Le scandale des prisons africaines

Les difficultés rencontrées dans les prisons en Afrique constituent une « double peine » qui alourdit foncièrement la peine judiciaire et entrave les fonctions de resocialisation des détenus.

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Le scandale des prisons africaines

Publié le 12 janvier 2013
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Les difficultés rencontrées dans les prisons en Afrique constituent une « double peine » qui alourdit foncièrement la peine judiciaire et entrave les fonctions de resocialisation des détenus.

Par Sali Bouba Oumarou.
Publié en collaboration avec Libre Afrique.

L’amélioration des conditions de détention dans les prisons en Afrique est une question majeure. Les prisons en Afrique comme partout ailleurs, qui tirent leur utilité, au-delà de leur rôle de sanction, de leurs rôles de réhabilitation ou de resocialisation, font face pour la plupart à des problèmes croissants : surpopulation, conditions de vie insalubres, insécurité et violence… Les efforts conjoncturels entrepris par les gouvernements pour régler ces problèmes restent jusqu’à présent sans résultats patents. Ce qui  pose alors nécessairement la question de l’adéquation de ces mesures.

Un constat alarmant : une double peine

À la peine prononcée par les juridictions, les détenus des prisons en Afrique doivent aussi subir la peine infligée par les difficultés du milieu carcéral. En effet, les difficultés rencontrées dans les prisons en Afrique constituent une « double peine » qui alourdit foncièrement la peine judiciaire et entrave également les fonctions de resocialisation des prisons.

Problème majeur : la surpopulation carcérale systématique. La déclaration de Kampala jugeait déjà en 1996 d’inhumain le niveau de surpopulation dans les prisons africaines [1], enjoignant les États à faire des réformes pour remédier à la situation. Mais depuis lors, aucune évolution notable n’a été enregistrée. Le taux de surpopulation carcérale reste élevé, se situant en 2002 dans une moyenne de 141% dans 16 pays d’Afrique [2]. En 2009, il était de l’ordre de 139,9% [3] en Afrique du Sud. En 2003 au Kenya, dans la prison de Nairobi-Remand construite en 1911 pour accueillir 600 personnes, on dénombrait près de 3000 prévenus [4]. Au Cameroun, la prison centrale de Douala, créée avant les indépendances, était supposée accueillir 800 détenus. Ses pensionnaires sont estimés en 2012 à plus de 3000 [5]. Du coté du Bénin, la prison de Cotonou compte quelques 1937 détenus pour 666 places, soit une surpopulation de 290%.

Les conséquences de cette surpopulation carcérale sont les multiples difficultés de gestion des prisons. Dans bien des cas, le rôle de l’administration pénitentiaire se résume à la simple surveillance des détenus. Les autres aspects de la gestion des  prisons étant laissés aux soins des détenus qui s’organisent selon la loi du « plus fort ». De ce terreau se développe conséquemment une culture de la violence qu’entretiennent les conditions d’insalubrités, de précarité alimentaire et sanitaire qui sévissent à l’intérieur de ces milieux.

Ce phénomène est encore fortement accentué par le fait qu’il n’existe plus de distinction dans certaines prisons entre petits délinquants ou grands criminels, tous étant logés à la même enseigne. Tout ceci débouche généralement sur des protestations ou des mutineries réprimées brutalement par l’administration déficiente. On se rappelle encore ici de la mutinerie de la prison de Douala en 2005 ayant entrainé morts et blessés ou des 19 décès enregistrés en 2012 dans la prison de Lomé en l’espace de 6 mois.

Quelles possibles solutions ?

Les difficultés des prisons en Afrique restent largement tributaires des dysfonctionnements conjoncturels et structurels des appareils judiciaires et des administrations pénitentiaires. Force est de constater un recours excessif, légitime ou fantaisiste, à la détention provisoire qui se transforme souvent en détention définitive par l’oubli judiciaire ou les prolongements. La détention provisoire atteint généralement les 80% dans certains États. Elle est estimée à 65% en 2012 au Togo. Régler ce problème nécessite, entre autres, des mesures conjoncturelles qui consistent à revoir les différentes entorses faites au droit par les acteurs de l’appareil judiciaire. Il s’agit ici d’éliminer les abus de divers ordres qui participent à la surpopulation carcérale : lenteur judiciaire, personnalisation du droit etc. Il ne serait pas exagéré de dire que, dans certains États, les règlements de compte par les moyens de l’emprisonnement au mépris du droit sont monnaie courante. Dans ce sens, les réformes érigeant la liberté en principe et la détention en exception doivent effectivement être appliqués et cesser d’être de simples paravents de modernité.

En ce qui concerne les mesures structurelles, il est nécessaire d’opérer des investissements dans l’aménagement et la construction des milieux carcéraux pouvant effectivement permettre aux prisons de jouer leur rôle de réhabilitation. Car la plupart des prisons en Afrique datent généralement d’avant les indépendances et ne correspond plus aux réalités actuelles. Enfin, il faudrait aussi réfléchir à l’introduction de mesures alternatives à l’emprisonnement. L’intérêt de ces mesures est qu’elles permettent d’éviter le recours systématique à l’emprisonnement et contribuent au désengorgement et à la réduction des coûts financiers de la gestion des prisons. L’expérience de l’introduction du travail d’intérêt général au Zimbabwe, en Tanzanie ou son introduction en 2012 au Burundi reste édifiante à cet égard.

En vérité les problèmes des prisons en Afrique ne peuvent être résolus qu’avec une certaine audace permanente des politiques judiciaires, bien articulées. Le Nigeria, malgré une relative réussite de son comité présidentiel ad hoc sur la réforme pénitentiaire et de la décongestion des prisons de 1998, qui a permis à plus de 8000 détenus d’être libérés entre 1998 et 2000, a eu à montrer tant soi peu la voie à emprunter.


Sur le web.

Notes :

  1. Déclaration de Kampala sur les conditions de détention en Afrique, 1996. Adoptée lors de la sixième session de la commission des Nations Unies sur la prévention du crime et la justice pénale, 28 avril-9 mai 1997. E/CN.15/1997/21.
  2. Cf. l' »analyse des réponses aux questionnaires adressés aux administrations pénitentiaires, aux représentants du pouvoir judiciaire et aux ONG » préparée en vue de la conférence de Ouagadougou sur l’accélération des réformes pénales et pénitentiaires en Afrique, 2002 par Roy Walmsley, ICPS  disponible sur le site www.penalreform.org.
  3. Estimation réalisée par le centre international d’études pénitentiaires, consulté le 17 décembre 2012.
  4. Voir le rapport Pour réduire la détention provisoire, Penal Reform International.
  5. Chiffre fourni par le Ministre de la Justice lors de son passage à l’Assemblée (cf. Journal L’épervier du 28 novembre 2012).
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  • Odieux!Détenir des gens dans ces conditions est contre-productif en terme de prévention de la récidive et de correction du comportement du détenu!Bref on fabrique des fauves en plus d’en faire des victimes…

  • Les commentaires sont fermés.

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