Révolutions vertes et révolution libérale

« Un million de révolutions tranquilles » se veut « une alternative définie et globale au libéralisme ».

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Révolutions vertes et révolution libérale

Publié le 23 décembre 2012
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Un million de révolutions tranquilles se veut « une alternative définie et globale au libéralisme ». Pourtant, l’auteur serait probablement fort étonnée d’apprendre que son livre est d’essence profondément libérale.

Par Thierry Guinhut.

Mise à jour du 28.12.2012 : ajout d’une réponse de l’auteur à la critique en fin d’article.

L’auteur et l’éditeur seraient probablement fort étonnés d’apprendre que leur livre est d’essence profondément libérale ; quoique nombre de ses affirmations et diatribes paraissent l’en éloigner irréductiblement. Ces « révolutions », le plus souvent vertes, sont en effet celles des millions de modestes citoyens qui réinventent leur liberté de ne plus avoir faim, de ne plus être pauvres, de créer des entreprises locales et de revitaliser l’agriculture. Ce qui est exposé en cet essai avec générosité, enthousiasme, mais aussi avec une curieuse cécité envers les vertus du capitalisme et du libéralisme.

La lecture de cet essai informé est roborative. Découvrir ainsi que, des États-Unis au Japon, de la France au Canada, de l’Inde à l’Australie, des initiatives sans cesse inventives renouvellent le rapport au monde et à l’économie, mais aussi des individus entre eux, laisse entendre un chant d’espoir en faveur de l’amélioration de nos conditions de vie, de notre planète et du lien social.

L’une des activités sur laquelle s’étend à l’envie Bénédicte Manier est celle agricole, ou plus exactement d’« agroculture ». À Détroit, par exemple, ville laminée par la crise de l’industrie automobile, les habitants mettent à profit le moindre massif, trottoir, friche et lopin de terre pour cultiver des légumes et des fruits, éradiquant ainsi la faim, voire la malbouffe. De cette « guérilla verte », de cette main verte individuelle et bientôt associative, collective, nait une éthique de la gratuité et du don, mais aussi un commerce local, une dynamique entrepreneuriale. À New-York, à Paris, et peut-être partout ailleurs, les toits en terrasses accueillent les jardins, favorisant une saine activité, une alimentation bio, sans compter qu’un toit jardiné contribue grandement à tempérer la dépense énergétique d’un bâtiment.

En Inde, en Afrique (les agronomes aux pieds nus du Burkina Faso), les plus déshérités parmi les agriculteurs, souvent des femmes (comme l’Indienne Chandramma), redécouvrent des pratiques anciennes, des semences locales, des gestions du sol et de l’eau qui permettent de trouver à la fois productivité, biodiversité, dignité, indépendance économique. Ainsi, villes et campagnes, voire déserts, reverdissent. Plus loin, des villages, des îles, deviennent autonomes grâce aux énergies renouvelables.

Ce sont aussi, de l’Europe au continent américain, des échanges d’objets et de services, des vide-greniers gratuits, plutôt que des ventes et des achats, de façon à contrer le gaspillage et la pollution, de façon à ouvrir une niche économique coopérative et nouvelle à la circulation des biens et des compétences.

Dans un autre ordre d’idée, des « cliniques gratuites américaines», des « écologements », le « cohabitat en propriété partagée » , des banques « socialement responsables » surgissent de la volonté de quelques citoyens, dans une démarche associative, y compris « sans but lucratif », pour préserver des entreprises, en créer de nouvelles, dans un but moins capitaliste qu’humaniste…

Ce « million de révolutions tranquilles » serait bel et bon, si une choquante cécité n’écornait pas sérieusement les qualités d’un tel livre. Oserait-on suggérer à Bénédicte Manier, pourtant journaliste efficace et talentueuse, d’ouvrir un dictionnaire à la recherche des mots « libéral » et « libéralisme », et de s’intéresser à la philosophie politique autrement que par clichés et caricatures de mauvaise foi. Elle y lirait que libéralisme signifie liberté individuelle, des mœurs et d’entreprendre. Ainsi elle comprendrait (mais c’est probablement peine perdue, étant donné l’aveuglement idéologique des anti-capitalistes et des pourfendeurs de ce qu’ils appellent néo et ultralibéralisme) que toutes les initiatives défendues dans son livre, qu’elles soient individuelles ou associatives, sont d’essence profondément libérale. Le fait qu’elles s’écartent des méthodes du capitalisme multinational n’obère en rien leurs qualités libérales. Le capitalisme libéral, qu’il soit micro-entrepreneurial ou d’un conglomérat mondialisé, reste et doit rester ouvert et respectueux de la liberté d’entreprendre, des vertus de la concurrence, de la clarté des contrats et de la responsabilité des entrepreneurs et contractants.

