Entretien avec Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor (2)

Contrepoints a rencontré Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor, pour recueillir son éclairage sur la transformation du monde que nous vivons. Au programme de cette seconde partie : pigeons, fiscalité et politique.

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Xavier Fontanet

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Entretien avec Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor (2)

Publié le 14 décembre 2012
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1ère partie en ligne

L’actualité, c’est aussi la fiscalité des entrepreneurs. Que vous a inspiré le mouvement des pigeons ?

Quand on passe votre imposition sur la plus-value de 20 à 60%, c’est par deux que l’on divise la part qu’il vous restera quand vous vendrez votre entreprise. Conséquence, on ne crée plus et les gens partent. Un de mes amis est parti avec toute son équipe à New York, sinon il aurait vu son activité divisée par deux. La fiscalité tue les pigeons. Ces entrepreneurs vont très mal se payer pendant des années pour maximiser la valeur de l’entreprise quand ils la revendront. Les pigeons, je les comprends pleinement.

L’un des aspects les plus choquants, ce sont les changements de règles ; les entrepreneurs ont construit leurs plans long terme sur une certaine fiscalité, et du jour au lendemain on décide de doubler leur impôt ! Avec de telles décisions, vous déstabilisez complètement l’investissement et vous n’en attirez plus de nouveaux. Derrière tout changement brutal de la fiscalité sur les plus-values, il y a forcement une rétroactivité On nous promet aujourd’hui une stabilité fiscale, mais seulement maintenant que l’on est à un niveau de fiscalité record ! L’autre problème est que la crédibilité est nulle et le niveau de confiance est à peu près à zéro ! Tout cela est vraiment extrêmement grave et sera lourd de conséquences. L’histoire nous montrera qu’on a refait la révocation de l’édit de Nantes. Les départs sont considérables, ceux qui partent ne préviennent pas. Il suffit de demander à n’importe quel gérant de fortune, les demandes ont décuplé. Regardez en  Belgique, des quartiers entiers sont parisiens désormais. Discutez sinon avec des déménageurs suisses et vous aurez un autre recoupement. C’est alarmant pour la France. Très alarmant ; Gilles Carrez, rapporteur de la commission des Finances à l’Assemblée, a posé officiellement la question au gouvernement, il a totalement raison, il faut savoir ce qu’il en est.

De tout cela, ce n’est pas la mondialisation mais le niveau confiscatoire de la fiscalité qui est responsable. J’ai fait une simulation : quand vous revendez après dix ans une entreprise que vous avez achetée et développée en la faisant doubler de taille, les impôts que l’on vous prend, impôts sur la société (35% en France, vs 20% en Allemagne), dividendes (28%+15% vs 20%), ISF (1,5% du capital vs 0%) et impôts sur la plus-value (jusqu’à 60%, vs 26% voire 0% en Allemagne), l’Etat français aura pris 70% de la création de valeur et laissé 30% à l’entrepreneur. En Allemagne, l’État prend 30% et laisse 70% au créateur !

Le gouvernement répondrait que la BPI va régler ces problèmes…

Quels seront les capitaux propres de la BPI ? 40/50 milliards ? Quel est l’actif  de toutes les entreprises françaises ? 6000 milliards ! La BPI  peut financer 1%. L’économie doit tourner sans elle. C’est une goutte d’eau dans l’océan.

Que pensez-vous de la vision que le gouvernement a de l’entrepreneuriat ?

Il y a 2,5 millions d’entrepreneurs en France. Qu’est ce qui compte pour lui ? Les impôts. Vous ne pouvez pas dire que vous favorisez l’entrepreneuriat et dans le même temps avoir des niveaux d’impôts qui sont confiscatoires et six fois plus élevés qu’en Allemagne. L’Etat allemand fait confiance à ses entrepreneurs, pas l’État français. une fiscalité excessive prive la sphère privée des moyens d’agir , c’est en fait un manque de confiance dans la sphère privée. L’économie étant avant tout affaire de confiance, on est mal !

Quid du rapport Gallois ?

Il va dans la bonne direction, mais les masses en cause sont très insuffisantes. On parle de 20 milliards €, financés à moitié par la TVA et une moindre hausse des dépenses publiques (et non une baisse). On appelle baisse, ce qui est encore et toujours une hausse (n’oubliez pas que la part de la sphère publique est passée cette année de 56 à 57 %!!!). Les mots utilisés dans le débat public ne décrivent plus la réalité, mais un entrepreneur qui monte son entreprise est face à la réalité, lui, pas face aux mots.

