Ingouvernable Italie

Les élections italiennes de dimanche et lundi ont donné exactement le pire scénario possible : un pays ingouvernable et promis à un prochain retour aux urnes.

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Ingouvernable Italie

Publié le 3 mars 2013
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Les élections italiennes de dimanche et lundi ont donné exactement le pire scénario possible : un pays ingouvernable et promis à un prochain retour aux urnes.

Par Stéphane Montabert.

La troisième économie de la zone euro est dans la tourmente.

Le professore Mario Monti, chouchou de Mme Merkel et de la nomenklatura européenne, a été sèchement renvoyé à ses études. Avec 10% des suffrages exprimés, il a cristallisé à lui seul le rejet des politiques venues d’en haut et des quelques réformes – trop souvent fiscales – qu’il a pu mener. Technocrate sans charisme, ancien de Goldman Sachs, imposé d’en haut par la clique bruxelloise, M. Monti se voyait en homme providentiel ; il aura raté jusqu’à sa démission-surprise. Il disparaîtra probablement du radar politique italien dès les prochaines élections.

Silvio Berlusconi, annoncé politiquement mort une demi-douzaine de fois, s’est encore débrouillé pour transformer une défaite en demi-victoire ; sa coalition menée par le Peuple de la liberté est arrivée en deuxième position avec 30% des voix à l’échelle nationale, dans un mouchoir de poche avec la gauche de Pier Luigi Bersani. Ce dernier ne dispose que de 124.000 voix d’avance. Qu’on le veuille ou non, Silvio Berlusconi mène la droite italienne. Tout électeur qui n’est pas de gauche tombera forcément dans le giron de sa coalition, même s’il ne vote pas précisément pour le parti de Berlusconi. Cela lui garantit une force de frappe électorale conséquente, malgré les affaires dont il est continuellement accusé (dernière en date, la possible corruption d’un politicien en 2006, Sergio De Gregorio ; mais apparemment, le fait qu’un sénateur de gauche se laisse corrompre laisse de marbre tout le monde…)

Le rejet de l’affairisme de la classe politique italienne et des politiques de rigueur imposées d’en haut – et dont les partisans semblent eux-mêmes rarement souffrir – auront jeté des millions d’Italiens dans les bras du mouvement « cinq étoiles » de Beppe Grillo. L’ex-comique devenu politicien souhaitait incarner le vote protestataire, le résultat aura dépassé toutes ses espérances. Parti de rien, le mouvement cinq étoiles devient désormais la troisième force politique italienne.

Si les cinq étoiles sont évidemment de gauche – il est ainsi « hors de question » d’envisager la moindre alliance avec Berlusconi – le mouvement de Beppe Grillo est aussi anti-européen, anti-euro, anti-austérité, pro-démocratie directe et dirigé droit contre la classe politique incarnée par les partis traditionnels. Tout n’est donc pas à jeter au sein du nouveau venu, mais ses positions iconoclastes, l’inexpérience de ses élus et l’absence de cohésion de l’ensemble achèveront de donner des maux de tête à quiconque souhaiterait l’avoir pour partenaire.

Finissons ce tour d’horizon avec le vainqueur officiel, Pier Luigi Bersani, à la tête du Parti Démocrate. La maigre avance qu’il possède sur le suivant permet à sa coalition de briguer 55% des sièges de la Chambre des Députés. Dans la chambre du Sénat, en revanche, sa victoire électorale est trop étriquée pour espérer une majorité, même en s’alliant avec ce qui reste des forces politiques de Mario Monti.

Les médias européens insistent bien sur la victoire de M. Bersani – il est de gauche et pro-européen, c’est donc leur poulain naturel – mais cachent l’ensemble de sa situation. N’importe quel observateur examinant le contexte politique italien de façon moins triviale comprendra que toute tentative de former une coalition est vouée à l’échec.

Tout d’abord, les mouvements politiques représentés dans les chambres italiennes et dans les beaux graphiques de résultats d’élections sont eux-mêmes des coalitions de partis. On a tendance à l’oublier. Silvio Berlusconi subit sa fameuse Ligue du Nord, mais le Parti Démocrate mène lui aussi une coalition « Bien Commun » de partis socialistes, communistes et écologistes, peu enclins à accepter un accord électoral encore plus large. Les forces politiques composant ces coalitions s’entendant déjà à peine, imaginer une alliance stable avec le fantasque Beppe Grillo tient de la gageure. Une « union nationale » rêvée par les eurocrates, associant Monti et Berlusconi à la gauche semble encore plus invraisemblable. Même si certains commentateurs osent avancer l’hypothèse, on nage en pleine science-fiction.

