Affaire Richard Millet : coupure de courant au pays des Lumières

Au pays des Lumières, il y a une coupure de courant quand, dans l’affaire Richard Millet, les « intellectuels » plaident pour la censure.

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Richard Millet

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Affaire Richard Millet : coupure de courant au pays des Lumières

Publié le 17 octobre 2012
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Au pays des Lumières, il y a une coupure de courant quand, dans l' »affaire » Richard Millet, les « intellectuels » plaident pour la censure de l’un des leurs.

Par Chloé Braz-Vieira.

Richard Millet

Le 22 août dernier, sont parus chez les éditions Guillaume le Roux deux ouvrages (pamphlets diront certains) de Richard Millet.

Le premier, intitulé De l’antiracisme comme terreur littéraire s’inscrit dans la continuation de la pensée déjà développée par Millet, à savoir des textes traitant de la décadence de la littérature contemporaine et plus largement du continent européen notamment du fait du multiculturalisme.

En cette rentrée littéraire 2012 et avant même sa sortie en librairie, le débat s’est concentré sur une portion du deuxième ouvrage de Millet, Éloge littéraire d’Anders Breivik.

 

Ultime épisode de cette saga : la démission de Richard Millet du comité de lecture de Gallimard.

Plus qu’une polémique germanopratine c’est à vrai dire une véritable chasse à l’homme qui s’est organisée afin de faire taire l’auteur de cet ouvrage « qualifié de répugnant » (Le Clézio), de ce pamphlet « fasciste » qui « déshonore[rait] la littérature » (Ernaux).

Précisons tout d’abord que comme la majorité des ceux ayant déjà réagi à la publication de ce texte, je ne l’ai pas lu. Je n’en ai, a priori, pas l’intention. Et si le fait de n’avoir pas lu affaiblit l’argumentaire des détracteurs de Millet, je pense que dans mon cas cela peut en fait le servir.

En effet, contrairement à Jean-Marie Le Clézio, Jean-Marc Ayrault ou Tahar Ben Jelloun, loin de moi l’idée de m’en prendre à Millet. Peu m’importe ce que Millet écrit ou ce qu’il prévoit d’écrire, peu m’importe qu’il soit réactionnaire, fasciste ou extrémiste, le fait est que nous vivons dans un pays où le premier mot de la devise nationale est « liberté » et que par conséquent j’estime que chacun a le droit de faire usage de cette liberté, notamment dans son expression écrite. N’en déplaise à madame Ernaux, je vais ici invoquer la « liberté d’expression », réflexe qu’elle qualifie de pavlovien, ce à quoi je me permets de répondre : bien heureusement !

Bien heureusement qu’il y a en France des gens pour qui l’invocation de la liberté d’expression constitue un réflexe pavlovien, une sorte de hoquet intellectuel intempestif.

Compte tenu de la capacité de nos Parlements (peu importe leur bord politique) à voter des lois ayant vocation à restreindre ce droit fondamental, je crois qu’il est du devoir de ceux qui le chérissent de se manifester lorsque nécessaire. Modestement, je me considère comme faisant partie de cette minorité française de pasionaria de la liberté et c’est à ce titre que je défends ici le droit de Richard Millet à s’exprimer et à écrire absolument tout ce qui pourrait lui passer par la tête.

Ne nous méprenons cependant pas, je suis bien loin d’approuver les propos de monsieur Millet.

D’après les extraits de son livre dont j’ai pu prendre connaissance, je devrais d’ailleurs me sentir directement visée. Lorsque l’auteur décrit les jeunes victimes de Breivik comme étant des « petits bourgeois, métissés, mondialisés, incultes, sociaux-démocrates », je ne peux que me sentir concernée par certaines de ces épithètes (je vous laisse deviner lesquelles).

Plus globalement, dans le reste de ses écrits, Richard Millet attaque un modèle auquel je tiens particulièrement : le modèle américain. Il y abhorre tout ce que j’aime : son multiculturalisme, sa culture, son système économique. Enfin, sa défense d’une Europe blanche et chrétienne me semble plus que datée et issue de la nostalgie d’une époque qu’il est lui-même trop jeune pour l’avoir connue.

