Le panoptique du XXIe siècle

L’affaire PRISM montre qu’il est urgent, pour éviter un panoptique technologique immonde, d’écouter le message libéral.

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Le panoptique du XXIe siècle

Publié le 12 juin 2013
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À moins bien sûr d’avoir vécu reclus ces dernières semaines, vous devez déjà avoir entendu parler de PRISM, de surveillance massive, de réseaux sociaux et de la carrière d’Obama qui pourrait rétrécir. Comme nous allons le voir, ça se joue aux USA, mais ça se joue surtout partout dans le monde, ici et maintenant.

Bon, histoire de vous mettre un peu de contexte sur deux ou trois paragraphes, résumons l’affaire qui agite la blogosphère actuellement.

yes we scanEn substance, tout part d’un certain Edward Snowden qui, il y a quelques jours, a permis de montrer, preuves à l’appui, que la NSA et la CIA espionnent directement toutes les sources de données informatiques comme Facebook, Twitter, Google, tous les appels téléphoniques qui passent, sans jamais calmer l’appétit de ces agences de renseignements. Bien évidemment, cette révélation n’étonne pas, à proprement parler : tout le monde se doutait déjà que les divers services d’intelligence des États-Unis récupéraient toutes les données qu’ils pouvaient, de toutes les façons possibles, y compris celles dont la légalité est douteuse, voire inexistante. Mais la preuve apportée, voilà un pavé dans la marre d’Obama (dont on se souvient qu’il avait, en son temps de sénateur, vertement tancé Bush pour ses écoutes). Effet secondaire amusant : les obamolâtres, nombreux dans la presse ici et outre-Atlantique, doivent faire face à un nombre assez conséquent de scandales de plus en plus importants qui remettent largement en question le mythe comique de président intègre qu’ils s’étaient employés à construire, par différentiel avec un Bush à la probité elle-même très discutable. Pour le moment, c’est surtout internet qui s’en donne à cœur joie ; on attend les éditoriaux outrés ou larmoyants de ces journalistes qui n’ont toujours pas compris que le président actuel n’a rien à envier aux précédents en termes de mauvaise foi ou de pratiques douteuses.

Pendant ce temps, pour le fond de l’affaire (l’espionnage industriel d’une grande puissance à des échelles jamais atteintes auparavant), il faudra sans doute des jours, voire des semaines pour que les conséquences et implications soient pleinement comprises. Les spécialistes de la sécurité informatique savaient déjà que les principaux fournisseurs de services américains pouvaient, sur simple demande de leur gouvernement, livrer tout ou partie d’informations confidentielles. Pas étonnant, dès lors, que bien des firmes européennes, chinoises ou japonaises pour ne citer que ces acteurs économiques, aient choisi de ne surtout pas héberger de données dans les magnifiques clouds hébergés chez l’Oncle Sam.

Il n’empêche : compte-tenu de l’importance américaine dans le réseau internet, tôt ou tard, des données en transit d’un point à l’autre du globe ont de fortes probabilités de passer par les routeurs américains, et par voie de conséquence, d’être interceptées, analysées voire stockées pour le compte de l’une ou l’autre agence de renseignement des États-Unis. À la limite, si la fibre commerciale américaine reprend le dessus, ils pourraient même envisager de commercialiser une telle fonctionnalité. Ça ne rendra pas l’opération plus éthique, mais certainement plus profitable.

NSA backup

Mais plus sérieusement, toute cette affaire permet de montrer deux choses : la première, évidente, est que l’État (qu’il fut américain, français ou autre ne change rien) ne reculera jamais lorsqu’il s’agira d’utiliser les technologies à son profit. Aucune Constitution, aucun garde-fou juridique, aucune éthique gouvernementale ne permettra d’assurer un comportement restreint, idoine ou tout simplement moral de sa part. Dès lors qu’il existera la possibilité pour lui d’obtenir un moyen supplémentaire d’asservir sa population, il l’utilisera. Le fait d’être dans une démocratie plutôt qu’une dictature changera marginalement la vitesse à laquelle les services étatiques mettront en place ces moyens. Quant aux raisons invoquées, elles seront toujours, invariablement, les mêmes : échangez-moi un peu de votre liberté (dont vous ne savez que faire, enfants) en échange d’un peu plus de sécurité. Et plus l’État s’occupe de sécurité, plus il fait de l’individu un petit animal craintif ayant peur du lendemain, plus il sera facile au plus froid des monstre froids de s’approprier toute la liberté de chacun.

La seconde, c’est que, dans ce tableau assez noir subsiste heureusement quelques zones de lumière. Aussi puissante soit l’organisation qui décide ainsi d’espionner chacun, aussi phénoménaux soient les moyens techniques, humains, financiers dont elle dispose, il se trouvera toujours un ou plusieurs individus pour dire Stop, pour pointer du doigt les dérives, pour dénoncer les abus, pour révéler les abominations. Tout libéral, bien sûr, comprendra cette dernière remarque, et tout individu, libéral ou non, comprendra aussi ce que de telles dénonciations, que de telles révélations peuvent comporter comme risque sur celui qui les énonce. Rien qu’à ce titre, le jeune Snowden mérite le plus grand respect pour le courage dont il a fait preuve, courage qui l’amènera, au mieux, devant les tribunaux de son pays, ou à une vie d’exil et de fuite, ou pire encore à une mort louche, suicidé au fin fond d’une forêt avec trois balles dans le buffet. Le terme héros, largement galvaudé de nos jours, n’est probablement pas trop fort pour désigner un type qui aura choisi ainsi de foutre sa vie en l’air, aussi ouvertement, en échange d’une révélation ou pour avoir fichu un doigt dans l’œil de Big Brother.

