La première condamnation Hadopi, et la présomption de culpabilité

La loi Hadopi vient de faire sa première victime. Loin de démontrer l’efficacité du dispositif, cette première affaire en montre plutôt les limites.

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La première condamnation Hadopi, et la présomption de culpabilité

Publié le 17 septembre 2012
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La loi Hadopi vient de faire sa première victime. Loin de démontrer l’efficacité du dispositif, cette première affaire en montre plutôt les limites.

Par Roseline Letteron.

La loi Hadopi du 12 juin 2009 vient de faire sa première victime. Le tribunal de Belfort a condamné un internaute à une amende de 150 € pour le téléchargement de deux chansons de Rihanna. C’est une sanction extrêmement modérée si l’on considère que la peine maximale est de 1500 € d’amende, et que le juge peut également prononcer une peine complémentaire de suspension de l’accès à internet pendant un mois. Cette première condamnation fait déjà l’objet de multiples critiques.

Un dispositif trop cher ?

La première émane du ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, qui constate une « disproportion entre les moyens énormes » de la Commission Hadopi « et le résultat concret« . Il est vrai que cette autorité indépendante dispose d’un budget annuel supérieur à onze millions d’euros et emploie plusieurs dizaines de personnes. Hadopi coûte donc très cher à l’État, et, du moins pour le moment, rapporte très peu. Aux yeux du ministre, la Commission n’a pas convenablement fait son travail. Au lieu de se concentrer sur une répression pénale bien difficile à mettre en œuvre, elle aurait dû promouvoir l’élargissement de l’offre légale. En clair, il suffit que l’internaute dispose d’un stock suffisamment conséquent de téléchargements légaux pour que cela le dissuade de télécharger. Cette affirmation relève cependant de la simple hypothèse, et montre surtout que la loi Hadopi n’a pas mis fin au débat sur les différents moyens de protéger les droits liés à la propriété littéraire et artistique sur internet.

Un dispositif sexiste ?

La seconde critique vise le principe selon lequel l’abonné à internet est responsable de l’usage qui est fait de son ordinateur. En l’espèce, les téléchargements illégaux avaient été réalisés par l’épouse de l’abonné, ou plutôt l’ex-épouse puisqu’ils ont divorcé depuis cette date. Elle l’a pleinement reconnu, et s’est même rendue au tribunal pour assumer cette responsabilité. Mais le juge a néanmoins condamné le mari, puisque c’était lui le titulaire de l’abonnement à internet. De manière implicite, le juge estime donc que le condamné aurait dû mieux surveiller sa femme.

Certains dénoncent joyeusement le retour à une vision du couple particulièrement archaïque, dans laquelle le mari assume la responsabilité juridique des agissements d’une femme considérée comme mineure, et qui devrait davantage s’intéresser à ses casseroles qu’à internet. Ils voient dans cette législation le retour à une époque révolue, lorsqu’une femme ne pouvait signer un contrat de travail ou ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son conjoint. Tout cela est certainement très amusant, mais faux. Si une épouse est titulaire d’un abonnement internet, et que son mari réalise des téléchargements illégaux, c’est évidemment elle qui risque une condamnation. Il n’y a donc aucune dimension sexiste dans la législation.

Hadopi et la présomption de culpabilité

Reste que cette situation pose un problème au regard du principe de la présomption d’innocence. En effet, la loi Hadopi repose sur une présomption de culpabilité du titulaire de l’abonnement internet. Le Conseil constitutionnel admet une telle présomption, depuis sa décision du 16 juin 1999 rendue à propos de la disposition législative qui fait reposer sur le propriétaire d’un véhicule la responsabilité de l’excès de vitesse commis par son conducteur, quel qu’il soit.

À cette occasion, le Conseil a posé les bornes de cette présomption de culpabilité qui ne peut intervenir que pour des peines contraventionnelles et non pas délictuelles, dès lors que les « faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité« , et que les droits de la défense sont respectés. Ces trois conditions ne posent guère de problème pour Hadopi, dès lors que le téléchargement illégal est une contravention, que l’on peut raisonnablement penser que le titulaire de l’abonnement internet est l’auteur de l’infraction, et que la sanction est prononcée par un juge.

En revanche, le Conseil pose une quatrième condition dans sa décision du 16 juin 1999, et affirme que la présomption de culpabilité doit présenter un caractère « non irréfragable« . Cela signifie concrètement que le véritable auteur de l’infraction doit être substitué à l’auteur présumé, lorsqu’il est connu. Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil sanctionne ainsi une disposition qui créait une présomption irréfragable de culpabilité à l’égard des parents ou tuteurs d’un enfant n’ayant pas respecté le « couvre feu des mineurs ». C’est ainsi que lorsque ce n’est pas le propriétaire du véhicule flashé par un radar qui conduit, le conducteur réel peut assumer sa responsabilité, et s’acquitter de la contravention. C’est précisément cette substitution que refuse le juge de Belfort dans cette première condamnation sur le fondement de la loi Hadopi, alors même que l’ex-épouse du condamné assumait sa responsabilité.

Bien entendu, le condamné pourrait faire appel en se fondant sur cet argument, mais on croit comprendre que son premier désir est d’oublier toute cette affaire, le coût des honoraires d’un avocat dépassant d’ailleurs largement le montant de l’amende.

On le voit, cette première affaire, loin de démontrer l’efficacité du dispositif Hadopi, en montre plutôt les limites. La riposte graduée ne fonctionne pas réellement, et la Commission Lescure, qui doit réfléchir sur l’avenir de cette législation, devra peut être rechercher d’autres moyens de protéger le droit de propriété sur internet. Ce n’est certainement pas une chose facile dans un domaine largement dominé par les lobbies en tous genres.

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  • « En clair, il suffit que l’internaute dispose d’un stock suffisamment conséquent de téléchargements légaux pour que cela le dissuade de télécharger. Cette affirmation relève cependant de la simple hypothèse […] »

    Hypothèse facile à vérifier, puisque l’internaute est prêt à payer pour avoir du contenu, même illégalement. Je fais référence bien évidemment aux abonnements Megaupolad qui défiaient les offres légales avec un prix bien moindre, ce qui n’a pas empêché Kim Dotcom de se faire quelques dizaines de milliards de dollars, preuve que cet argent aurait pu revenir aux Majors/Auteurs/Etats si ceux-ci avaient revu leur modèle économique.

    Hypothèse facile à vérifier, puisque même Megaupolad allait lancer sa propre offre légale de téléchargement, mais du coup a fait peur aux Majors qui voyaient en cette offre leur fin :
    http://h16free.com/2012/01/27/12433-fermeture-de-megaupload-interview-dun-des-developpeurs

  • « Hadopi coûte donc très cher à l’État »

    Pas à l’Etat, mais aux contribuables.

  • Je dirais qu’il y a une volonté cachée de faire de l’internet un outil réservé à une élite. En effet il ne s’agit pas vraiment d’une présomption de culpabilité, mais d’une culpabilité tout court (puisque le flash lui-même n’a aucune valeur) de ne pas avoir d’expertise.

    Pour reprendre le code de la route, c’est comme si on ajoutait des lois extrêmement complexes qui feraient que seuls ceux qui auraient fait 10 ans d’étude du code de la route auraient la compétence pour répondre à une autorité ayant procédé à un flash plutôt aléatoire, dont on ne peut pas apporter la preuve qu’il soit réel ou inventé.

    La déclaration de la ministre de la culture sur le manque d’éditorialisme du web va aussi dans ce sens.

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