« La maison des anges » de Pascal Bruckner

Dans son dernier ouvrage, l’essayiste Pascal Bruckner choisit la forme du roman pour interroger le lecteur sur la place des sans-abri dans la ville.

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« La maison des anges » de Pascal Bruckner

Publié le 29 mai 2013
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Par Francis Richard.

Pascal Bruckner n’est pas seulement essayiste. Il est également romancier. Cette fois il nous emmène visiter le ventre de Paris, qui renferme, à l’abri des regards, toute une faune qui n’a d’humaine que le nom et qui ne fait surface que pour mendier ou voler. Ce livre est de circonstance. Depuis bien longtemps il n’y avait pas eu autant de SDF à Paris. Il faut remonter aux années 1950 pour retrouver une telle misère clocharde. Les qualités d’essayiste de Bruckner se retrouvent dans ce roman. Car il est évident qu’il s’est sérieusement documenté pour l’écrire. Dans le même temps, il s’agit bien d’un roman avec des personnages inventés : « J’ai pris des libertés avec la réalité, superposé les époques, indépendamment de tout souci de vérité. »

Antonin Dampierre se rend en voiture à un stage de langue dans le cadre d’un programme Erasmus. Pour gagner Klagenfurt où a lieu ce stage il fait des détours, s’égare, tombe en panne et se retrouve devant une auberge fermée, dont la propriétaire, une vieille femme, finit par lui ouvrir et qui, très vite, lui fait peur et le dégoûte, avec son curieux sens de l’hospitalité. Elle finit en effet par s’allonger à côté de lui, dans son lit, et par lui passer le bras autour du torse avant qu’il ne s’endorme. Au matin, il découvre avec stupéfaction qu’elle est morte en le tenant fermement serré.

Longtemps après cette mésaventure autrichienne traumatisante, Antonin, devenu courtier d’une agence immobilière du Marais, se comporte curieusement avec les femmes. Enfant unique, il a perdu ses parents dans un accident de voiture à 21 ans. Son père était communiste pur et dur, sa mère féministe rejetait la fidélité bourgeoise, et les deux se disputaient copieusement et continuellement : « Il avait gardé de ces querelles une certitude : l’énergie est femme, la faiblesse masculine. »

Et il avait pris le contrepied de ses parents de gauche :

Horrifié par l’exemple de son père et de sa mère, Antonin décida très tôt d’abandonner la politique et l’amour. La première parce qu’elle rend idiot, le second parce qu’il égare les êtres.

Aussi manichéen que ses parents qui divisaient en deux l’humanité, entre exploiteurs et exploités pour l’un, entre phallocrates et victimes pour l’autre, Antonin la divise entre pur et impur. Son père lui reprochait sa mollesse, occupé qu’il était volontiers aux tâches ménagères de la maison auxquelles il apportait le plus grand soin et qui étaient propres à satisfaire son obsession de la pureté. En fait il avait hérité de l’agressivité de sa mère, ce qui, plus tard, allait lui jouer des mauvais tours.

Antonin est très apprécié de son patron qui lui confie la vente d’un appartement de prestige de la Plaine Monceau. Mais à l’arrivée du riche couple d’acquéreurs potentiels, deux ivrognes, déambulant en tandem sur l’avenue, se séparent brusquement et l’un d’eux, au pied de l’immeuble, trébuche et s’affale en vomissant. La vente est ratée. Quelques temps plus tard, Antonin s’aperçoit qu’il a oublié un double des clés dans cet appartement. Il retourne sur place et au sortir de l’immeuble il est agrippé au mollet par le misérable ivrogne qui lui a fait rater sa vente et qui est revenu sur les lieux de son forfait. Pris de rage, Antonin roue de coups de pied le malheureux, pour se dégager d’abord, puis par plaisir, et s’enfuit le laissant à son destin. Le surlendemain il apprend que dans le même quartier, le même jour, un vagabond a été trouvé mort, roué de coups…

Dans le métro, à la suite d’un accident de personne, les voyageurs sont invités à descendre de la rame. Antonin est le dernier à rester avec un vieillard en haillons incontinent d’une odeur pestilentielle et qui le poursuit de ses invectives.

