Le boycott, une arme efficace ?

Les « boycotts » d’entreprises sont bien souvent au plus grand profit de ceux qui en sont les victimes. De quoi inciter à un usage parcimonieux de cette arme?

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Le boycott, une arme efficace ?

Publié le 21 août 2012
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Les « boycotts » d’entreprises sont bien souvent au plus grand profit de ceux qui en sont les victimes. De quoi inciter à un usage parcimonieux de cette arme?

Par Scott Shackford, depuis les États-Unis.

Article paru initialement dans Reason Magazine.

Boycott des bus de Montgomery à partir de 1955 à Montgomery, dans l’État de l’Alabama pour lutter contre la ségrégation.

Lorsque des entreprises adoptent des comportements que les gens trouvent répréhensibles, il semble que parfois ne pas en être client ne suffise pas. Certains essayent d’infliger des pressions économiques à ces entreprises pour leur faire changer de conduite. Ils encouragent fortement les autres à les imiter, avec la vision des nobles boycotts des bus de Montgomery [par le mouvement Rosa Parks] comme modèle.

En réalité, les boycotts, et particulièrement à l’échelle nationale, sont difficiles à réaliser. Le succès d’un boycott est proportionnel à la dépendance de l’entreprise envers ceux qui sont lésés. Dans le cas du boycott des bus, le système de transports publics de Montgomery était extrêmement dépendant des clients qu’il discriminait. Le développement rapide de systèmes de transports alternatifs comme les taxis bon marché mit aussi la pression sur le système de bus. Les boycotts réussis dans le Sud durant la période des droits civiques sont à mettre sur le compte de la grande dépendance des entreprises du Sud envers les clients noirs qu’elles traitaient si mal.

Mais cette leçon est quasiment oubliée aujourd’hui. Comme en témoigne les péripéties récentes de Chick-fil-A, les boycotts n’ont pas la même force lorsqu’ils sont étendus à toute une nation, dans une communauté de plus en plus diverse et sur des marchés encore plus divers.

Voici une revue de 5 boycotts qui n’ont pour le moins pas été de grands succès.

Chick-fil-A

N’importe qui a vécu quelque temps dans le Sud des États-Unis connait Chick-fill-A. Ils étaient présents dans toutes les aires de restauration des centres commerciaux. Leurs sandwiches étaient simples mais délicieux. Et ils étaient toujours fermés le dimanche. Même lorsque leurs concurrents ont élargi leurs horaires au point qu’il y ait maintenant des Drive ouverts 24h/24. Les racines chrétiennes de l’entreprise sont évidentes pour ceux qui les ont fréquentés.

Mais lorsque la compagnie s’est élargie, elle s’est mise à atteindre des clients qui n’étaient pas familiers de l’histoire de Chick-fill-A. Le conflit actuel est apparu pour la première fois  en 2011 lorsque des dons de Chick-fill-A à des organisations chrétiennes ont été mis au jour. Une partie de l’argent — quoique très faible — était dirigée vers des groupes qui faisaient de l’activisme anti-gay, comme le Family Research Council et l’Alliance Defense Fund. Un boycott fut lancé dans la communauté gay, bien qu’il fût peu relayé parmi ceux mêmes qui étaient concernés par la question du mariage gay (même Neil Patrick Harris, parent et gay, n’en avait pas entendu parler avant de twitter sur l’ouverture d’un de ces restaurants à Los Angeles).

En juillet, la controverse s’amplifia lorsque des déclarations du président de la compagnie Dan Cathy, défendant le « mariage traditionnel » firent la une. Soudainement, cela devint une affaire et la guerre culturelle totale concernant le mariage gay s’ensuivit. Le maire de Boston et un conseiller municipal de Chicago affirmèrent avec force qu’ils useraient de leur influence pour empêcher l’ouverture de ces restaurants dans leur ville. Les supporters de Chick-fill-A envahirent les restaurants de la chaine le 1er aout, entrainant des ventes record. Les défenseurs du mariage gay promirent un « kiss-in » le 3 aout en réponse.