L’ordre de grandeur nécessaire des économies, c’est 200 milliards € et pas 20 car il  ne s’agit pas de déplacer la facturation, mais de réduire la taille de la sphère publique. A 1050 milliards, elle est trop grosse de 20%. C’est la seule chose qui permettra de revenir à l’excédent et de réduire la dette. En 2013, c’est encore 200 milliards € que la France va emprunter (à grand coups de serpe, 100 à cause du déficit , 100 pour renouveler la dette).

De nombreux pays ont su le faire, ce n’est pas impossible. Mais on n’est pas parti pour ça. Le rapport Gallois est juste en ce qu’il parle enfin de compétitivité, mais les montants sont très insuffisants. Est-ce une hirondelle qui annonce le printemps ou qui s’est égarée à l’automne ? On verra très vite.

Alors on réduit où la dépense publique ?

Par poste, la dépense publique c’est 450 milliards pour les frais sociaux (retraite, chômage), 150 milliards de santé et 450 milliards c’est l’État. Par autorité, 225 milliards sont dépensés par les régions, et 825 milliards par l’État.

Ces 225 milliards n’existaient pas il y a trente ans ; en fait on a rajouté deux couches, une couche européenne et une couche régionale, avec des doublons énormes. Quant aux coûts des régimes sociaux, ils sont à peu près 20% plus élevés qu’en Allemagne, fondamentalement car les contrats de travail français s’avèrent coûteux en période de crise et pas pour les raisons que l’on croit : pendant la crise de 2008, les entreprises françaises ont licencié avec des pénalités, là où les allemandes ont pu réduire les heures grâce à leurs contrats flexibles. La surprotection du contrat français se retourne au final contre ceux qui entrent sur le marché du travail.

Sur la retraite, on peut évidemment gagner beaucoup : revenir à 60 ans est incroyable, alors que tout le monde va à 65, voire 67 ans ! En s’alignant sur nos collègues étrangers, on peut y gagner facilement 60 à 80 milliards € ; de même sur les dépenses de l’État, on peut facilement réduire  les nombreux doublons d’échelle administrative.

Pour résumer, il faut retarder l’âge de départ en retraite, trouver un nouveau contrat social, qui rende les contrats plus flexibles et moins coûteux, et remettre aà plat l’organisation de l’État notamment les régions…

Quid de la fonction publique ?

Il faut surtout revenir sur le cumul. Si la commission Jospin parle du cumul entre mandats électifs, je pense que le problème est surtout celui du cumul entre un poste de fonctionnaire et un mandat de député. Au Royaume-Uni ou en Allemagne, on ne peut pas avoir à la fois un contrat de travail avec la sphère publique et être élu au Parlement. Pour les britanniques, ils doivent même démissionner quand ils se présentent et non quand ils sont élus.

Il y a en plus, objectivement, un grave problème de conflit d’intérêts sur lequel on passe avec une décontraction qui m’étonne. Un fonctionnaire qui vote un budget, c’est quelqu’un qui vote les dépenses de l’organisation qui le réembauchera s’il est battu. Conflit d’intérêts total. Ce n’est plus l’intérêt général ici, c’est l’intérêt particulier des membres de la sphère publique. La sphère publique peut ainsi mettre la main sur les économies de la sphère privée et l’épuiser ce qui fera capoter le pays. Dans cette affaire, je ne vise pas les personnes dont la grande majorité est dévouée, je vise le système.

Si l’on croit vraiment à l’Europe, il faut accepter que l’État s’allège en envoyant ses coûts sur l’Europe et/ou sur les régions. Il faut choisir entre États et Europe ou États et régions. L’exemple de la Catalogne est intéressant, c’est désormais une région qui se branche directement sur l’échelon européen.

Dans votre livre, vous abordez beaucoup la mutation voire la crise que le monde vit actuellement, quel est votre éclairage là-dessus ?

Le monde n’est pas en crise. On a un double phénomène plutôt. Les pays en voie de développement affichent des taux de croissance de 5 à 10% (Brésil, Inde, Chine). Une moitié de l’humanité croît à +10%, et l’autre moitié à zéro. Dans cette autre moitié il y a une gigantesque transformation schumpeterienne. Il n’y a pas de crise, au contraire, l’histoire montrera que c’est la période où l’humanité a cru et s’est transformée le plus vite de son histoire.

Dans les pays développés, c’est une destruction créatrice à tous les niveaux. Regardez Contrepoints et Internet, c’est Schumpeter à l’œuvre pour la presse papier. Regardez Amazon, avec les libraires classiques qui reculent. Il y a un choc monumental à l’œuvre dans l’ensemble des pays développés, des secteurs qui croissent à toute vitesse et d’autres qui s’effondrent.

