutir à la création d’un comité au Congrès chargé d’enquêtes sur les révélations de Snowden et, je l’espère, d’autres à venir pourraient nous mener à une réelle supervision de la NSA et des autres agences de surveillance et ainsi restaurer la protection de la Déclaration des Droits.

Snowden a fait ce qu’il a fait parce qu’il a reconnu les programmes de surveillance de la NSA pour ce qu’ils sont : des activités dangereuses et anticonstitutionnelles. Cette invasion de la vie privée des Américains et de leurs voisins ne contribue pas à notre sécurité ; elle met en danger des libertés que nous devons protéger.


Sur le web. Article original publié par The Guardian le 10.06.2013. Traduction : Eriul pour Contrepoints.

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Voir les commentaires (19)

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Créer un compte Tous les commentaires (19)
  • Ellsberg est bien naïf, il devrait lire reflets.info.

    • Daniel Ellsberg est tout sauf naïf ; il l’a largement prouvé dans l’affaire des « pentagon papers ». Il est idéaliste, ce qui est très différent.
      Il se livre actuellement une terrible et cruciale bataille médiatique sur « jusqu’où le gouvernement peut-il légalement aller dans la surveillance du peuple », et rien n’est joué. Il est agréable de voir Contrepoints donner à ce sujet l’importance qu’il a.

  • Barak Obama prix nobel de la paix?Quelle imposture!Barak Obama prix nobel des violations des droits constitutionnels oui!

  • Tout cela est très enfantin, comme le coup médiatique de ce type. La Sûreté de l’Etat a précisément pour rôle de tracer par tous moyens les groupuscules dangereux, et évite d’ailleurs la plupart de leurs manigances, le tout sous couvert du Parlement.

    Le reste, c’est du blabla.

  • A l’observation des faits et d’opinions ambiantes, un profond courant de paranoïa secoue l’U.E. latine et plus particulièrement les français. Françhais de Flanby & Co ? Citoyens encore bloqués au niveau Commission des libertés ’70s et d’un Rapport Nora-Minc datant des mi-70s !

    Quelles sont les qualités éventuellement avérées d’un Daniel Ellsberg (âgé de plus de 80 ans), en son temps de « gloire » des ’70s l’exact prédécesseur d’un Julian Assange-Wikileaks et de cet Edward Snowden ? Idéalistes que ceux-ci ? Zut alors, surtout idéologues (et assez gauchisants ; rien de libertariens chez eux). Tous visaient et visent à déstabiliser l’Etat USA et ses institutions. Au nom de quoi ? La référence faite à un article d’une Constitution US remarquable … au XVIIIe siècle quand celle-ci fut rédigée. Puis, avec le temps et la mondialisation et ses récentes rivalités entre blocs géopolitiques émergents … dont Chine – Russie – Islam ne sont pas les plus angéliques, faut admettre que jouer les prosélytes de l’angélisme est totalement décalé.
    Revenant à nos français très moyens en nombre de domaines :
    j’ai suivi l’émission Cdanslair de Calvi ce soir. Traitant du même thème, qui voyait-on dans le panel . Deux suspicieux majeurs, placés face à une juriste mouillée dans le droit européen et un senior assez les pieds-sur-terre, pas naïf du tout (je n’ai retenu aucun nom). Ambiance paranoïaque ! Pire que tout : ces « montages – documents – interviews » d’une équipe journalistique dont on décèle vite qu’ils sont EUX très inquiets, bien plus que le citoyen jouant la bégueule ! Une fois de plus, le monde enfumé des journalistes se protège d’une fort hypothétique « surveillance à la Big Brother ». Et la référence faite à Orwell’84 (écrit durant les ’40s) doit nous rappeler les tendances fort à gauche de l’écrivain. Un courant de sympathie existe ainsi entre tenants d’un même penchant idéologique !!!

