Criminalité : l’approche ultra-répressive, quel bilan ?

En contrepoints de notre entretien avec l’auteur de la France Orange Mécanique, Contrepoints vous propose une vision très critique des politiques ultra-répressives de lutte contre la criminalité.

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Crime

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Criminalité : l’approche ultra-répressive, quel bilan ?

Publié le 25 mars 2013
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En contrepoints à notre entretien avec l’auteur de la France Orange Mécanique, Contrepoints vous propose une vision très critique des politiques ultra-répressives de lutte contre la criminalité.

Par Radley Balko (*), depuis les États-Unis.
Un article de Reason.

« La criminalité ne cesse de baisser mais les prisons ne cessent de remplir ».

Les experts conservateurs n’arrêtent pas de se moquer de ce titre depuis sa parution dans le New York Times en 1997. Pour la droite de l’ordre (law and order right), il illustre l’égarement complet de l’élite gauchiste (liberal). Ne peuvent-ils pas comprendre que le taux d’incarcération croissant aux États-Unis et la baisse historique de la criminalité en 20 ans puissent être connectés ?

Pourtant l’idée a l’air évidente : alors que nous mettons de plus en plus de personnes en prison, le taux de crimes violents a bien diminué, passant de 758 victimes par 100 000 habitants à 429 entre 1991 et 2009. Il semble naturel de dire que mettre plus de meurtriers et de violeurs derrière les barreaux explique cette baisse. Cependant, en deuxième approche, le lien causal est tout sauf évident.

Le criminologue Richard Rosenfeld (University of Missouri-St. Louis) et le sociologue Steven Messner (SUNY-Albany) ont mené une série d’études sur la question, publiées en 2009. Ils ont observé que les quinze dernières années, les États américains avec les plus bas taux d’incarcération sont aussi ceux qui ont vu le taux de criminalité chuter le plus en comparaison avec ceux qui incarcèrent à tout-va. En outre, la hausse de la population carcérale a commencé dès le début des années 1980, soit une décennie avant la baisse du taux de criminalité. Plus précisément, le taux d’incarcération a plus que doublé dans les années 1980, alors que la criminalité violente augmentait toujours, de 22 %.

Si l’incarcération n’est pas l’explication, qu’est-ce qui a causé la baisse de la criminalité ?

On ne manque pas de théories : les universitaires ont presque tout pointé, de la légalisation de l’avortement à l’interdiction de la peinture au plomb. D’autres théories l’attribuent au vieillissement de la population américaine (la vaste majorité des criminels ayant moins de 30 ans), au programme de Bill Clinton pour mettre davantage de policiers dans les rues, au contrôle plus strict du droit au port d’armes, ou encore à la hausse du nombre d’Américains portant légalement des armes.

Les études sur lesquelles sont fondées ces théories ont toutes des résultats statistiquement significatifs. Se pourrait-il qu’elles soient toutes justes ?

« Je pense qu’aucune n’est juste » déclare Sam Walker, professeur émérite de justice criminelle à l’université du Nebraska. Walker a étudié la criminalité pendant 35 ans et a écrit 13 livres sur la justice criminelle.

Selon lui :

« On peut adapter les variables pour leur faire dire ce que l’on veut. Les conservateurs disent que la baisse de la criminalité est due à l’incarcération, les gauchistes que c’est à cause de la police de proximité. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de preuves convaincantes, dans un sens comme dans l’autre ».

Il n’y a un consensus universitaire que sur deux facteurs : la baisse du commerce du crack après son pic dans les années 1980, ainsi que la croissance économique à partir de 1992. (alors qu’on pense communément que la drogue en elle-même rend les gens violents, la vaste majorité des homicides liés au crack étaient dus à des différends entre dealers qui combattaient pour un marché noir en développement). La théorie du crack laisse penser que ce n’est pas la baisse de la criminalité qui était l’anomalie, mais son pic.

Dans son livre de 2009, This Is Your Country on Drugs, le journaliste Ryan Grim soutient la théorie selon laquelle le succès du crack pourrait n’avoir été que la conséquence des politiques anti-marijuana de l’administration Reagan. Il est certain que, plus généralement, la politique de prohibition de la drogue a contribué à la criminalité. Le taux de meurtres a commencé son ascension rapide de vingt ans au début des années 1970, au moment où le président Nixon lança la guerre contre la drogue moderne (modern drug war). Les États-Unis n’avaient pas vu un changement aussi brutal dans le taux de meurtres depuis le début des années 1930, quand le taux atteignit un plancher après la fin de la prohibition de l’alcool.

Il y a aussi des preuves fortes pour l’autre théorie, selon laquelle la hausse de notre niveau de vie nous a tranquillement conduit à des rues plus sûres. En fait, s’il n’y avait la prohibition des drogues, nous pourrions bien vivre dans l’ère la plus sécure de l’histoire américaine.