Je ne peux, en mon âme et conscience, laisser le gouvernement américain détruire la vie privée, la liberté d’Internet et les libertés essentielles pour les gens tout autour du monde au moyen de ce système énorme de surveillance qu’il est en train de bâtir secrètement.

nsa backup copyAu passage, devant ce constat que l’État s’appropriera toujours les technologies les plus avancées pour son agenda propre, on peut mener deux réflexions : celle de Julian Assange, par exemple, qui consiste à ne voir qu’une issue catastrophique à l’usage de ces technologies, essentiellement résumée par un totalitarisme dont la RDA elle-même n’aurait pu rêver, où tout le monde sera constamment sur écoute, surveillé, suivi par les services de l’État et immanquablement manipulé, qui par l’État lui-même, qui par les grandes corporations commodément acoquinées à ce dernier. À côté, Orwell passe pour un optimiste. Et il y a cette autre réflexion qui consiste à demander un État toujours plus faible, plus modeste, plus petit, et dont la taille réduite assure que les débordements seront plus facilement contenus. Ceux qui comprennent la lourde probabilité de la première vision ne peuvent que réclamer la seconde, sans même parler des aspects purement économiques et sociétaux qu’entraînent un État réduit.

Ce XXIe siècle est, même en 2013, encore jeune. Il n’est en rien écrit que l’Humanité devra en passer par un gouvernement mondial, à l’instar des désirs humides d’Attali. Il n’est pas plus écrit que la technologie sera immanquablement un fardeau, une nouvelle forme d’oppression plus ou moins douce, un panoptique moderne et technoboosté. Bien sûr, la récente affaire PRISM, les révélations de Snowden et les réflexions tristounettes d’un Julian Assange en mal de notoriété montrent très bien qu’on a déjà commencé à trotter vigoureusement dans la mauvaise direction. Mais l’analyse permet de comprendre que le mal n’est pas intrinsèquement dans la technologie, mais dans la taille qu’on a accordée aux États, qui, de fait et même avant l’arrivée de cette révolution numérique, contrôlent maintenant les aspects les plus importants de notre vie : ce que nous mangeons, qui nous soigne, qui nous éduque, qui nous fournit notre monnaie.

Chacun de ces domaines pourrait largement bénéficier d’un retrait de l’État. Et s’il y a bien un message qu’il faut entendre et que ces affaires mettent en exergue, c’est le message libéral.
—-
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  • Perso, je me suis toujours méfié de ces « clouds », ils sont noirs et n’annoncent rien de bon.
    Hélas de plus en plus nous sommes contraints de les utiliser ne serait-ce qu’avec les derniers Smartphones Win, avec lesquels il n’est plus possible de synchroniser son agenda sans ouvrir un compte externalisé, un agenda en ligne.

  • L’Homme libre est seul et ne dépend de personne.
    L’Homme libre n’existe pas au milieu de 7 milliards d’autres hommes.
    Je crains fort que le héros au coeur pur  » qui pointe du doigt les dérives, pour dénoncer les abus, pour révéler les abominations  » n’existe pas plus même si Edwy Plenel veut nous faire croire le contraire.
    Y a-t-il une bonne surveillance des terroristes en puissance ou des fraudeurs du fisc et une mauvaise surveillance des individus toujours innocents ?
    Les américains si sourcilleux de leurs libertés individuelles acceptent d’être ainsi surveillés à plus de 60 %
    Rien n’est simple…

    • À quoi rime exactement cette tempête de poncifs ?

      • L’Homme libre est seul et aime la compote de pomme.
        L’Homme libre ne perit pas au milieu de 7 milliards de pommes.

      • Désolée pour les poncifs…
        La plupart du temps, je suis d’accord avec vos articles et j’aime beaucoup leur impertinence et leur pertinence.
        Là, je vous ai senti au premier degré et l’hommage appuyé au héros a du me faire lâcher prise… je ne crois pas aux héros.

        Reste que les américains me paraissent représenter ce qu’il y a de mieux au niveau des libertés individuelles et qu’ils n’y voient pas d’atteinte au cas présent, ou du moins cette atteinte est selon eux justifiée par la loi.
        Les français plus chatouilleux sur les libertés individuelles que les américains ?

        • Le type va littéralement foutre sa vie en l’air, pour avoir dénoncé la plus grosse opération de surveillance de citoyens par un état. En l’échange de … rien. Et vous n’appelez pas ça un héros ? Dans ce cas, le concept même n’existe pas.

