Le hasard a tout prévu de Kyra Dupont Troubetzkoy

Il est des livres dont on ne sort pas indemne. Il est des livres qui donnent matière à réflexion. Le hasard a tout prévu fait partie des deux catégories.

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Le hasard a tout prévu de Kyra Dupont Troubetzkoy

Publié le 3 juin 2013
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Il est des livres dont on ne sort pas indemne. Il est des livres qui donnent matière à réflexion. Le dernier livre de Kyra Dupont Troubetzkoy, très différent du précédent, Petit essai assassin sur la vie conjugale, relève de ces deux catégories. Il suscite l’émotion et interroge la raison.

Dans Le hasard a tout prévu, l’auteur traite de la fatalité et du libre-arbitre. Sommes-nous déterminés ou sommes-nous libres de mener notre destin ?

Le titre, Le hasard a tout prévu, répond bien à la question dans sa contradiction. Et je suis bien sûr que tous ceux qui se battent avec ténacité dans l’existence, ont connu, connaissent, ou connaîtront, ses aléas, tout en sachant ne pas leur permettre de jamais prendre le dessus.

Les nouvelles, qui composent l’ouvrage, sont au nombre de huit. Sept brèves rencontres réelles ponctuent les sept premières de ces nouvelles et la rencontre de l’auteur avec elle-même la huitième. Toutes sont basées sur des histoires réelles, à partir desquelles l’auteur a décidé d’emprunter la voie de la fiction afin de mieux rendre compte de leur réalité.

Cette voie de licence romanesque lui a permis par là-même de se mettre réellement à la place de ses personnages. Sans dénaturer leur vérité et, même, certainement, en la faisant sortir toute nue de son puits par le prêt de pensées aux protagonistes et à leurs proches, qui n’auraient pas eu leur place dans un document. Ainsi pouvaient s’établir les liens entre leur extérieur et leur intérieur. Ainsi pouvait être embrassée leur totalité.

C’est pourquoi, l’éditrice, Luce Wilquin, et l’auteur n’hésitent pas à employer le néologisme cinématographique de docufiction à propos de ces huit récits, qui sont à la fois très bien documentés et très bien imaginés. Et très bien écrits.

Kyra Dupont Troubetzkoy, qui est une grande voyageuse dans l’espace et le temps, nous emmène tour à tour au Cambodge au moment de la prise du pouvoir par les Khmers rouges ; en Roumanie du temps de la dictature du couple Ceaucescu ; dans la Région Autonome Juive (RAJ), créée par Staline, au fin fond de la Sibérie ; en Suisse dans une famille qui a adopté deux jeunes Coréennes ; dans l’Espagne de Franco où des bébés étaient volés par des religieuses à des mères en situation de détresse ; en France à une époque où une enfant née hors mariage pouvait jeter le discrédit sur une famille en place ; aux Etats-Unis où une fille-mère, tout juste pubère, en pension au Danemark, pouvait faire scandale ; sur le Tour de France des Compagnons du Devoir.

Le thème commun de ces récits, au-delà des degrés de liberté que nous laisse l’humaine condition, est celui de la filiation, du besoin de connaître son identité, de savoir d’où l’on vient, pour savoir qui l’on est, pour se reconstruire après le traumatisme de la séparation et de l’oubli.

Le premier des personnages, le jeune cambodgien Sorithy (dont l’histoire fait penser à celle de Rithy Panh) est séparé de ses parents contre leur gré. La roumaine Ekaterina abandonne mari et enfant pour s’exiler et fuir l’enfer de son pays. Alma quitte la RAJ encore enfant et y retourne adulte, bien des années après. Jae Sook, orpheline adoptée en Suisse, fait deux voyages en Corée pour rencontrer sa mère biologique. Penelope a été volée à sa mère Letizia et elles cherchent toutes deux à se retrouver, chacune de son côté. Emerance cherche à comprendre pourquoi sa mère l’a abandonnée puis reprise, et à savoir qui est son père naturel. Else a eu Amber à treize ans sans comprendre ce qui lui arrivait et Amber se met à sa recherche. Le dernier des personnages, Jacques, a été adopté par un charpentier savoyard et sa femme, parce que son père biologique n’avait pas de quoi l’élever.

Pourquoi Kyra Dupont Troubetzkoy s’est-elle intéressée à ces huit destins ? Parce qu’ils ressemblent au sien, parce que la souffrance de ses personnages est sienne, parce qu’elle a fini par s’en rendre compte :

À travers tous ces visages, je cherchais ma mère et à expliquer son geste de mort volontaire. Je décrivais ces survivants, car peu à peu, le mien apparaissait en filigrane derrière les mots, et j’espérais aussi y voir le sien. Ils étaient tous une part de moi-même et de l’amour filial qui m’avait tant manqué. Ils étaient la preuve qu’on s’en remet, qu’il est possible de retrouver l’âme de ceux que l’on a perdus à travers les traits des êtres que l’on aime plus que tout et qui sont bien là. Oui, décidément le hasard a tout prévu.

Le hasard existe-t-il donc s’il a tout prévu ? J’en doute, car je sais que nous avons beaucoup plus de latitude que nous ne croyons. Mais si le hasard existe et qu’il a tout prévu, ce n’est peut-être que pour ceux qui ont la vie chevillée au corps et à l’âme et qui savent le faire leur…


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