Bien qu’on ne peut plus éloignée de l’idéologie très « années Trente » de Millet, je confesse toutefois un penchant certain pour ce genre d’auteurs controversés. Ainsi je voue une certaine admiration à Céline, Barrès et Péguy nourrissent une partie de ma curiosité et je reconnais une tendresse toute particulière à l’égard de Drieu la Rochelle. Tous ces sentiments étant, bien entendu, motivés par mon goût de la littérature.

Alors oui, peut-être ma défense du droit de monsieur Millet à s’exprimer vient-elle de cette faiblesse qui est la mienne… mais y a-t-il de mauvaises raisons de défendre les libertés de penser et de s’exprimer ?

 

Richard QUI ?

Avant d’aller plus loin dans cet article, je pense qu’il est utile de rappeler qui est Richard Millet car, bien qu’auteur prolifique, sa renommée demeurait jusqu’à récemment relativement confidentielle.

Né en 1953, Millet et l’auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages. Il fut le lauréat du Prix de l’essai de l’Académie française en 1994 et officie actuellement comme éditeur chez Gallimard.

Reconnu par beaucoup, y compris ses détracteurs, comme un auteur de talent sachant manier la langue française avec brio, il est également jugé plus que compétent dans son travail d’éditeur. Ainsi, il participa aux Goncourt 2006 (Les Bienveillantes, Jonathan Little) et 2012 (L’Art français de la guerre, Alexis Jenni).

Avant la rentrée 2012, il avait déjà publié des textes controversés tels que L’opprobre en 2008.

 

Éloge de l’horreur ? Et alors ?

Mais pour certains, un seuil a été franchi dans son dernier ouvrage.

Dans le texte sur Anders Breivik, Richard Millet évoque, tout en condamnant les faits, la perfection « littéraire » de la tuerie d’Utoya et le fait que la Norvège, de par son modèle socio-politique, « méritait » un tel drame.

À n’en pas douter, les familles norvégiennes des victimes (qui ont pris connaissance de l’ouvrage et de la polémique) ont surement été choquées. Elles ont réagi avec la passion qu’on est en droit d’attendre de parents ayant perdu leur enfant.

Mais que cette même passion soit la source d’attaques cinglantes de la part de ceux qui se targuent d’appartenir au monde « intellectuel » français, c’est incompréhensible. Pire, que ces mêmes personnes fassent des propos de Millet (et de Millet lui-même) l’origine de ce genre de crime, c’est oublier bien vite que ce n’est pas lui qui tenait les armes en ce jour de juillet 2011.

Bien entendu, j’ai été abasourdie autant que choquée par ce massacre et, manifestement, le fait de prendre les armes pour empêcher ceux que l’on considère comme « l’ennemi » de s’exprimer, ce n’est pas exactement faire honneur à la liberté d’expression que je défends ici. Mais commenter cette tuerie, la trouver en quelque sorte fascinante au point d’en faire un prisme sociétal, ce n’est pas la même chose que d’avoir participé à ces attentats.

Comme on le dit à Charlie Hebdo, on n’égorge personne avec un feutre. À n’en pas douter, le stylo de monsieur Millet est probablement tout aussi inoffensif. Et si certains estiment que l’odeur dégagée par ses propos est trop nauséabonde, libre à eux de retenir leur souffle aussi longtemps que bon leur semble.

 

Auteur fasciste

Car que reproche-t-on exactement à Richard Millet (si ce n’est d’exister et d’avoir, par moment, l’idée saugrenue de dire ce qu’il pense) ?

D’être d’extrême droite. Pire, d’être fasciste. Voilà le gros mot qui a eu raison de la présence de cet auteur estimé, de cet éditeur reconnu au sein du comité de lecture Gallimard. L’homme est fasciste et accepter sa présence au sein du comité Gallimard, c’est renouer avec les heures les plus « sombres » de la NRF.

