Henry Hazlitt, la leçon magistrale

Auteur prolixe, Hazlitt s’est fait connaître grâce à son livre à succès L’Économie en une leçon, ouvrage de vulgarisation sur les principes de l’économie de marché, ouvertement inspiré par Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas de Frédéric Bastiat.

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Henry Hazlitt, la leçon magistrale

Publié le 23 août 2012
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Auteur prolixe, Hazlitt s’est fait connaître grâce à son livre à succès L’Économie en une leçon, ouvrage de vulgarisation sur les principes de l’économie de marché, ouvertement inspiré par Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas de Frédéric Bastiat.

Par Fabrice Copeau.

« L’art de l’économie consiste à comprendre non seulement l’immédiat mais aussi les effets à long terme de tout acte ou de toute politique ; il consiste à tracer les conséquences de cette politique non seulement pour un groupe, mais pour tous les groupes »

Henry Hazlitt, L’Économie en une leçon, 1946

Henry Hazlitt est né le 28 Novembre 1894, à Philadelphie. Dans sa biographie, Jeff Riggenbach indique que son père est mort alors qu’il était encore bébé. Sa mère et lui vivent dans la précarité pendant neuf ans, jusqu’à ce qu’elle se remarie et déménage avec sa famille recomposée à Brooklyn. Ce sont dans les écoles publiques de ce quartier qu’il acquiert son goût pour l’éducation. Mais sa malchance ne s’arrête pas là. Alors qu’il est en deuxième année au City College de Manhattan, la mort de son beau-père replonge la famille dans la pauvreté. Hazlitt doit quitter ce prestigieux établissement, et trouver un emploi pour aider sa mère. Après quelques mois à occuper un emploi subalterne, il décide de s’essayer au journalisme. Il écrit déjà beaucoup, à ses heures. Il adore l’écriture. Il a presque terminé le manuscrit de son premier livre. « Je décidai que je voulais être un journaliste », dira-t-il bien des années après, « car c’était la seule façon que je voyais d’accéder à l’écriture ».

Il a à peine 20 ans, en 1915, lorsqu’il se met ainsi au service du Wall Street Journal. Au début, son travail consiste à prendre en dictée les informations des journalistes et à les dactylographier. Les reporters téléphonent leurs histoires, soit les dictant à partir de leurs notes, soit lisant à haute voix une version déjà écrite – fréquemment manuscrite ; Hazlitt les dactylographie pour que la rédaction puisse les examiner. Il y a plus enrichissant, mais c’est un début.

Mais Hazlitt écrit déjà bien mieux que les journalistes qui l’utilisent. Il vient tout juste de publier son premier ouvrage, à 21 ans à peine. Intitulé Thinking as a Science, il rédige un ensemble d’observations sur la méthodologie de l’assimilation mentale de ce qu’on lit ou de ce que l’on apprend sur le monde. La qualité de l’écriture, la finesse et la profondeur de sa pensée sont pour le moins étonnantes de la part d’un très jeune adulte.

Hazlitt se construit progressivement une carrière de journaliste, passant d’un quotidien à l’autre. Il quitte le Wall Street Journal pour travailler successivement au New York Evening Post, puis au New York Evening Mail et enfin au New York Sun. Il expérimente à peu près tous les métiers qu’offre la profession de journaliste : éditorialiste, critique de livres, essayiste et chroniqueur, rédacteur financier, bretteur au cœur des grandes controverses du moment, le cas échéant. Puis il dirige le « dos du livre » – les pages de critique littéraire – de The Nation. Il devient même, peu après et pendant un temps assez court, le rédacteur en chef de la revue littéraire The American Mercury, où il est le successeur désigné du créateur Henry Louis Mencken. Ce dernier était une figure de la Old Right américaine. Journaliste, satiriste et critique littéraire, cynique et libre penseur, H.L. Mencken était connu comme le « Sage de Baltimore » et le Nietzsche américain. Il a été l’un des maîtres à penser du courant libertarien américain contemporain. Dans sa revue, Mencken qualifie Hazlitt de « seul critique d’art compétent que je connaisse qui soit aussi un économiste compétent », ainsi que « un des rares économistes de toute l’histoire qui sache vraiment écrire. »