    Certes les progrès technologiques restent stupéfiants (et irréversibles, quoiqu’en désirent les forces occultistes des gauches). Mais de là à déduire que la NSA suit les conversations et échanges de tout-un-chacun sur l’oreiller, cela relève d’une pathologie aggravée ! Oui, ceux qui auraient à craindre des moyens d’investigation amenant finalement devant la justice sont en premier les gens douteux : terroristes, espions multiples de tous bords, mafeiux et sans lois, … et certains journaleux sans déontologie personnelle ? Que les citoyens normaux que nous sommes se rassurent : aussi puissant qu’il paraisse, l’outil reste NSA reste désuet face aux milliards de milliards de conversations à la con qui nous sont débités chaque jour par les médias et ceux – paranos – qui s’en délectent … (écrit à la hâte et non relu )

    • « La référence faite à un article d’une Constitution US remarquable … au XVIIIe siècle quand celle-ci fut rédigée. » Même si on pourrait en douter l’article en question est toujours censé être en vigueur aujourd’hui, au XXIe siècle.

    • Donc le Patriot Act, Echelon, Guantanamo et ce nouveau PRISM c’est peanuts pour un pays qui se dit être the land of the free… Question de point de vue… Et quand ces mêmes agences revendent les données collectées aux entreprises qui participent à ce teabag de la vie privée c’est tout à fait normal, rien à signaler, juste des lubies de gauchistes. http://www.bloomberg.com/news/2013-06-14/u-s-agencies-said-to-swap-data-with-thousands-of-firms.html

      Mais je suis d’accord sur un fait, si ils disposent des capacités d’écoute à l’échelle mondiale (techniquement c’est relativement faisable, les USA accueillant une bonne partie des noeuds internet sur leur territoire), avoir les capacités d’analyse de ce flot titanesque de données reste une autre paire de manche.

      • ça serait cool de pas tout mélanger, Échelon était un programme de surveillance militaire respectable qui n’avait rien à voir avec PRISM.

    • Quel est l’intérêt de résister à nos ennemis si pour cela on se rebaisse à leur niveau ? Justement mettons le paquet sur la vie privé ! Occupons nos agences de contre espionnage à produire des logiciels open-source qui déjouent les systèmes russes et chinois pour que ces derniers soient obligés de se lancer dans une course à la surveillance et à la censure qui massacrera leur économie ! Construisons une société de la vie privé assez opaque pour que tout leurs dissidents puissent s’y cacher et s’y exprimer !

  • Les américains attachés aux valeurs de la liberté devraient exiger le démantèlement de ces organisations criminelles que sont la NSA, la CIA, la TSA et la Réserve Fédérale. Malgré le courage de gens de conviction tels que Ron Paul, ça n’est pas encore demain la veille…

    • La NSA et la CIA font partie du régalien, ça serait cool de pas tout mélanger, seulement certains de leur programmes sont néfastes aux libertés civiles. Ron Paul est un idéaliste, on a besoin de ces agences pour mener des activités, mais contre des objectifs ciblés et pas tout le monde. Comme je l’ai dit plus haut, si la CIA ou la NSA feraient des logiciels anti censure tel que TOR ou Bitcoin cela impacterait beaucoup plus nos ennemis.

  • Ce qui est le plus terrifiant, c’est les Messieurs Smith qui, sous prétexte qu’il n’a rien à se reprocher ou à cacher, trouve que toutes ces lois liberticides sont une bonne chose.

  • Je lui trouve un petit air de John Lennon. Courageux le type.

  • God guided America
    Satan leads America

  • Pour ceux que ça intéresse,
    petite compil de liens/ressources sur TOR (et sujets connexes)
    http://uplib.fr/wiki/TOR

    • Attention quand même au mirage technologique :

      – face à un problème de société (de droit), la technologie ne fait pas tout
      – la cryptographie est puissante, mais ne résout pas tous les problème de confidentialité sur les réseaux informatiques
      – l’utilisation sure (continue) de Tor est contraignante
      etc.

      Il faut être motivé pour utiliser Tor tout le temps : les performances ne sont pas toujours au rendez-vous, on peut être tenté de surfer « normalement » de temps en temps, en ne faisait rien nécessitant l’anonymat. Dans ce cas, il faut veiller à l’étanchéité des informations de navigation (on peut accepter les cookies avec Tor et sans Tor, mais pas échanger des cookies entre ces environnements).

  • Les commentaires sont fermés.

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L'auteur : Yoann Nabat est enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Bordeaux

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