Deuxième aspect, assumant son rôle « responsable » et « progressiste » dans la poursuite des réformes, Pier Luigi Bersani n’aura d’autre choix que de s’infliger la poursuite de la ligne politique qui a éreinté Mario Monti. On n’imagine pas M. Bersani pousser l’Italie à la cessation de paiement, à la révolte contre les banques, à l’organisation d’un référendum sur la sortie de l’euro ou de l’Europe ou simplement à la moindre opposition contre Mme Merkel, alors que la confiance internationale dans les finances du pays ne tient qu’à l’humeur de Berlin.

La coalition « Bien Commun » de M. Bersani est donc sur une pente descendante inéluctable. Le Parti Démocrate a perdu 4 millions d’électeurs par rapport aux législatives de 2008, plus d’un sur deux au profit de la formation de Beppe Grillo. Ce dernier, fin psychologue, n’hésitera pas à pourrir la situation ; il l’a déjà fait savoir en promettant à ses électeurs un « prochain retour aux urnes ». Le politicien-comique a bien compris que les vents lui sont favorables.

Difficile de prédire exactement quand aura lieu la manche électorale suivante. Tout dépend de l’énergie que déploiera Pier Luigi Bersani à donner l’illusion qu’il contrôle quelque chose. Dans tous les cas son avenir ressemble à une impasse : ses espoirs de diriger un gouvernement stable sont nuls, son électorat s’érode et ses concurrents sont au coude-à-coude. La victoire est une déesse capricieuse et inconstante.

Le prochain round verra probablement la gauche conventionnelle s’effacer au profit du mouvement cinq étoiles, lui-même opposé à un Silvio Berlusconi requinqué et déjà à deux doigts de l’emporter cette semaine. La victoire de ce dernier ne manquerait pas de faire s’étrangler bon nombre d’éditorialistes un peu partout sur le continent, mais voilà, ce sont encore les électeurs italiens qui décident.

Bien entendu, la prochaine étape du cirque électoral italien ne sera pas la dernière : les choses empireront alors que la défiance s’aggrave. Par beau temps la péninsule italienne était déjà pratiquement ingouvernable ; qui croit encore que les peuples s’assagissent en temps de crise ?


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  • A voir le score de Berlusconi , après toutes ses frasques , le retour de DSK en France n’est pas exclu .

  • Au fait, un gouvernement est-il utile ?
    L’économie se débrouille bien sans.

  • La réponse est ici même : http://www.contrepoints.org/2012/07/07/89516-litalie-baisse-ses-depenses-publiques-de-26-milliards-e

    Monti a fait un excellent travail, optant comme la Belgique pour des réductions de dépenses plutôt qu’un matraquage fiscal, et en quelques mois à peine, remettait l’Italie sur ses rails.

    Mais l’électeur est aussi peu sérieux qu’impatient, les politiques « oublient » que personne n’a creusé la dette italienne à sa place, et rejettent tout sur l’UE, et quand se pointe un comique-troupier, les foules le suivent en chantant le bel canto …

    Tout peuple a le gouvernement qu’il mérite, et c’est sans doute pour cela que les italiens n’en auront pas 🙂

  • Monti fit un excellent travail, on ne lui a pas laissé le temps de persévérer, et de voir les effets bénéfices de sa politique.

    Par contre comme tous, lui qui pourtant n’était pas du sérail, a fait une erreur énorme, il n’a pas compris que les peuples réclament pour avaler les pilules amères, parallèlement que les politiques aussi, doivent faire des efforts: sur leurs nombre souvent pléthorique, leurs salaires, leurs avantages, leurs incompétences jamais sanctionnées, les éternels planqués ….. mais tout le monde, préfère se creuser la tête, insulter, voire réfuter le score du  » Coluche  » local, qui dit exactement cela, avec ses mots, mais là, droite, gauche, centre n’entendent pas, pas plus que leurs larbins serviles les journaleux.

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