Bouleversé, Antonin s’enfuit :

Ses rêves, cette nuit-là, furent emplis d’hommes sales, éméchés, baignant dans la vinasse et les excréments.

Antonin a une maîtresse, Monika, avec laquelle il sacrifie modérément à Vénus et avec laquelle il vit à mi-temps. Leur histoire a d’ailleurs commencé sur un malentendu :

Au début de leur rencontre, il lui avait envoyé un sms. À la fin, il avait écrit : Je t’embrasse. Erreur de manipulation ou autre, le téléphone n’avait retenu que les trois premières lettres : Je t’em.

Monika a un chien, un Jack Russell, Capitaine Crochet, qui a la particularité d’être en rut perpétuel. Un jour que Monika le lui a laissé à garder, Antonin est poussé à bout par le cabot maladroit et à l’organe turgescent. Il le jette donc par la fenêtre et maquille son trépas en accident de la route, sans convaincre sa compagne, qui l’a vu approuver le tabassage d’un vieux qui déféquait en public, par une bande de jeunes racailles.

C’est décidé. Antonin veut tuer des clochards parce qu’ils sont sales. Ce sera sa croisade. Il va vidanger Paris, « punir les cas désespérés, laisser aux autres une chance de s’en sortir. » Et première conséquence de cette décision, il rompt avec Monika (« il ne toucherait plus aux femmes sinon avec d’infinies précautions »). Pour approcher ses cibles, Antonin infiltre les milieux humanitaires. C’est ainsi qu’il fait la connaissance d’Isolde de Hauteluce, en rupture avec sa haute lignée et qui dirige La maison des anges, « une petite institution d’assistance aux grands exclus ». Après cette rencontre, il démissionne de son poste de courtier immobilier et travaille aux côtés d’elle au service de la bonté.

La croisade d’Antonin ne se déroulera cependant pas comme il l’avait prévu. Il ne pourra que s’en prendre à lui-même, à son agressivité incontrôlée et à son manque de courage une fois mis au pied du mur. L’épilogue révèlera en outre à quel point l’épisode autrichien du début l’avait traumatisé.

Ce roman est criant de vérité. Sur un thème de ce genre, la forme romancée permet de cerner la réalité au plus près. En forçant le trait et en prêtant des pensées et des paroles indicibles aux personnages, la fiction permet en effet d’aller plus loin que l’essai ou le reportage pour en rendre compte. Ainsi l’auteur peut-il se livrer avec verve à des descriptions telles que celle d’une des cibles d’Antonin – description qui aurait été insupportable, et insupportée, autrement :

Cet échalas, toujours haletant, se montrait si bienveillant qu’il en était agaçant. Il avait les yeux infectés de pus, gonflés comme des balles de ping-pong, des touffes de poils noirs lui sortaient des oreilles. Ce qui débectait le plus Antonin, c’étaient ses reniflements continus, la morve qui huilait ses lèvres ou le bas du visage.

Isolde de Hauteluce résume très bien ce qu’est le monde de la cloche quand elle dit à Antonin :

Être pauvre, c’est déjà être moins qu’un citoyen. Mais devenir clochard, c’est devenir moins qu’un homme, une faillite organique.

Elle, qui n’est pas exempte de tout reproche, n’est pas tendre avec les ONG :

Tous ces militants associatifs sont pareils aux dames patronnesses du XIXe siècle : ils ont leurs gitans, leurs Roms, leurs sans-papiers, leurs femmes excisées, leurs immigrés, ils les choient comme un trésor.

Les artistes de gauche, « qui portent leurs opprimés en bandoulière et s’en servent pour leur promotion personnelle », ne trouvent pas davantage grâce à ses yeux :

Elles posent au Sahel ou au Bangladesh avec des négrillons au ventre gonflé ou des enfants affamés. Mais poser avec un clodo bien de chez nous et qui pue, c’est moins glamour, il n’y a pas de retour sur investissement.

• Pascal Bruckner, La maison des anges, Grasset, 2013, 320 pages.


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