Au New York Times, qui l’accueille dans les années trente et quarante, Henry Hazlitt écrit des éditoriaux portant sur la guerre et l’économie. Puis, en 1946, il publie son ouvrage le plus célèbre, L’Économie en une leçon et quitte le NY Times pour Newsweek. Il cherche à définir quelle doit être la relation juste de l’individu à la société. C’est pourquoi il se met à la recherche d’une théorie complète qui pourrait lui donner un sens à tout cela. C’est l’École autrichienne qui la lui apportera.

Il est vrai que dès les années 1910 et 1920, Henry Hazlitt s’était familiarisé avec les idées de l’école autrichienne, en particulier celles de Ludwig von Mises. Comme le rappelle justement Jeff Riggenbach, Hazlitt a joué un rôle important dans la diffusion des idées de cette école aux États-Unis. En particulier, lorsque Mises trouve refuge à New York, échappé qu’il est d’une Europe largement dominée par les nazis, il a besoin de travailler pour vivre. Hazlitt fait ce qu’il peut, ce qui s’avère être plutôt beaucoup. Il s’arrange pour que Mises écrive plusieurs articles courts pour le New York Times, pour porter son nom à l’attention du monde intellectuel américain. Il aide Mises à obtenir une bourse de la Fondation Rockefeller qui lui permet d’écrire deux courts ouvrages, Le Gouvernement omnipotent et La Bureaucratie. Il persuade Yale University Press de publier ces deux petits livres en 1944, ainsi qu’un bien plus long : L’Action Humaine, quelques années plus tard, en 1949.

Hazlitt appuie Mises pour qu’il obtienne un poste de professeur « invité » à l’Université de New York. Il organise le comité des riches donateurs qui offrent l’argent représentatif du salaire de Mises. L’Université, elle, est extrêmement réticente face à cet anti-Keynes en une époque de renouveau du New Deal et de plan Marshall, et ne souhaite pas dépenser sur ses fonds propres pour payer ses heures. Enfin, Hazlitt présente Mises à Leonard Read de la Foundation for Economic Education (FEE), qui lui apporte un poste complémentaire comme conférencier et conseiller sur les questions économiques.

De surcroît, alors qu’il organise des entrevues, Hazlitt présente Mises à une immigrante russe débarquée de Petrograd, âgée d’une trentaine d’années, passionaria et romancière, qui se fait appeler Ayn Rand. Elle n’est pas spécialement célèbre. Son premier roman, qui décrit l’enfer soviétique et est largement autobiographique, Nous les vivants, n’a pas rencontré le moindre succès. Sa pièce de théâtre, La Nuit du 16 janvier, n’est guère plus prisée à Broadway. Elle n’a pas encore écrit La Source vive, roman individualiste qui raconte l’histoire d’un architecte qui ne suit que le chemin qu’il s’est tracé, et qui rencontrera un certain succès. King Vidor en tirera le film Le Rebelle en 1949. Elle n’a pas écrit non plus son roman mondialement connu, fleuve et échevelé, La Grève. Elle n’a encore ni nom, ni réputation, ni fortune. Elle est en pleine ascension. Un peu d’aide d’un écrivain reconnu et établi – par exemple, une recommandation, auprès d’un intellectuel plus âgé, important et promoteur d’idées très proches des siennes – lui serait précieuse. Comme il l’a été pour Ludwig von Mises, Henry Hazlitt a alors été un soutien capital pour Ayn Rand.