Dans une étude de 2004, le criminologue Randall Shelden (University of Nevada-Las Vegas) et William B. Brown (directeur de la recherche au Pacific Policy and Research Institute) ont étudié la criminalité et le taux d’incarcération depuis 1970. Ils ont observé que, alors que le taux d’incarcération augmentait pendant cette période d’un colossal 500 %, le niveau de crimes violents était resté quasi identique. Si on corrige de l’impact du commerce du crack, on est retombé aujourd’hui au niveau de criminalité du début des années 1970. Dans des villes comme Los Angeles, certains types de crime sont revenus à des niveaux jamais vus depuis le début des années 1960.

Dans son livre de 2004, A History of Force, l’économiste James L. Payne (Independent Institute) soutient que, pendant les derniers siècles, les morts liés à la guerre, aux meurtres, aux exécutions d’État, etc. ont connu une baisse remarquable. Payne attribue cette tendance à la hausse impressionnante des niveaux de vie, en particulier après la révolution industrielle. Désormais, nos vies valent plus. Le scientifique Steven Pinker (Harvard) a couvert les mêmes analyses dans une leçon passionnante et contre-intuitive donnée dans le cadre de la série des conférences TED.

Ce même phénomène que Payne et Pinker ont décrit à l’échelle mondiale pourrait bien être ce qui se passe aux États-Unis.
Dans son livre It’s Getting Better All the Time (2000), le regretté économiste Julian Simon a décrit cette amélioration du niveau de vie, remarquable et historique, dont ont bénéficié les dernières générations d’Américains, en particulier les plus pauvres. À l’inverse des fluctuations de la croissance ou des marchés financiers, ces améliorations tendent à marcher avec un effet cliquet : on ne redescend pas. Par exemple, le fait que 80 % des foyers pauvres ont désormais la climatisation est un progrès incroyable ; en 1970, seuls 36 % en disposaient. On notera que le taux d’homicides grimpe avec la température.

Nous vivons plus longtemps, plus confortablement, en étant plus riches et en ayant plus de loisirs que jamais auparavant. Pendant la même période où le taux de criminalité a chuté, d’autres indicateurs sociaux se sont considérablement améliorés : les taux d’avortement, de divorce et de grossesse adolescente ont tous chuté depuis le début des années 1990. Il semble que plus l’on vit mieux… plus l’on vit mieux. Le taux de criminalité a continué à chuter, même au cours de la récession récente (le rythme de la chute a cependant ralenti). Même si les récessions rendent la vie plus dure pour beaucoup, elles n’annulent pas la tendance d’amélioration du niveau de vie décrite par Julian Simon.

Sam Walker craint que l’absence de consensus sur les politiques spécifiques à mener n’indique une défaillance de la criminologie universitaire. « Si nous pouvions trouver une cause, alors nous aurions un remède ».

Mais des deux explications qui ont le plus de soutien, l’une (l’économie) n’avait aucun rapport avec la politique criminelle. L’autre (la fin de l’épidémie de crack), n’était qu’un retour à la normale après les conséquences d’une mauvaise politique. Une fois que les dealers des nouvelles drogues eurent établi leur secteurs, les niveaux de violences revinrent à la normale.

Il se pourrait que nous ayons moins de criminalité aujourd’hui, non grâce à de brillantes initiatives anti-criminalité élaborées par des universitaires et des politiques, mais parce que la société civile a, en silence, produit cette situation. La vraie leçon de ces vingt dernières années est peut-être que les politiques de lutte contre le crime n’ont, au mieux, qu’un effet limité sur la criminalité. Quand on y ajoute la guerre contre la drogue, l’impact des politiques de lutte contre la criminalité devient carrément négatif…

Sur le web

Traduction: Alexis Vintray pour Contrepoints.

—-
(*) Radley Balko (rbalko@reason.com) est senior editor au magazine Reason.

Vous pouvez aussi lire le reste de notre couverture des sujets de société.

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  • En gros on ne peut pas expliquer grand chose et si explication il y a elle est certainement multicausale. C’est a peu près inévitable quand on veut analyser une situation complexe par le biais de la statistique. (Après tout si c’était possible le socialisme ne serait pas aussi chimérique).

    L’absence de corrélation entre la baisse de taux d’homicide aux USA et la politique répressive qui y est menée est assez claire (à titre de comparaison ce taux à aussi significativement diminué en France durant la même période), mais cela ne nous dit pas grand chose à l’égard des autres infractions.

  • A mon humble avis, le problème réside surtout dans le confusion entre éthique et Droit qui amène dans notre société aux sanction légales vis-à-vis de ce que l’on peu appeler « crimes sans victimes », comme le commerce de drogues évoqué dans l’article ou bien encore ce qui relève de l’opinion.

    A travers cela c’est la justice elle même qui est foulée aux pieds.

