L’Afrique, en croissance ou en recul ?

Rick Rowden estime que l’Afrique, contrairement à la croyance populaire, ne décolle pas. Un avis que ne partage pas notre auteur.

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L’Afrique, en croissance ou en recul ?

Publié le 23 janvier 2013
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Rick Rowden estime que l’Afrique, contrairement à la croyance populaire, ne décolle pas. Un avis que ne partage pas notre auteur.

Par Nicolas Kokel(*).

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

Afrique : soleil couchant ou soleil levant ?

Début janvier, dans la publication The Myth of Africa’s Rise, Rick Rowden émet l’opinion que la forte croissance économique de l’Afrique ne serait qu’une fable populaire. Pour aboutir à cette conclusion, l’auteur développe son argumentation en manipulant les données économiques d’un rapport récent des Nations-Unies. Notre analyse contradictoire de ces mêmes chiffres nous permet d’aboutir à une conclusion diamétralement opposée.

L’industrialisation est en recul ?

Selon Rowden, « la majorité des pays africains sont soit dans une situation stagnante, soit en recul lorsqu’il s’agit de l’industrialisation ». Cette déclaration, sortie de son contexte, contredit les données statistiques montrant que la production de l’industrie manufacturière en Afrique a plus ou moins doublé en dix ans, ce qui correspond à un taux moyen de la croissance de cette branche industrielle de plus de 7% environ par an pendant 10 ans.

D’autres données statistiques montrent de plus que la plupart des pays d’Afrique maintiennent une croissance positive de leur production industrielle sur la période récente. C’est notamment le cas de 6 des 7 pays les plus peuplés d’Afrique subsaharienne : Nigéria, Ethiopie, Afrique du Sud, Tanzanie, Soudan, Kenya (les données n’étant pas disponibles pour la République Démocratique du Congo, ou Congo Kinshasa), qui démontrent tous une croissance industrielle positive en 2010, et même en 2011 lorsque les chiffres sont publiés.

Une baisse peut cacher une hausse

Lorsque Rowden prétend que « la part de la VAM (Valeur Ajoutée Manufacturière) dans le PIB de l’Afrique a chuté de 12,8% en 2000 à 10,5% en 2008 », il s’agit d’une comparaison relative, qui nous permet d’affirmer que si le secteur  manufacturier a régressé relativement, il s’est peut-être développé en valeur absolue dans un contexte de croissance économique.

La même erreur méthodologique s’applique aussi lorsque Rowden utilise l’argument selon lequel : « Il s’est également produit une diminution de l’importance des biens manufacturiers, dont la proportion par rapport aux exportations totales de l’Afrique a chuté de 43% en 2000 à 39% en 2008 », cela ne veut donc pas pour autant dire que l’industrie ne se développe pas.

L’interprétation correcte nous est fournie en page 17 du rapport: « Le déclin de l’importance de la production manufacturière par rapport aux exportations de l’Afrique peut être en partie expliqué par les échanges en progression entre l’Afrique et les pays en développement non africains, ce qui a conduit à une hausse substantielle des exportations de matières premières au cours des dernières années ». En d’autres termes, la hausse des exportations de matières premières masque le développement de l’activité industrielle.

Des améliorations présentées comme des faiblesses

Rowden se fourvoie lorsqu’il exploite un commentaire en p.21 du rapport : « l’Afrique perd également du terrain au niveau des industries à forte demande en main-d’œuvre ». Il s’agit là en fait d’une bonne nouvelle, car dans un contexte de croissance industrielle, « la part des activités manufacturières de moyenne et haute technologie en termes de VAM totale de la région a progressé de 25% en 2000 à 29% en 2008 » selon ce même rapport.

La même erreur de raisonnement s’applique à l’argumentation selon laquelle : « La part des activités industrielles dépendant des matières premières par rapport au total des exportations de biens manufacturiers n’a baissé que faiblement au cours des années récentes, de 52% en 2000 à 49% en 2008 ». Car même si elle reste faible, cette baisse n’en constitue pas moins une évolution positive, et dont l’impact favorable sur le revenu moyen par habitant est établi.

Lorsque Rowden relève enfin que « la part des exportations de l’Afrique en biens manufacturiers a augmenté de 1% en 2000 à seulement 1,3% en 2008 », il reconnaît aussi implicitement que cette part des exportations est en progression, puisqu’il s’agit en fait d’une croissance absolue de 30% en 8 ans, soit une moyenne de 3,3% entre 2001 et 2008.

Confusion sur l’impact économique des secteurs porteurs

Rowden  prétend qu’il n’existe pas de salut économique en dehors de l’industrialisation du continent, en référence « aux pays riches et industrialisés de l’OCDE », car selon lui, ni « Les taux de croissance élevés récents du PIB de l’Afrique », ni « l’augmentation du revenu moyen par habitant », ni « l’augmentation du nombre de milliardaires africains », ni « la croissance des échanges économiques de l’Afrique avec le reste du monde », ni « les gains importants des activités de service », ni « la réduction de la pauvreté » ne permettent de parler de croissance en Afrique.

Il s’agit là d’une opinion extrêmement réductrice, que nous ne partageons pas, et invalidée par la réalité de l’impact constaté des activités sectorielles.

D’une part, l’activité industrielle n’est pas un indicateur pertinent de développement économique, tant on observe des pays fortement industrialisés dont le niveau de vie moyen est très bas, tout comme un grand nombre de pays riches dont la composante industrielle est faible, et même similaire ou inférieure à celle de nombreux pays d’Afrique.

Tout au contraire, on observe une corrélation positive entre la part du secteur des services, dans le PIB et le revenu moyen par habitant.

Trop de liberté, ou pas assez ?

Sur la base de son interprétation erronée des données économiques, Rowden suggère un agenda politique constitué de mesures protectionnistes et d’interventions gouvernementales.

Ces propositions sont totalement antagonistes à celles de plusieurs études, notamment :

  • Le Rapport 2012 sur l’Indice de Liberté Économique, qui montre que l’Afrique, et notamment la région subsaharienne du continent, reste la partie du monde où la liberté économique est la moins développée.
  • Les conclusions de Rugwabiza (Avril 2012), D.G. adjoint de l’OMC, pour qui une « implication plus importante des acteurs et autres intervenants économiques » ainsi que « la levée des barrières commerciales » sont essentielles au développement économique de l’Afrique.
  • Une étude sur le Potentiel Commercial de l’Afrique (Octobre 2012) de l’International Trade Center,  prônant notamment « des procédures douanières simplifiées afin de réduire la durée et le coût de mise sur le marché des produits ».

Clairement, ce dont l’Afrique a besoin pour son développement, ce n’est pas de plus de contrôle et de dirigisme économique, mais de plus de libertés économique et commerciale.

La croissance n’est pas une illusion

La croissance économique soutenue de l’Afrique ne peut être niée, mais son très faible niveau d’industrialisation peut susciter l’impression que rien ne bouge. Cette croissance restera forte jusqu’au moins 2025, et vers la fin de cette période les régions de l’Est et de l’Ouest du continent devraient d’ailleurs devenir les plus dynamiques au monde.

Pour autant, l’Afrique, partant de très loin, ne deviendra sans doute pas une puissance mondiale à plus ou moins brève échéance, mais dans tous les cas, l’essor de l’Afrique n’est probablement pas un mythe.

(*)Nicolas Kokel est gérant de Axioma S.A.R.L. Cet article est une version abrégée d’une étude disponible en ligne.

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