Le libéralisme, combien d’amalgames ?

Le libéralisme ne cesse pas de déclencher amalgame sur amalgame chez ses détracteurs.

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Le libéralisme, combien d’amalgames ?

Publié le 15 novembre 2012
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Par Baptiste Créteur.

Le Monde offre régulièrement aux libéraux des opportunités de s’insurger. Récemment, c’est en enchaînant les amalgames qu’il a tenté de nous faire croire que le libéralisme est un vecteur de bureaucratisation et de réglementation et que les sociaux-démocrates sont libéraux. Bravo, Le Monde.

En France, la tradition libérale tient souvent lieu de repoussoir. Plusieurs essais permettent pourtant d’en restituer la complexité et surtout la diversité.

Le libéralisme n’a pas bonne réputation en France, et le néolibéralisme encore moins. Dans les débats, ce sont souvent des mots repoussoirs dont le sens paraît aller de soi. Et pourtant, leur transparence est trompeuse. Plusieurs publications récentes en témoignent, par leurs divergences même.

L’étude de la sociologue Béatrice Hibou sur la nouvelle Bureaucratisation du monde prolonge une littérature consacrée à la gouvernementalité néolibérale : d’innombrables travaux mobilisant Michel Foucault décrivent le néolibéralisme comme un type de gouvernement indirect des hommes, centré sur la concurrence et l’entrepreneuriat.

La liberté ne se divise pas ; libéralisme et néo-libéralisme recouvrent la même affirmation d’une liberté économique et politique. Le libéralisme est composé de nombreux courants ; aucun d’entre eux n’est une « gouvernementalité« , puisque aucun ne cherche à  » exercer par rapport aux habitants, aux richesses, aux comportements de tous et de chacun, une forme de surveillance, de contrôle tout aussi attentive que celle du père de famille sur la maison et sur les biens » – bien au contraire. Aucun d’entre eux n’est même un type de gouvernement, même indirect ; la concurrence et l’entrepreneuriat ne sont pas des entités ou institutions mais des modes de fonctionnement idéaux qui mettent au centre des relations sociales la pluralité et la concurrence. Faire passer le libéralisme pour un gouvernement indirect relève d’une logique souvent empruntée par les détracteurs du libéralisme, qui voudrait que la revendication par certains de leur liberté de choisir prive les autres de leur contribution forcée qu’ils ont pourtant choisi par un processus plus ou moins démocratique, le nombre ayant tout pouvoir sur l’individu. Une bien belle morale.

Surtout, le livre pointe un processus d’hybridation qui soumet le secteur public aux règles et protocoles du privé. Avec le New public management, et les techniques comme l’audit ou le classement, la tension devient manifeste entre la « logique du bien public » et « celle du marché et de l’entreprise ».

Le secteur public est loin d’être soumis aux règles et protocoles du privé ; on a du mal à sentir quel tort les impératifs d’efficacité et de productivité auquel le privé est soumis pourraient faire au secteur public, à moins de considérer que l’argent du contribuable ne doit pas être dépensé avec raison et qu’il faut que les salariés du privé paient plus d’impôts que de raison pour maintenir le nombre et le confort des salariés du public.

Les faits sont connus, mais la sociologue systématise l’approche. Au risque de confusions, elle prend pour exemples de « l’extension de la bureaucratisation néolibérale » la multiplication des règles d’hygiène prohibant les fromages de chèvre artisanaux, ou encore la demande, chez les consommateurs, de bed and breakfast « certifiés bio, écolos ou responsables ». Une obsession de la « précaution » et de la « tolérance zéro » qui rejoindrait celle des politiques sécuritaires contre la criminalité, notamment financière, ou encore des checkpoints privatisés en Israël. L’humanitaire aussi serait une « bureaucratie productrice d’indifférence et vectrice de domination »… »

La bureaucratisation est tout sauf une conséquence du libéralisme. Les règles d’hygiène et le principe de précaution ne sont clairement pas des règles imposées par le libéralisme, qui privilégie le libre choix et le marché. Ainsi, si les consommateurs demandent des « bed and breakfast certifiés bio, écolos ou responsables », c’est aux bed and breakfast de s’adapter s’ils veulent attirer les clients – une conséquence de la concurrence et des choix des individus. Que les choix soient faits par les individus et que, pour échanger avec eux, il faille s’adapter à leurs préférences, est peut-être une idée difficile à accepter, mais dans une économie libre, c’est ainsi.

[…] Ce titre agacerait les philosophes Alain Laurent et Vincent Valentin, qui présentent une colossale anthologie des penseurs libéraux. De leurs propres engagements, ils ne font pas mystère : Laurent est l’apologiste d’Ayn Rand (1905-1982), prêtresse du capitalisme américain, qui théorisa la vertu d’égoïsme. Ce combat pour un État minimal – tout au plus ! – donne une tonalité fort orientée au propos, cependant nourri de réelles compétences. D’après eux, le libéralisme est une philosophie de la liberté individuelle qui repose sur « l’adoption du pluralisme et de la concurrence dans tous les types de relations sociales ». En découleraient la défense de la tolérance, l’apologie du marché et l’État de droit. Cette somme restitue en partie la diversité des libéralismes, mais tout se termine, bien sûr, par l’anarcho-capitalisme…

Le libéralisme serait-il donc toujours de droite ? Telle n’est pas la conviction d’Alain Policar dans Le Libéralisme politique et son avenir. Cet homme de gauche, républicain social, pense que le libéralisme ne coïncide nécessairement ni avec le laisser-faire ni avec la « bureaucratisation néolibérale ». Tandis qu’Alain Laurent expulse du Panthéon libéral bien des libéraux de gauche, Policar les y réinstalle ; et il ajoute que les héros de celui-ci sont plutôt des extrémistes « ultralibéraux », hostiles à presque toute intervention de l’État dans la direction de l’économie. Après tout, à gauche, Keynes était bien un libéral, certes hétérodoxe, et membre du Parti libéral ! Et le philosophe de la Théorie de la justice (1971), John Rawls, soulignait que les inégalités ne devaient être acceptées que si elles apportaient le plus grand avantage aux plus mal lotis. Aussi a-t-on parlé de  » libéralisme égalitaire  » : de quoi scandaliser les libéraux pour lesquels tout cela n’est que de la social-démocratie déguisée.

