Affaire Sarkozy : le principe d’impartialité des juges au cœur de la tourmente

Mise en examen de Nicolas Sarkozy : le juge d’instruction Jean-Michel Gentil a-t-il manqué d’impartialité ?

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Nicolas Sarkozy en campagne en 2012 (Crédits UMP Photos, licence Creative Commons)

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Affaire Sarkozy : le principe d’impartialité des juges au cœur de la tourmente

Publié le 3 avril 2013
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Mise en examen de Nicolas Sarkozy : le juge d’instruction Jean-Michel Gentil a-t-il manqué d’impartialité ?

Par Roseline Letteron.
Nicolas Sarkozy en campagne en 2012 (Crédits UMP Photos, licence Creative Commons)

Nicolas Sarkozy est mis en examen. Il n’est pas le premier homme politique dans cette situation, et il ne sera sans doute pas le dernier. Comme toujours dans ce cas, on rappelle que l’intéressé bénéficie de la présomption d’innocence, et que rien ne dit, pour le moment, qu’il comparaîtra effectivement devant le tribunal correctionnel.

Ses partisans s’appliquent à disqualifier le juge d’instruction, et affirment sur tous les médias que cette mise en examen est profondément injuste, seulement motivée par l’animosité politique. Rien de nouveau dans cette démarche, si ce n’est le ton employé, souvent bien éloigné du respect que chacun doit à la Justice. Henri Guaino affirme que le juge d’instruction « a bien déshonoré la justice ! Il a sali la France en direct et devant le monde entier« . Nadine Morano, égale à elle-même, compare cette mise en examen à l’affaire d’Outreau. Quant à l’épouse éplorée, elle considère comme « impensable » le fait que Nicolas Sarkozy ait pu  « abuser de la faiblesse d’une dame qui a l’âge de sa mère« . On comprend, en tout cas, que l’intéressé, lorsqu’il était Président de la République, ait souhaité la disparition pure et simple de la fonction de juge d’instruction.

L’impartialité, fonction rhétorique

Derrière ces discours partagés entre la haine et le mauvais mélodrame, transparaît l’idée que le juge d’instruction n’est pas impartial. Alors forcément, on cherche les preuves de sa partialité, et on croit en avoir trouvé une. Le juge Gentil n’a-t-il pas signé dans Le Monde daté du 27 juin 2012, une tribune intitulée « Agir contre la corruption : l’appel des juges contre la délinquance financière ». Peu importe que cet article soit également signé par quatre-vingt-un autres magistrats. Peu importe qu’il ait été publié après la victoire de François Hollande et ne mentionne pas une seule fois le nom de Nicolas Sarkozy, se bornant à demander, de manière abstraite, un renforcement du dispositif de lutte juridique contre la corruption.

Pour les amis de Nicolas Sarkozy, la notion d’impartialité n’a pas besoin de contenu juridique mais a une fonction purement rhétorique. Le seul fait de mettre en examen l’ancien Président de la République révèle, en soi, la partialité de celui qui commet un crime proche du lèse-majesté.

Et pourtant, le principe d’impartialité est juridiquement défini, et donne lieu à une jurisprudence relativement précise.

Autonomie du principe d’impartialité

Observons tout d’abord que l’exigence d’impartialité est difficilement détachable du principe de l’indépendance des juges, dont elle apparaît comme la conséquence la plus immédiate. Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel fonde le principe d’impartialité sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. À l’époque, il rappelle, sans trop les distinguer, que « les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles« . Depuis cette date, sa jurisprudence s’est affinée, et accorde désormais une véritable spécificité au principe d’impartialité. Dans sa décision rendue sur QPC du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel déclare non conforme à l’article 16 de la Déclaration de 1789 le principe traditionnel gouvernant la justice des mineurs depuis l’ordonnance du 2 février 1945, selon lequel le juge chargé de l’instruction est également l’instance de jugement. Pour le Conseil, la direction de l’enquête ne peut qu’influer sur le jugement ultérieur, et emporte donc une atteinte au principe d’impartialité.

De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme trouve le fondement juridique du principe d’impartialité dans le droit au procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans sa décision Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, elle précise quelque peu les critères utilisés pour déterminer si une juridiction est impartiale, ou non. Ces critères sont ceux utilisés par les juges français.

Critères de l’impartialité

Le premier critère peut être qualifié de « subjectif » parce qu’il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s’il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l’impartialité est présumée, jusqu’à preuve du contraire (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). La Cour européenne se montre très rigoureuse à cet égard et ne constate la violation du principe d’impartialité que lorsque la preuve est flagrante. Tel est le cas, dans l’arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, pour un jury de Cour d’assises jugeant un Français d’origine algérienne, dont l’un des jurés a tenu, hors de la salle d’audience mais devant la presse, des propos racistes.

L’animosité à l’égard de l’accusé doit donc être patente, et sa preuve sauter aux yeux. On ne voit pas sur quelle preuve pourrait s’appuyer Nicolas Sarkozy pour prouver la partialité du juge qui l’a mis en examen, ou plutôt des juges puisqu’ils sont trois à instruire l’affaire. Aucun d’entre eux n’a pris une position publique mentionnant une quelconque hostilité à son égard. Quant à la chronique signée par le juge Gentil, elle ne témoigne d’aucune animosité personnelle, puisque le nom de Nicolas Sarkozy n’est même pas mentionné.