  • Quel est le pays avec le taux de criminalité le plus faible ?

    • Le Japon, il me semble. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que les touristes japonais sont souvent les plus volés à Paris… ce sont des cibles faciles.
      Et pour y avoir vécu, ce n’est pas une légende: le pays est d’une tranquillité assez extraordinaire. C’est assez rafraichissant de ne pas être sur le qui-vive en permanence dans la rue, quelle que soit l’heure 🙂

  • Il suffit de retourner le raisonnement : si la politique de justice et de sécurité était plus laxiste, c’est-à-dire si les criminels passaient moins de temps en prison pour une peine donnée, la criminalité augmenterait-elle ?

    La réponse est évidente : oui, parce qu’il y aurait plus de gens dans la rue avec une propension au crime plus élevée. Cet article est mauvais.

    De manière générale, une politique répressive, si on s’en donne les moyens et s’il est appliquée sérieusement, fait TOUJOURS baisser la criminalité. Le vol est rarissime en Arabie Saoudite ou à Singapour. Sans aller jusque là, il est clair que face à une montée de la criminalité, la réponse des autorités doit toujours être de mettre en place une répression plus sévère avant de se poser la question des « causes » (ce qui revient toujours à nier l’élèment fondamental qu’est la responsabilité individuelle).

    • Entièrement d’accord: d’où la corrélation entre enfermement aux US et la diminution de la criminalité: les voyous sont en prison . Une anecdote rapportée par Rauffer: brusque diminution de la délinquance dans un quartier banlieue sensible, pendant plusieurs semaines. policiers perplexes…Jusqu’au moment où ils ont découverts que les deux caïds du coin s’étaient tués dans un accident de voiture.Plus de gangsters, plus de délinquance

      • L’article dit qu’il n’y a justement pas de réelle corrélation puisque la baisse est générale aux USA, indépendamment de l’augmentation de la population carcérale dans chaque État.

        Il ne s’agit même pas de savoir si il y a ou non causalité, il s’agit simplement de constater l’absence de corrélation dans le temps et dans l’espace entre les deux variables.

    • Cela se discute.

      Augmenter massivement les peines pour les infractions sans victimes (comme la drogue) ou les infractions les moins graves, nuit à la gradation des peines. Cela peut très bien rendre les délinquants plus déterminé, puisqu’ils ont d’autant plus à perdre. Comme disait Montesquieu si on punit de la même manière l’assassin et le voleur, le voleur n’a plus de raison de ne pas devenir un assassin. On pourrait dire que la solution c’est de rendre plus sévère toutes les sanctions, mais on atteint assez vite une limite haute en terme de dissuasion. D’un autre coté évidemment une réponse ferme immédiate peut « briser » une carrière de délinquant qui se serait aggravé dans le temps. Seulement relativement à la délinquance lucrative un délinquant en plus en prison c’est une place nouvelle à prendre sur le marché.

      C’est particulièrement vrai de la lutte contre la drogue : renforcer les peines peut très bien augmenter la violence générale du trafic. Je dis « peut » puisqu’évidemment il n’y a jamais dans ce domaine de lien systématique.

      • Le problème de la prison c’est que c’est une école de criminalité. Je ne parle pas des prisons scandinaves, mais bien des prisons à l’américaine ou à la française.
        En arrivant en prison, un petit délinquant se retrouve entouré de gens pire que lui, il va donc s’endurcir pour survivre. En sortant, il aura acquis une expérience qu’il pourra mettre en pratique pour ses délits ultérieurs.
        Surtout que j’imagine facilement que la prison fait des contacts entre voleurs et receleurs, dealers et producteurs, qui peuvent être très utiles une fois sorti.

        • il n’y a pas de solution idéale qui permettrait à la fois d’assurer une réinsertion réussie à 100 % des délinquants tout en éliminant tout risque de récidive.

          l’expérience montre qu’augmenter la sévérité des peines, leur automaticité, permet de réduire la criminalité grâce à la dissuasion et au fait que les plus criminogènes soient sous les verrous.

          La prison est une école du crime ? bien, alors faisons en sorte que le criminel y passe ses études primaires, secondaires, supéreures et post-doctorales, pendant ce temps là il ne nuira pas aux honnêtes gens.

  • En effet trouver une causalité en sciences sociales est une entreprise délicate.
    Cependant, je pense qu’un point relativement important a été oublié et peut-être est-ce un élément de réponse.
    Le début du XXIe siècle (en tout cas, à partir de 1990) a connu l’apparition des NTIC et l’essor des jeux vidéo. Peut-être qu’une part des jeunes américains a trouvé là un nouveau moyen de tuer l’ennui, de délaisser les rues du ghetto et donc de ne pas nouer avec les facteurs aggravants de la criminalité. Évidemment, ceci n’expliquerait pas la baisse dans son ensemble mais c’est un point non négligeable.

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