La meute s’est donc mise en branle.

Annie Ernaux a publié une tribune-pétition dans Le Monde, qui a tout à la fois porté le coup fatal à l’auteur et pris en otage Antoine Gallimard, patron de la maison d’édition qui emploie Millet (mais ne publie pas ses textes). À quel titre cet amas d’écrivaillons s’est-il permis de faire cela ? Mais au nom de la morale, de l’éthique et surtout du nombre. Car manifestement, la parole de madame Ernaux doit être bien plus légitime, elle est contresignée par plus d’une centaine d’auteurs ! Or, c’est bien connu la majorité a toujours raison… Point de tyrannie ici, simplement le jugement du Tribunal Spécial de l’Intelligentsia Parisienne.

L’épithète de fasciste n’a en vérité qu’un seul objectif : délégitimer Millet et par là même son propos. Qui osera refuser de le condamner une fois que l’adjectif de fasciste lui sera indélébilement accolé ? Plus que d’une terreur de l’antiracisme c’est d’une terreur de l’antifascisme dont monsieur Millet est victime.

Arbitre involontaire de cette bataille : Antoine Gallimard, patron des éditions du même nom.

Gallimard a l’habitude de ce genre de polémique notamment en ce qui concerne les auteurs de La Pléiade (une polémique avait déjà éclaté cette année en raison de l’impression des œuvres de Drieu la Rochelle sur le fameux papier bible). De plus, la NRF a toujours cherché à privilégier la diversité de son catalogue à la recherche de l’unanimité. C’est une maison où ont cohabité des auteurs qui se détestaient et qui évoluaient sur des pôles idéologiques on ne peut plus opposés. En dépit des manœuvres parfois esquissées pour essayer d’écarter tel ou tel auteur, les Gallimard avaient jusqu’à présent fait en sorte de défendre leurs auteurs et de ne jamais céder aux pressions. Il semblerait que cette jurisprudence vienne d’être renversée.

En effet, après plus de trois semaines de polémique, Antoine Gallimard aura finalement lâché Millet. À sa décharge, reconnaissons qu’il a été pris à partie sur un sujet qui, à vrai dire, n’avait rien à voir avec sa maison puisque ce sont les éditions Guillaume le Roux qui publient Millet. Mais l’occasion était trop belle pour ceux qui depuis longtemps cherchaient à se débarrasser de l’auteur encombrant.
Refusant tout d’abord d’interrompre ses vacances pour s’exprimer, Antoine Gallimard a, dans un premier temps, défendu la liberté d’expression de Richard Millet, expliquant que ses propos relevaient du privé et du droit de leur auteur à s’exprimer.

Après un entretien privé, les deux hommes ont convenu d’une apparition télévisée de l’auteur afin de « solder » l’affaire.

Malheureusement, l’intervention de Millet chez Frédéric Taddeï n’a semblé satisfaire personne et, disons-le nous, le mal était de toute façon déjà fait.

Le 14 septembre dernier, Richard Millet annonçait son départ du comité de lecture de la plus prestigieuse maison d’édition française. Antoine Gallimard s’est démarqué de la tradition familiale qui cherchait à préserver la diversité et à faire de la maison d’édition la maison de tous les auteurs, y compris ceux ne manifestant pas d’« idéologie confraternelle ».

Millet a donc tout simplement été forcé de démissionner à cause de ce qu’il pense et de ce qu’il écrit. Si l’existence d’un problème ne vous saute pas aux yeux, je ne vois pas quelle argumentation sophistiquée pourrait vous convaincre de la présence de ce problème. Le cas se veut fort simple : nous vivons dans un pays où une pétition d’une centaine de signatures peut forcer un homme à quitter son emploi en raison de ce qu’il pense. Si mon indignation (parce que moi aussi je suis capable de m’indigner) découle de mon bon sens, je vais cependant me permettre de citer à l’appui de ma défense, comme tout bon élève de Sciences Po (Pipo ?), l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, dont nous sommes si fiers en France mais dont certains ont, à l’évidence, oublié quelques passages :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ».