Sur bien d’autres points – la tolérance, le patriotisme, le cosmopolitisme, etc. -, il faudrait donc choisir, plaide Policar, entre un « libéralisme conservateur » et un « libéralisme progressiste ». C’est une version renouvelée ou « rectifiée » qu’il défend, convaincu que « le libéralisme politique perd sa raison d’être, c’est-à-dire à nos yeux sa portée émancipatrice, s’il n’adjoint pas au primat de la souveraineté individuelle les valeurs d’égalité et de solidarité.

L’auteur voudrait convaincre la gauche intellectuelle, sa famille : vaste programme, dans un pays où le libéralisme est souvent l’autre nom du Mal.

Effectivement, le libéralisme n’est pas de droite, et il n’est pas de gauche non plus. Tenter de le situer sur un axe politique où l’État a pour rôle soit de stimuler l’économie, soit de réduire les inégalités est une initiative vouée à l’échec. Considérer Alain Laurent et Vincent Valentin comme étant de droite provoquera chez ceux qui connaissent leur pensée

Avancer que le libéralisme est multiple et que « tout se termine par l’anarcho-capitalisme », c’est ne pas comprendre pas cette diversité, et c’est d’ailleurs bien commode de n’y rien comprendre pour tenter ensuite de faire entrer dans le libéralisme des courants qui s’habillent de noms aguicheurs : qui voudrait être un libéral conservateur quand on peut être un libéral progressiste, ou ne pas adhérer à une version rectifiée donc nécessairement plus aboutie ? Voilà ce qu’essaie de nous faire comprendre Alain Policar :

le libéralisme politique perd sa raison d’être, c’est-à-dire à nos yeux sa portée émancipatrice, s’il n’adjoint pas au primat de la souveraineté individuelle les valeurs d’égalité et de solidarité.

Mais dans ce cas, où est la liberté ? On ne peut pas affirmer qu’on défend la liberté quand elle n’est qu’un alibi, elle n’admet pas de compromis :

Dans un mélange entre nourriture et poison, seul la mort peut l’emporter. Dans un mélange entre bien et mal, seul le mal peut l’emporter. (Ayn Rand, « For the New Intellectual »)

Si vous défendez la liberté, laissez les gens choisir ; s’ils ne choisissent pas l’égalité, à quoi allez-vous renoncer ? Les libéraux attendent votre réponse avant de vous adouber

Les contradictions n’existant pas, il semblerait que la volonté des sociaux-démocrates d’être reconnus comme libéraux relève seulement d’un problème de sémantique. Le néolibéralisme et l’ultralibéralisme pour désigner le libéralisme d’aujourd’hui, le libéralisme pour désigner la social-démocratie, à l’instar des liberals américains. « Dans un pays où le libéralisme est souvent l’autre nom du Mal », on voit mal l’intérêt qu’il peut y avoir pour les sociaux-démocrates à emprunter le nom du libéralisme, sauf à vouloir par là dissimuler un peu mieux le caractère abject de leurs idées. Mais rassurez-vous, ça ne trompe personne : les sociaux-démocrates ne sont pas plus libéraux que la Corée du Nord n’est une république populaire, ou la RDA démocratique.

Libéralisme sur Wikibéral, pour une définition du libéralisme plus sérieuse que celle du Monde…

10 paradoxes du libéralisme en France.

10 choses que pensent vraiment les méchants capitalistes.

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  • Il y a 2 sujets, soulevés ici, qui me semblent assez simple à comprendre :

    – L’utilisation des termes « Neo », « ultra », etc… qui ne sont en fait que le reflet de ce qui est appelé le capitalisme de connivence. Dans cette expression se retrouve le fait d’avoir des capitaines d’industries de en lien avec les pouvoirs qui, selon la formule consacrée, « privatise les profits et socialise les pertes ». L’exemple du sauvetage des banques en est le plus bel exemple.

    – Je le dis assez souvent ici mais ce n’est pas en se faisant des guerres de chapelle, pour des détails parfois sémantique, ou en cinglant systématiquement qui n’est pas dans la droite doxa du site que le mouvement prendra de l’ampleur. Pour que le publique puisse le comprendre, au delà des intéressés de l’économie, il faut qu’en termes clairs soient définis les orientations, quitte à laisser certains extrémismes de cote.

    • Une bonne approche pour expliquer le capitalisme de connivence consiste à considérer le fourbe du village, la brute de la région et les villageois.
      Si le fourbe du village se met sous la protection de la brute, il pourra fillouter le reste du village.
      Les villageois ne veulent pas se débarrasser de la brute, pour faire le ménage dans le village, mais préfèrent se mettre également sous sa protection, même si, étant plus pauvre (le fourbe est riche, étranger (apatride, même), des rumeurs courent également sur sa religion), ils ne peuvent que se permettre l’ombre d’une protection, mais préfère cette situation à l’alternative, qui consiste à se débarrasser de la brute et du fourbe d’une pierre deux coups pour que tout soit comme avant.
      Question : ces villageois sont-ils des veaux ?

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