Le bonheur sur ordonnance

En proposant le sport sur ordonnance, l’Académie de Médecine propose de pousser la déresponsabilisation des individus encore plus loin.

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Le bonheur sur ordonnance

Publié le 6 novembre 2012
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La musique, dit-on, adoucit les mœurs. Et sa pratique permet, dans une certaine mesure, de lutter contre Alzheimer. Il me semble donc indispensable de demander, dans les plus brefs délais, que la pratique d’un instrument soit — enfin ! — remboursée par la Sécurité Sociale. Comment ça, c’est complètement idiot ? Pourquoi les véliplanchistes et autres trotteurs du dimanche y auraient droit et pas les joueurs de cornemuse ou de triangle ?

Vous ne me suivez pas ?

C’est pourtant simple. Comme le relate une presse gourmande de toutes les implications sociétales que cette nouvelle implique, le Dr. Jacques Bazex de la très sérieuse Académie de Médecine propose que des activités physiques adaptées dans le cadre des prescriptions médicales soient prises en charge par la Sécurité sociale. Que voilà de la bonne idée en barre ! Pensez donc : par ce moyen (les calculs ont d’ailleurs été faits), la dépense occasionnée par ces prescriptions sera rapidement compensée par l’amélioration de l’état des patients, et, bien évidemment, une réduction automatique de la consommation de médicaments : en poussant le petit bouton là, et en tirant le petit levier ici, l’Imaps, une société liée à la Mutualité française, a calculé dans son gros ordinateur que la Sécurité Sociale économiserait 56,2 millions d’euros par an en finançant à hauteur de 150 euros une activité physique ou sportive adaptée à 10% des patients souffrant de cancer, de diabète ou d’insuffisance respiratoire chronique. Cela en fait, du million, non ?

gelafritt 500Mais si. Si les antibiotiques, c’est patotomatique, pour le sport, en revanche, ça l’est : vous êtes malade, on vous prescrit des séances de pilates, c’est chouette car remboursé par la Sécu, vous allez mieux ce qui fait que vous arrêtez de grignoter connement du Xanax pris en compensation d’une surdose de cortisone ou quelque chose comme ça. Bilan : les services sociaux de la Santé Collectiviste Française peuvent arrêter de vous distribuer votre camion de pilules colorées. Tout ça grâce à quelques petites séances. C’est-y pas beau ? Surtout que, si vous poussez le raisonnement sur les millions de Français qui explorent tous actuellement les tréfonds les plus repoussés de la médication psychiatrique, vous allez en faire, des économies !

Bon, évidemment, on ne va pas distribuer ces ordonnances pour du sport à n’importe qui et n’importe comment. Comme l’explique bien le Dr Bazex,

« Sur l’ordonnance devra figurer le détail des activités physiques: nature du sport, intensité, durée et fréquence des séances, suivi et contrôles médicaux à observer. »

Effectivement, ce serait assez dommage qu’on laisse saboter une aussi belle idée, celle du sport qui raffermit les chairs, vivifie les esprits et ravive les comptes de la Sécurité Sociale. Ce serait dramatique, même, qu’on commence à distribuer des ordonnances comme si on les coinçaient dans les essuie-glaces de voitures à l’instar de vulgaires flyers en quadrichromie pour des clubs de fitness, non mais oh et puis quoi encore ! On commence comme ça et on se retrouve avec les mêmes problèmes que les cures de thalassothérapie dont certains (Cour des Comptes ?) soupçonnent légèrement qu’ils sont en réalité des vacances payées en douce par la collectivité à l’assuré social.

On peut donc s’attendre, si l’idée fait son chemin, à ce que des contrôles efficaces et pointus soient mis en place afin d’éviter tout dérapage (fut-il en bi-cross et sous ordonnance). Et cela tombe bien parce que justement, l’idée progresse au sein du gouvernement surtout que (franchement, ça tombe bien toutes ces nouvelles, vous ne trouvez pas ?) le ministère de la Santé doit bientôt dévoiler son plan en faveur de l’activité physique ! Fouchtra, quelle coïncidence ! Alors bien sûr, pour ne pas louper une si belle conjonction astrale favorable et complètement inopinée, les uns et les autres rivalisent d’inventivité pour faire comprendre que le sport-remboursé-par-la-sécu, c’est une bonne idée qu’on devra mettre en place. Et puis, cela ira très bien dans la mouvance du moment dans laquelle, soit dit en passant, Valérie Fourneyron, ministre des Sports, a proposé la mise en place de « certificats d’indication » plutôt que les méchants certificats de « non contre-indication » à la pratique sportive tels qu’ils sont pratiqués actuellement. Et pour enrober le tout, elle a aussi noté que « certains publics restent éloignés de la pratique physique, ce qui renforce les inégalités en matière de santé », arrivant ainsi à injecter une petite goutte supplémentaire d’égalitarisme dans un domaine qui le dose pourtant de façon micrométrique. Décidément, l’adoucissement de la société dépasse toutes les espérances, et l’abrasion de la rugosité sociale arrive à un point tel que vivre en France va devenir une sinécure morbide cotonneuse dans laquelle les courses de momies boudinées de ouate deviendront un must à ne pas louper.