L’économie en une leçon

Auteur prolixe (plus de vingt-cinq ouvrages dans sa vie), Hazlitt s’est fait connaître grâce à son livre à succès L’Économie en une leçon (1946) : ce livre est un ouvrage de vulgarisation sur les principes de l’économie de marché, fondé et ouvertement inspiré par Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas de Frédéric Bastiat. Comme le dit lui-même Hazlitt dans son introduction : « On peut dire que mon livre en est la présentation moderne et qu’il est le développement et la généralisation d’une vérité déjà en puissance dans l’ouvrage de Bastiat. »

Hazlitt est également un des meilleurs pourfendeurs de son temps des idées keynésiennes. Ainsi, dans son ouvrage de 1959, The Failure of the New Economics: An Analysis of the Keynesian Fallacies, il établit une critique méthodique et systématique de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de Keynes. Il en dira même qu’il n’a « pas pu y trouver une seule doctrine qui soit vraie et originale. Ce qui est original dans son livre est faux et ce qui est juste n’est pas nouveau. »

Le premier austro-américain

À l’époque où il quitte le City College, Henry Hazlitt est un disciple d’Herbert Spencer. Puis, en 1938, Hazlitt lit un livre intitulé Le Socialisme : une analyse économique et sociologique. Ce sera pour lui un choc. Cet ouvrage, de traduction anglaise récente, a été publié quelques années plus tôt à Londres. Il est issu d’un premier livre publié en Allemagne en 1922, rédigé par quelqu’un dont Hazlitt a entendu parler, mais n’a jamais lu auparavant, un économiste autrichien du nom de Ludwig von Mises. Mises y explique que la valeur économique des biens provient de la préférence subjective des individus. Que la valeur marginale, dans l’esprit de l’acheteur, de tout bien ou service détermine son prix. Que les prix véhiculent des informations aux entrepreneurs indiquant où les acheteurs aimeraient le plus voir les investissements productifs mis dans l’économie. Mises époustoufle Hazlitt. Il n’avait jamais eu l’occasion, jusque-là, de creuser les thèses de l’École autrichienne. La découverte le bouleverse et lui donne le vertige.

Si bien qu’en 1945, lorsqu’il écrit L’Économie en une leçon, Hazlitt est complètement sous l’emprise des idées de Mises. Ce livre est la meilleure introduction rapide à l’économie autrichienne. Cela étant, ce livre n’est pas un ouvrage qui brille par une quelconque originalité. Il s’agit plutôt d’un exercice de vulgarisation – de grande qualité – des principaux préceptes de l’école autrichienne. Hazlitt rappelle également les principales critiques formulées par les tenants de l’école autrichienne aux thèses keynésiennes, d’autant plus fermement qu’elles ont le vent en poupe en cette période de New Deal.

À la manière de Frédéric Bastiat, Hazlitt insiste sur le fait que, pour analyser une politique ou un programme économique, il faut regarder plus loin que ce qui immédiatement apparent. S’il est vrai, dit Hazlitt, et comme le prétendent certains keynésiens, que les désastres et la destruction sont bons pour l’économie et créent de la richesse, alors les peuples victimes de tsunamis ou de tremblements de terre sont bénis des dieux. Or ce n’est visiblement pas le cas. Que ce soit pour justifier une guerre, ou pour convaincre les consommateurs d’acheter une voiture neuve pour « sauver la planète » et relancer l’industrie automobile, il suffit simplement de gratter le vernis du sophisme pour s’apercevoir que ces prémisses sont sans fondement. L’histoire de la vitre cassée de Bastiat en est une bonne illustration : le travail donné au vitrier, c’est ce qu’on voit, mais qu’en est-il de ce qu’on ne voit pas ? Si on suppose que remplacer la vitrine coûte 500€, le remplacement de cette vitrine va générer pour 500€ d’activité économique. Mais que ce serait-il produit si la vitrine n’avait pas été cassée ? M. Dupont ayant économisé ses 500€, n’aurait-il pas pu lui aussi les dépenser et générer également pour 500€ d’activité économique cette fois-ci utile – au moins utile pour lui, tout en jouissant encore de sa vitrine ?