Or, rappelons-le, Millet n’a violé aucune loi si ce n’est celle que des personnes autoproclamées de bon goût et de bonne morale se permettent d’ériger sans que rien ne leur soit demandé. Oubliez la censure d’État, dites bonjour à la censure des socio-démocrates éclairés.

Ce dont ces personnes se rendent pas compte c’est que, non seulement elles agissent à contresens des principes qu’elles disent défendre mais qu’en plus elles creusent activement la tombe de leurs idées.

Au regard de ses écrits et de son apparente haine de la diversité, madame Ernaux pense que monsieur Millet aime bien peu notre démocratie. Je suis cependant au regret de lui annoncer que son ardeur à bâillonner ceux qui ne partagent pas sa vision du monde ne constitue pas une déclaration d’amour au sacro-saint héritage athénien.

C’est avant tout une preuve de bonne santé démocratique que des individus comme Millet puissent exprimer leurs idées. Pour faire simple, Millet est à la société ce qu’un microbe est à l’organisme. Oui oui, vous avez bien lu, un microbe. Mais un bon. Il met à l’épreuve ce que nous croyons être évident, il conteste la volonté d’homogénéité de certains. Il fait en sorte que l’organisme qu’est notre société demeure alerte et qu’il ne se complaise pas dans un consensus mou. Il est vain de vouloir se débarrasser de ce genre microbes tout d’abord car c’est une tâche impossible et surtout parce que c’est s’acharner sur la mauvaise cible. Vouloir faire taire Millet c’est reconnaître vouloir poser une chape de plomb sur tout ce qu’une partie de la société peut penser et c’est risquer encore une fois de pousser des cris d’orfraie lorsqu’un candidat du FN parviendra à se faire élire et ce en dépit de tous les obstacles « républicains ».

Malheureusement, la majorité des Français et des commentateurs médiatiques semblent préférer la métaphore de l’autruche à celle de la bactérie. C’est un mal profond et bien français que de faire taire ceux qui gênent, ceux qui, parfois, disent tout haut ce que malheureusement certains pensent tout bas et croire bien naïvement que l’on a éliminé le problème.

 

Ironie quand tu nous tiens… 

Dans son entreprise de justification de ses écrits, Richard Millet a tenté d’évoquer « l’ironie » de son texte sur Breivik, notamment de son titre.

À mon grand regret, ce n’est pas ici que je pense trouver l’ironie de cette histoire. Ce qu’il y a, à mon sens, de plus ironique c’est le fait que monsieur Millet exècre le seul modèle de société (américain) qui lui permettrait d’exprimer librement ses idées. C’est en fait à se demander ce qu’il aime tant dans la  vieille Europe qui apparemment ne semble plus lui trouver aucune utilité. Lui qui se bat tant contre l’américanisation qu’il associe à une décadence, devrait songer à militer pour une contagion express de notre Constitution par le Premier amendement américain.

Il y a sûrement également de l’ironie dans ma défense d’un homme qui méprise les principes au nom desquels je prends son parti. Si je trouve cela regrettable, j’en veux avant tout aux intellectuels français de me forcer à prendre la défense d’un homme qui tient des propos que je réfute en tous points. J’en veux à ces défenseurs de la démocratie de faire de moi l’avocat de ce diable.

 

Se taire, enfin 

Au terme de cette polémique (qui est déjà du yesterday news) se vérifie donc une partie du constat dressé par Millet : en France, des traditions se perdent. Je doute qu’elles aient à voir avec l’importation d’une sous-culture américaine ou la présence de mosquées mais quoi qu’il en soit ils se font rares ceux qui ont désormais le courage de défendre les droits fondamentaux et qui tentent de s’élever au-dessus des affirmations de la masse.

Plus personne pour se plier au moindre effort intellectuel et rappeler que défendre le droit de s’exprimer ce n’est pas approuver ce qui est exprimé dans le cadre de ce droit.

Mais au pays des Lumières, il y a, semble-t-il, comme une panne de courant…


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