C’est ainsi que l’on se trompe d’ennemi : ce sont presque toujours l’interventionnisme d’État et les pratiques anti-concurrentielles, jusqu’au monopole, qui invalident le libéralisme et non les « révolutions tranquilles » des citoyens. Un exemple suffira : Bénédicte Manier dénonce avec raison le règlement européen de 1994 qui « interdit à un agriculteur de réensemencer ses champs avec ses récoltes, sauf s’il paie une redevance aux multinationales semencières ». De même « les variétés anciennes » seraient interdites. Accuser « le libéralisme agricole » est alors stupide, quand la collusion des lobbys industriels, des législateurs et des gouvernements contrevient justement au principe premier du libéralisme qui est de respecter l’initiative et la responsabilité individuelles.

Reste le problème des subventions. Il est heureux que les États et les gouvernements ne s’intéressent guère à ces « révolutions tranquilles », sauf à leur mettre des bâtons dans les roues, par une fiscalité confiscatoire et une suradministration invalidante. S’il s’agit de contribuer à cet activisme citoyen, mieux vaut éviter de le dénaturer en le subventionnant, par exemple lorsqu’il est question d’installer des éoliennes ou du photovoltaïque, ne serait-ce que parce qu’il a fallu ponctionner un impôt dans les poches des créateurs de richesses, qui sont bien obligés d’avoir recours au capital, à la spéculation, à l’investissement pour contribuer à la prospérité de tous, y compris de leurs opposants idéologiques. Comme quoi l’individualisme n’est pas dépourvu d’une forme de convivialité. Il est alors à craindre qu’en reliant « les zones d’agroécologie à des marchés équitables », il faille « les faire bénéficier d’aides publiques ». Ces gens veulent bien bénéficier des ressources fiscales consenties par le capitalisme ou confisquées au capitalisme, mais usent d’activités qui se défaussent de l’imposition, pourtant nécessaire, en pratiquant des activités non-lucratives et gratuites dans des « réseaux démonétisés ». L’ironie est patente.

Les limites de l’exercice citoyen de ces révolutionnaires tranquilles, qui semble par hyperbole de l’ordre de la religiosité écologique, sont pourtant frappantes. Il est fort douteux que la population mondiale et surtout urbaine puisse être entièrement nourrie par les jardins des rues et des toits et par les paysans locaux du tiers monde, si grandes soient leur vertus nécessaires. L’agriculture industrielle et l’agroalimentaire seules ont permis d’éradiquer en grande partie la faim dans le monde et de libérer des bras pour d’autres services. Produire ces ordinateurs dont sont si friands les acteurs et propagandistes de ces « révolutions tranquilles » ne peut guère se faire sans des Steve Jobs et des Windows qui furent d’abord de modestes chercheurs individuels avant de devenir des fleurons du capitalisme international. D’où la nécessité des activités capitalistes lucratives multinationales et mondialisées.

L’erreur de perspective, hélas partagée par l’ensemble du spectre politique, du moins en France, veut que la crise économique et les oubliés de la mondialisation soient dus au capitalisme et à ses excès irrationnels et rapaces. Certes il y a bien des capitalistes, car en toute choses l’homme est humain trop humain – si l’on reprend l’expression nietzschéenne – pour choir dans ces travers. Mais nous savons d’expérience que ce sont les politiques interventionnistes des prédateurs État-providences socialistes (qu’ils soient des États-Unis, de France ou d’ailleurs) qui ont freiné et contrecarré, voire abattu, les progrès économiques et humains que seules ont permis les qualités de la démocratie libérale. Prions pour qu’elles épargnent les mobilisations citoyennes défendues par Bénédicte Manier.

Ce livre se veut « une alternative définie et globale au libéralisme ». Soit. Outre qu’il a, n’en déplaise à son auteur, une vertu foncièrement libérale, il reste à souhaiter que cette « alternative » reste de l’ordre de la liberté et ne nous soit pas imposée. Je veux bien, pour reprendre la conclusion du Candide de Voltaire, « cultiver mon jardin », mais celui de ma bibliothèque, et non mettre la main à la bêche et à la terre. La « division du travail » et « la main invisible » du marché, chères au philosophe et économiste du XVIIIème Adam Smith, théoricien indépassable du libéralisme, m’ont bien permis cette liberté. Que ce soit également notre révolution tranquille…

Bénédicte Manier : Un Million de révolutions tranquilles, Les Liens qui libèrent, 2012.

 


Réponse de Bénédicte Manier à la critique de Thierry Guinhut (ajout du 28.12.2012) :

Je voudrais remercier Thierry Guinhut pour l’intérêt qu’il porte à mon livre Un million de révolutions tranquilles. Je ne partage pas toutes ses analyses, mais elles n’en demeurent pas moins pertinentes.

Je me dois cependant de clarifier quelques points essentiels. Ainsi, à aucun moment je ne plaide pour l’interventionnisme d’État, comme une de ses phrases le laisse entendre.

Second point, et c’est le plus important, jamais je n’écris que ce livre « se veut une alternative définie et globale au libéralisme », comme il l’affirme à deux reprises, au début et à la fin de son article. C’est entièrement faux. Je dis même précisément le contraire. J’écris que ces actions citoyennes « ne constituent pas un contre-modèle coordonné, capable de faire globalement contrepoids au néolibéralisme, faute de faire système et d’atteindre une échelle suffisante pour le remplacer ». Et j’ajoute que même si « certaines sont reliées en réseau », elles sont « encore localisées, minoritaires ».