Et ce n’est pas tout. Que se serait-il passé si cette vitrine n’avait pas été cassée ? Si le vitrier n’avait pas eu à réparer la vitrine, qu’aurait-il fait ? Se serait-il tourné les pouces ? Sans doute pas. Il aurait peut-être installé des fenêtres dans une maison nouvellement construite, par exemple. Ou, s’il n’avait pas assez de travail, peut-être aurait-il mis ses autres talents au service d’une industrie qui en a plus besoin. Par conséquent, le fait d’avoir cassé cette vitre a détourné le vitrier de notre exemple d’un travail immensément plus productif. C’est véritablement ce qu’on ne voit pas. Non seulement la destruction ne paie pas, mais nous voyons rarement tout ce qui aurait pu être produit si elle n’avait jamais eu lieu.

La défense du capitalisme

Dans un autre de ses ouvrages, un petit livre d’anticipation intitulé Time will run back, Hazlitt met en scène deux protagonistes qui échangent sur l’histoire de la révolution soviétique, et plus encore de son succès planétaire.

Il y a quelques différences suivant les historiens quant à l’exacte année où l’Âge Sombre a commencé. Certains la situent à 95 Av.M. (avant Marx), ce qui était l’année durant laquelle un bourgeois du nom d’Adam Smith est né ; d’autres la placent à 42 Av.M., qui est l’année d’apparition d’un livre de cet Adam Smith. Ce livre donna naissance à, et fournit un système élaboré d’excuses pour, l’idéologie capitaliste. […] L’Âge Sombre représente toute la période de la naissance du capitalisme jusqu’à son éradication finale à la suite d’une série de guerres froides ou ouvertes entre environ 150 Ap.M., et le triomphe final du communisme en 184 Ap.M.

Hazlitt explique le succès du communisme, et par conséquent la défaite du capitalisme, par la foi que les soviétiques ont placé en elle :

Et pourtant nous l’avons battu (le capitalisme) à la fin parce que nous avions l’arme formidable qui leur manquait. Nous avions la Foi ! Foi en notre Cause ! Une Foi qui n’a à aucun moment faibli ou hésité ! Nous savions que nous avions raison ! Raison sur tout ! Nous savions qu’ils avaient tort ! Tort sur tout !

En filigrane, Hazlitt reproche ainsi aux défenseurs du capitalisme leur mollesse et leur pusillanimité :

L’ennemi n’a jamais eu vraiment de foi dans le capitalisme […] Chaque « réforme » qu’ils mirent en place comme « réponse » au communisme était un pas de plus dans la direction du communisme. À chaque réforme qu’ils adoptaient l’individu avait moins de pouvoir et l’État toujours plus. Petit à petit le contrôle des individus sur les ressources et les biens leur a été retiré ; petit à petit cela fut envahi par l’État. Au début ce n’était pas la « propriété » mais simplement le droit de décision qui fut accaparé par l’État. Mais ces idiots qui essayaient de « réformer » le capitalisme n’ont pas vu que le pouvoir de décision, le pouvoir de disposer, était l’essence de la « propriété. » […] Graduellement leurs gouvernements ont décidé de toutes ces choses, mais morceau par morceau, au lieu de le faire en un seul grand saut logique.

Ils n’avaient pas le courage de voir que l’individu, parce qu’il n’est responsable devant personne, doit être privé de tout pouvoir, et que l’État, l’État qui représente tout le monde, doit être le seul dépositaire de tout le pouvoir, le seul décisionnaire, le seul juge de sa propre (volonté).

En contrepoint du positionnement auquel il aspire, Hazlitt fait dire à l’un des protagonistes de cette histoire, que les pays bourgeois « se sont battus contre le communisme parce qu’ils étaient contre le communisme. C’était la seule chose sur laquelle ils parvenaient à s’entendre. Mais ils ne savaient pas ce qu’ils défendaient. Tout le monde était pour quelque chose de différent. Personne n’avait le courage de défendre un capitalisme qui répondait vraiment aux principes de base du capitalisme. Chacun avait son propre plan pour un capitalisme « réformé ». » Il est bien clair qu’Hazlitt, lui, en défenseur de la liberté et de l’École autrichienne qu’il est, a sa vie durant entendu défendre le capitalisme et la liberté, avec certes des arguments pratiques, mais surtout des arguments éthiques. Ceux-là mêmes que des libertariens plus contemporains, Murray Rothbard en particulier, développeront ultérieurement.

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