Las.

Au milieu de cette tempête de bisous, il me faut sans doute rappeler mes lecteurs à la raison.

Non, il n’y aura pas en France de séances de curling remboursées par la sécu, pas plus qu’il n’y aura de cours de jujitsu à l’oeil pour convalescent des cités. On sait déjà, avant même que la mesure soit mise en place, que la liste des sports désignés compatibles au remboursement sera extrêmement restreinte au début. Bien sûr, dans les prochaines années, cette liste sera appelée à grandir, mais ne comptez pas trop sur les matchs de polo gratuits tout de suite. Mais plus prosaïquement, cette mesure semble arriver à point nommé pour achever définitivement le système collectif de santé puisqu’on voit mal par quel miracle on va pouvoir contrôler précisément qu’il n’y aura pas d’abus. Oui, il est évident que la mesure compensera largement ses gains (forts hypothétiques) par une fraude décontractée tous azimuts. C’en est même banal que de le dire.

Et au-delà de ces considérations, cette idée même de sport sur ordonnance sent obstinément la mauvaise idée rance qu’on sort d’un placard poussiéreux lorsqu’on n’a plus aucune autre idée pour sauver la mise. En effet, l’explication officielle (réduire la facture par une pratique sportive adaptée) ne tient pas la route : s’il suffisait de prescrire par ordonnance pour qu’immédiatement, le malade emboîte le pas du médecin, des millions d’individus aux habitudes destructrices auraient largement retrouvé le chemin printanier de la santé.

La réalité est qu’une ordonnance n’est bien souvent que l’acte final et bruyamment réclamé d’une conversation rémunérée entre un médecin et un individu à la recherche d’une oreille compatissante et compréhensive. C’est, en quelque sorte, le papelard officiel administratif permettant de conclure à la nécessité des jérémiades qui le précédèrent. Les statistiques de consommation des barbituriques et autre benzodiazépines en France laissent à ce sujet peu de doute sur l’état psychique catastrophique d’une partie importante de la population.

Surtout, avec cette proposition douteuse, l’Académie de médecine prétend vouloir enraciner le sport dans les habitudes de vie dès le plus jeune âge (la France étant le pays où la pratique du sport chez les préadolescents est la plus faible d’Europe) ; là encore, on a bien du mal à comprendre par quel raisonnement tortueux l’Académie parvient à trouver un charme quelconque aux petits crobards gribouillés par un médecin, charme qui brisera la malédiction du peu d’engouement des petits Français pour le sport. Alors que les équipements de sports pullulent en France, que les associations lucratives ou non à buts sportifs sont pléthoriques, que les dépenses du ministère concerné n’ont jamais été aussi élevées, que les ventes de survèt/casquettes/baskets pulsent vigoureusement dans tout le pays, les Français ne font pas de sport, zut et zut. Penser que c’est pour des raisons de coûts (et de non remboursement) c’est tout de même faire preuve d’un manque cruel d’imagination. Et puis, vouloir forcer le sport à tous et toutes, par tous les moyens possibles, dès le plus jeune âge, cela continue de faire penser à cette manie qu’ont certains régimes de vouloir des gens tous en excellente santé parce que les vieux, les mal fichus et les faibles détonent dans le tableau, et coûtent un pont aux autres…

Enfin, cette idée qu’il faut, in fine, un médecin pour s’occuper de vous, un coach pétillant et vitaminé pour vous conduire dans une vie plus fruitée, plus colorée, plus bondissante et évidememnt plus citoyenne, c’est tout de même foutrement déresponsabilisant : encore une fois, l’Etat va ici s’interposer entre les individus et leur santé, au motif que si celle-ci se détraque, c’est d’autant plus leur faute que cela sera facturé à toute la collectivité. Et dans sa grande bonté doublée d’un parfait aveuglement, l’Etat va donc piocher dans les poches des uns pour que d’autres puissent faire du trampoline, du stepping ou de la zumba.

D’Orwell et de Huxley, c’est finalement Huxley qui avait raison : le communisme ou collectivisme brutal, tel que l’envisageait Orwell, a misérablement échoué. Le collectivisme douillet, qui enrobe et étouffe doucement les individus dans une épaisse couche de gentillesse gluante, comme le décrivait Huxley, fonctionne bien et les gens qui le subissent foncent vers l’abîme la tête légère (ou baignée d’anxyolitiques). La proposition de l’Académie de Médecine n’en est qu’un nouvel exemple.


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