        • « je ne crois pas aux héros »

          Ce n’est pas grave, les héros croient en vous… 🙂

        • Je ne pense pas que les Etats Unis constituent encore aujourd’hui un modèle de liberté. L’avantage de ce pays et de leur constitution c’est qu’il leur sera beaucoup plus facile de s’affranchir du joug de la tyrannie au sein de laquelle ils vivent.

  • le procédé reste moyen, même pour les gens qui n’ont rien a se reprocher…

    Ce qui me choque, c’est la non utilisation de ce systeme pour coincer les potentiels gens dangereux.
    Ils ont tout sur tout, et ils s’étonnent de certaines situations, c’est difficilement compréhensible.

    • Le système n’a guère d’intérêt pour coincer les gens dangereux, ceux-là, à moins d’être des idiots patentés, vont transformer en conversations anodines toutes celles qui risqueraient d’attirer l’attention.
      Il vise à donner du pouvoir et l’illusion du pouvoir à ceux qui l’utilisent pour donner l’illusion de la sécurité. Il vise aussi et surtout et donner un avantage commercial malhonnête à certains, donc ne soyons pas naïfs, entendons-nous sur un langage codé quand nous échangeons des infos dont ne nous voulons pas qu’elles attirent l’attention, puis finissent là où il ne faut pas. C’est bête parce que la technique devrait nous simplifier la vie au lieu de la compliquer, mais c’est gérable.

  • « Yes we scan » ; « we progress toward a perfectly monitored society » : mouahaha, excellent !

  • On ne peut pas se contenter de traiter de « taille » de l’État.
    Il faut comprendre pourquoi et à quoi on le veut réduit.

    Il faut donc en définir les missions: Préserver la liberté, la société, et lui-même.

    La liberté est la mission première, mais le paradoxe est qu’elle s’efface pourtant devant les deux autres, car la société et l’État lui sont nécessaires.
    C’est pourquoi toute loi, toute action de l’État, doit être justifiée objectivement au regard de la préservation de l’État et de la société.

    La taille requise pour ce faire est difficile à prédire, tout dépend des défis à relever: Pensez au défi islamiste…

    L’exigence objectivité au regard de la préservation de la société et de l’État n’est rien d’autre que la laïcité, au sens chrétien de distinction entre Dieu et César, car elle exclut les considérations morales comme justification de la loi.

    Voilà comment on peut aboutir effectivement à un État réduit et à une liberté maximale.

    Évidemment cette vision de l’État ravit les libéraux, mais est radicalement contraire au socialisme. Le « mariage pour tous » est un triomphe du socialisme, puisque le mariage civil traditionnel est justifié objectivement par la mission de préservation de la société, alors que le « mariage pour tous » est au détriment de cette mission, et ne peut être justifié que par une vision de la morale.

    • Fu Zu arrete de faire ton francais.A force de pousser tu vas inventer l’eau tiede.
      J’admire comment tu ramenes ton traumatisme du mariage pour tous, pulsion trollante.

    • Il va falloir revoir deux ou trois notions là…

      « la préservation de la société »? relisez Hayek et intéressez vous plus particulièrement au Darwinisme social. Une société se préserve parce qu’elle est la plus à même de survivre à son environnement, non pas parce que des socialistes s’emploient à la maintenir.

      « le défi Islamiste »? Je ne vois pas de différence entre un déséquilibré islamiste et un déséquilibré « normal ». Les deux privent les gens de leurs libertés, il n’a pas de différence de traitement à avoir.

      • désolé pour la non-relecture et les fautes…

      • « Une société se préserve parce qu’elle est la plus à même de survivre à son environnement, non pas parce que des socialistes s’emploient à la maintenir. »

        La préservation de la société inclut le mariage civil traditionnel, les allocations familiales et le quotient familial.

        Je ne pense pas qu’on puisse organiser une société, selon des principes libéraux ou socialistes, sans s’inscrire dans une certaine pérennité.

        Les socialistes ne s’emploient pas à préserver la société mais à concrétiser des utopies.

        L’islamisme n’est pas le terrorisme islamiste, mais l’objectif d’imposer la charia. Les terroristes islamistes ne sont pas déséquilibrés mais, rationnellement, des martyrs au sens islamique.

  • L’autoritarisme est en pleine expansion comme les marchés boursiers vivant de la planche à billets..Et cela est de plus en plus perceptible dans l’atmosphère qui devient de ce fait de plus en plus détestable dans beaucoup de pays…Jusqu’où va-on aller?Vers le retours des années 30 ?

  • « Celui qui est prêt à sacrifier un peu de sa liberté pour plus de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre » A. Lincoln (et non de Thomas Jefferson : c’est gravé dans Miss Liberty à son nom, en tous cas…).
    Le Patriot Act et les caméras de vidéo-surveillance omniprésents sont de bons exemple de la négation de ce principe.

  • Totalement d’accord avec la réflexion sur la taille de l’état. On peut tourner le problème dans tous les sens, la séparation des pouvoirs ne sert pas de rempart efficace contre l’état, c’est son démantèlement progressif qui permet de limiter l’oppression de la façon la plus efficace.

  • Nous sommes proches du point de Rupture …

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