Le commentaire de Thierry Guinhut constitue donc un contresens manifeste, que je déplore et que j’espère involontaire. C’est pourquoi je souhaitais rétablir la vérité, pour que les lecteurs de Contrepoints n’aient pas une idée fausse de ce livre. On ne peut faire dire n’importe quoi à un auteur, et surtout pas le contraire de ce qu’il affirme.


Réponse de Thierry Guinhut (ajout du 30.12.2012) :

Merci Bénédicte Manier de votre lecture de mon modeste article.

Sur l’interventionnisme d’État, je n’ai pas dit que vous plaidiez en sa faveur, mais j’ai usé d’une citation (« les faire bénéficier d’aides publiques ») qui exprimait dans votre livre le désir de certains acteurs (« ces gens », dis-je) et non pas forcément le vôtre.

Quant à l’expression, « se veut une alternative définie et globale au libéralisme », là encore puisque guillemets il y a, il s’agit d’une citation puisée dans la feuille d’argumentaire à l’intention de la presse glissée dans le volume. A-t-on travesti votre pensée ? Mais votre réponse (« J’écris que ces actions citoyennes « ne constituent pas un contre-modèle coordonné, capable de faire globalement contrepoids au néolibéralisme, faute de faire système et d’atteindre une échelle suffisante pour le remplacer »)  montre elle-même le regret de ce que cette échelle ne soit pas suffisante pour être une alternative au libéralisme (travesti en néolibéralisme).

Cordialement Thierry Guinhut.


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  • « Adam Smith, théoricien indépassable du libéralisme »
    Euh… Faudrait demander à Murray Rothbard ce qu’il en pense…^^

    Article très intéressant: les auto-contradictions des antilibéraux sont toujours fascinantes à contempler.

  • Bonjour,

    Je comprends les références de Monsieur Thierry Guinhut aux classiques du libéralisme comme Adam Smith. Néanmoins, à la lecture de l’ouvrage de Bénédicte Marnier, si on me demandait de le rapprocher d’un courant comme cela est fait ici, c’est à l’anarcho-communisme ou au socialisme libertaire que je penserais en premier lieu et non au libéralisme. L’anarchisme et le libéralisme ont des points communs, mais aussi d’importants points de désaccord. Lorsque je lis le livre de Madame Marnier, j’y vois en effet de nombreuses références à des notions comme l’autogestion, la démocratie directe, l’autogouvernance, la cogestion démocratique, la libre entente, les coopératives, c-à-d des modes d’organisation et de production par les « gens d’en bas ». Quand Madame Marnier cite le slogan « Occuper, résister, produire » des travailleurs argentins, c’est à l’anarcho-syndicalisme p.ex. de Rudolf Rocker que je pense. Tout cela me paraît fort différent de l’exemple du succès d’Apple dont Monsieur Guinhut semble surestimer l’apport individuel de Steve Jobs et dont il semble sous-estimer l’apport des efforts (souvent non libres) de ses milliers de travailleurs à travers le monde. Monsieur Guinhut est heureux d’être libre grâce à la division du travail, certes, il est du bon côté, des millions de gens eux ne sont pas libres dans notre société hiérarchique, un peu de compassion envers autrui permet de s’en rendre compte. Des approches autogestionnaires et égalitaires telles que celles proposées par exemple par Pierre Kropotkine ou implémentées par certaines de ces « révolutions tranquilles » me semblent davantage porteuses de liberté que le système capitaliste lucratif, hiérarchique, et coercitif. Je serais curieux d’avoir l’avis de Madame Marnier sur cette proposition de référence à des courants anarchistes.

    Quelques lectures que j’ai trouvé intéressantes:
    – Noam Chomsky à propos de Adam Smith et de la main invisible
    http://revolution-lente.coerrance.org/noam-chomsky-adam-smith.php
    – Pierre Kropotkine: La conquête du pain
    http://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Kropotkine_-_La_Conqu%C3%AAte_du_pain.djvu
    – Rudolf Rocker: Théorie et pratique de l’anarchosyndicalisme, Aden.
    – Michael Schmidt: Cartographie de l’anarchisme révolutionnaire, Lux.

    Cordialement.

  • je pige pas les écologistes. le parti eelv (comme le reste des partis écologistes d’europe) est économiquement très keynésien. ils sont illogiques car l’ incitation à consommer à tout prix est keynésienne et social-démocrate . les keynésiens si ils sont logiques avec leur théorie devrait être les premiers à se réjouir de l’obsolescence programmée. donc les écologistes, s’ils étaient logique avec eux même ils devraient être favorable à l’obsolescence programmée et la surconsommation. pour rappel, la surconsommation est clairement un pur produit de la social démocratie, cela s’est développé avec le modèle social démocrate

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