Si vous savez analyser les évolutions en cours, vous pouvez croître rapidement. L’enseignement en ligne par exemple est un des secteurs d’avenir. On va bientôt pouvoir acheter facilement des cours de très bonne qualité sur Internet. Regardez l’exemple coréen : l’enseignement secondaire peut être fait sur Internet. Vous avez des profs d’anglais, de maths, qui vous font des cours disponibles sur Internet. Des profs de secondaire gagnent jusqu’à 1 million € parce qu’ils fournissent les meilleurs cours sur Internet. Après avoir lancé Les douze clefs de la stratégie, j’ai enregistré une heure et demi de conférences qui peuvent être diffusées facilement, sans même que je sois là, pour les nombreuses conférences que je ne peux pas donner.

Comment voyez-vous le nouveau monde que cette mutation annonce ?

Pour moi le monde en 2050 sera un tiers Inde, un tiers Chine, un tiers Occident. Si l’Inde est aujourd’hui un peu en retard, elle le rattrapera facilement, avec une population plus grande. Je suis convaincu qu’on sera tous beaucoup plus mondiaux. Tout va se mondialiser encore plus, avec l’effondrement des coûts de transports, l’explosion des systèmes de vidéo, etc. On sera ainsi beaucoup plus ouverts au monde.

Si l’on n’arrive pas à régler les systèmes sociaux en France, beaucoup de micro-entreprises vont se créer,  les gens seront consultants. Tous vous créerez vos petites boites et vous travaillerez en consultants. Avec des taux horaires plus chers, chacun construisant sa propre retraite, avec de nombreux clients différents. Regardez l’intérim par exemple, il explose actuellement. Beaucoup de jeunes commencent par l’intérim, pour avoir de la variété. C’est ce vers quoi on va.

Pour Jean-Luc Mélenchon, les patrons du SBF120, donc vous, sont des bons à rien…

Je déteste me mettre en avant, mais, dans le classement chinois HUADE, début 2012, (voir tableau) des cent meilleurs entreprises mondiales, on trouve deux françaises dans les dix premières et douze françaises dans les cent premières. Monsieur Mélenchon est probablement mal informé.

Rares sont les politiques qui viennent de l’entreprise, est-ce un problème ?

Oui, essentiellement à cause de cette absence d’obligation de démissionner pour un fonctionnaire élu comme je disais. Le privé n’est pas à égalité face au public dans la conquête des mandats électoraux. C’est le vrai problème. Seul le Conseil constitutionnel pourrait pointer cette anomalie efficacement. Je vous renvoie vers mon article dans Valeurs Actuelles, Pour des députés entrepreneurs.

D’où peut venir l’espoir d’un changement en France aujourd’hui ?

L’espoir face à cette situation peut venir des entrepreneurs. On doit simplement leur faire confiance. C’est pour ça que j’ai intitulé ainsi mon livre Si on faisait confiance aux entrepreneurs. Il peut venir des grands commis de l’État qui se lèvent et disent aux politiques halte-là ! Il faut que eux aussi se mettent en marche, sans eux on ne peut rien faire, ils connaissent les rouages ; ceci est en particulier valable pour Bercy ; si les recettes fiscales ne sont pas là et si la France chute dans les classements d’investissement de l’étranger alors il y aura un vrai examen de conscience à faire, je n’insiste pas….. Les syndicats tiennent aussi les clés, ils doivent comprendre que trop de social tue le social ; il faut qu’ils s’inspirent de l’Allemagne et de la Suède et tuer les idées fausses : « nous c’est différent!! ».Ce sera enfin impossible de retourner les choses sans une prise de conscience des politiques qu’ils sont en train d’épuiser le pays. C’est pour cela que vous faites oeuvre utile en vous attachant a faire croître Contrepoints !

N’est-ce pas une voie contraire à la tradition française ?

Il y a Colbert et Rousseau qui inspirent quoi qu’on en dise les hommes politiques de droite et de gauche. Il y a aussi Tocqueville et Voltaire dont les entrepreneurs sont les dignes héritiers, les héritiers des idées de liberté et d’initiative ; l’explosion du nombre de jeunes entreprises montre qu’une partie de la jeunesse a compris ; mon espoir, au bout du bout, il est en eux  !

Entretien mené par Alexis Vintray et Geoffrey Bruno fin novembre 2012.

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Une traduction d'un article du Risk-Monger.

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