Le second critère est présenté comme « objectif », parce qu’il s’agit de contrôler l’organisation même de l’institution judiciaire. Le tribunal doit apparaître impartial, et inspirer la confiance. Sur ce point, la Cour européenne a développé une jurisprudence qui interdit l’exercice de différentes fonctions juridictionnelles par un même juge, dans une même affaire (par exemple : CEDH, 22 avril 2010 Chesne c. France). La Cour de cassation reprend exactement le même principe dans une décision de la Chambre criminelle du 8 avril 2009. Elle y rappelle l’importance de l’impartialité fonctionnelle, qui interdit notamment à un magistrat de connaître d’une affaire pénale, alors qu’il avait déjà eu à juger de son volet civil, la même affaire au même degré de juridiction et pour les mêmes faits, afin d’éviter tout risque de pré-jugement. Dans ce cas, ce n’est pas le juge qui est en cause, mais l’organisation judiciaire qui ne satisfait pas au principe d’impartialité. Sur ce point, on ne voit pas quel argument pourrait être utilisé pour contester l’institution même du juge d’instruction, qui, on le sait, instruit à la fois à charge et à décharge.

Ces principes constituent le socle sur lequel sont appréciés les recours mis à la disposition des justiciables qui s’estiment victimes d’un manquement à l’impartialité. La récusation a en effet pour objet de contester l’impartialité d’un magistrat identifié (approche subjective). Le renvoi pour cause de suspicion légitime, quant à lui, met en cause l’impartialité de la juridiction de jugement dans son ensemble (approche objective).

Dans tous les cas, l’analyse juridique suffit à montrer le caractère excessif des propos tenus par les amis de Nicolas Sarkozy, repris avec complaisance par les médias. Le problème est que nul journaliste ne s’est donné la peine de se livrer à une analyse juridique, si modeste soit-elle. C’est dommage, car mettre en cause, sans aucun fondement juridique, l’impartialité d’un juge, ce n’est pas seulement disqualifier une personne, c’est aussi disqualifier la justice.


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  • Vivement l’Etat minimal en France

  • « c’est aussi disqualifier la justice » : comme dans l’affaire Cahuzac, peu importe Sarkozy.

    Il suffit d’écouter les péroraisons crasses de l’inénarrable syndicat de la magistrature pour comprendre que « l’impartialité » des juges est une histoire à dormir debout, un fantasme infantile, une promesse en réalité purement politique qui, à ce titre et comme chacun le sait depuis l’aveu Pasqua, n’engage que ceux qui l’écoutent.

    Mais surtout, la question n’est pas tant celle de l’impartialité que celle de la légitimité. N’étant pas élus, le pouvoir exorbitant dont disposent les juges les disqualifient d’office pour prétendre à une quelconque légitimité. Non élus, les juges qui prétendent au pouvoir sont nécessairement illégitimes.

  • A quoi ca sert de laisser l’argent dormir ?

    Rien ne prouve que l’argent Betancourt n’a jamais été amassé en vendant des produits de luxe à des gens en abus de faiblesse.

    • lafayette: « A quoi ca sert de laisser l’argent dormir ? »

      Sauf bas de laine ou matelas il ne dort jamais, ou jamais très longtemps.

      lafayette: « Rien ne prouve que l’argent Betancourt n’a jamais été amassé en vendant des produits de luxe à des gens en abus de faiblesse. »

      Et rien ne prouve qu’un lecteur ne se soit jamais tapé la tête contre les murs a la lecture de certains de vos commentaires.

      • « rien ne prouve qu’un lecteur ne se soit jamais tapé la tête contre les murs… »

        il s’agit là d’une liberté d’expression individuelle, qui plus est, ne me regarde pas vu que c’est pas dans ma direction mais celle du mur.

    • Rien ne prouve que les marques allemandes de grosse berlines n’abusent pas de la faiblesse de « Mickey » qui pensent ainsi singer le riche en montrant l’argent qu’ils n’ont pas spécialement :
      Se parfumer avec les produits des Bétancourt doir aussi faire partie de leur commun

  • Hola !
    L’auteure serait-elle mieux au courant du dossier que ne le sont :
    1) un juge jouant au funanbule appuyé sur un fil mal tissé ?
    2) l’ex-président qui vécu les faits mais que d’aucun souhaiterait discréditer ?

    A lire la séquence de vos articles, le citoyen ordinaire peut lui conclure qu’il n’y a pas seulement du parti pris parmi nos juges omnipotents, mais tout autant parmi des académiques … Creusez donc le cas, en âme et conscience, Mme la professeure ?

  • Admirable article.
    Qui montre ô combien le sentiment de caste et de supériorité qui anime les gens de droit.
    Peu m’importe l’histoire en question, ce qu’on constate à la lecture de ce merveilleux plaidoyer est qu’il en faut bien davantage à un citoyen pour remettre en cause l’honnêteté d’un juge (évidences et preuves) qu’à un juge pour mettre en cause l’honnêteté d’un citoyen.
    Et ce système est à ce pont merveilleux que jamais un juge n’a à répondre de ses actes devant les citoyens.
    C’est une situation ô combien cocasse de voir la justice se prévaloir de prendre ses décisions au nom du peuple mais de ne jamais lui rendre compte.
    La Démocratie s’arrête au politique devant la muraille de l’institution judiciaire qui se juge elle-même avec force complaisance. Les bavures sont aussi judiciaires, mais curieusement, elles ne portent jamais ce nom.

  • Juge impartial ?????
    / Que dirait ce Monde des « Bien pensant » , des Artistes et des médias
    SI
     » un juge : adhérant du Front National est en charge du dossier de passeur venant du Moyen orient …… »
    Cela ne leverait il pas une nuée de Boucliers ?????

    ( je ne suis absolument pas ami du FN , mais essaye simplement de faire un parrallèle )

  • Les commentaires sont fermés.

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