La gestion du message dans cette tentative de boycott n’a pas été très bonne. La nature de la réaction (particulièrement des hommes politiques progressistes) a transformé l’affaire en une question de liberté d’expression plus qu’en une histoire d’activisme politique qui affecte les droits d’autrui. Lorsqu’un boycott s’avère reposer sur des objections aux opinions officielles d’une entreprise plutôt qu’à ses actions, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de soutien aux États-Unis.

Kevin Keller

L’effet inverse d’un boycott, comme démontré par le cas de Chick-fil-A, marche dans les deux sens. En 2010, l’éditeur de BD Archiecomics présenta à son entourage de Riverdale le personnage de Kevin Keller, un adolescent soigné et ouvertement gay. Cela valut à la série Archie comics plus d’attention qu’elle n’en avait eu depuis des années avec des questions aussi importantes que « Font-ils toujours du Archie comics ? ».

Une BD présentant l’avenir de Kevin, servant dans l’armée et se mariant avec un homme attira les foudres de One Million Moms, une ramification de l’American Family Association qui semble vouée à appeler au boycott et à se plaindre contre tout ce qu’il y a de gay friendly ou sexuel dans les médias. Elle menaça Toys’R Us pour avoir présenté dans leurs rayons la scandaleuse BD.

Résultat : le numéro fut en rupture de stock. Tout comme pour la controverse de Chick-fill-A, la publicité engendrée par les réclamations causa une réaction significative dans la direction opposée. Et Kevin Keller a maintenant sa propre série mensuelle de BD.

Disney

De 1997 à 2005, la Southern Baptist Convention appela au boycott de l’empire Walt Disney Co pour n’être pas assez « family friendly » (comme défendre trop la cause homosexuelle) et pour diffuser  des films controversés comme Priest et Pulp Fiction via ses filiales.

Pendant cette période, Disney augmenta ses profits et le nombre de visiteurs de ses parcs à thème. L’entreprise est toujours aussi gay, les parcs ont toujours des journées gay (organisées indépendamment et pas officiellement sponsorisées par Disney), et la chaine ABC, propriété de Disney, a des personnages gay un peu partout. Il y a même une adolescente lesbienne dans Pretty little Liars, une série pour ados qui passe sur ABC Family. Et si vous pensez que la mainmise de Disney sur les enfants américains a diminué, deux mots pour vous faire changer d’avis : Phineas. Ferb. [1]

La Southern Baptist Convention revendique 16 millions de membres. Cela semble important, mais c’est en réalité un peu moins que le nombre de visiteurs au Royaume Magique de Walt Disney World à Orlando en 2010. Et ça n’est qu’un de leurs nombreux parcs.

Domino’s Pizza

Dans une contestation similaire à l’actuel activisme contre Chick-fil-A, la National Organization for Women a appelé en 1989 au boycott de Domino’s Pizza en raison de l’activisme anti-avortement du fondateur de la société.

Tom Monaghan, fervent catholique, avait fondé la chaine de pizzerias en 1960. Comme l’explique le site Snopes.com, contrairement à ce que les boycotters pourraient croire, l’entreprise en elle-même n’a pas donné à des groupes anti-avortement. Mais Monaghan l’a fait et de ce fait, tout argent qui finirait dans sa poche pourrait servir à financer des groupes comme Operation Rescue.

L’entreprise de pizzas semble en pleine croissance (en partie en changeant et relançant sans cesse ses pizzas, qui, comme l’a reconnu Domino’s elle-même, ont un goût atroce). Elle a plus de deux fois plus de restaurants que son concurrent Papa John’s. Monaghan n’a plus aucun lien avec elle, l’ayant vendue en 1998 (à Bain Capital ! [2]) pour 1 milliard de dollars. Pas vraiment le signe du succès du boycott.

La  Caroline du Sud

En 1999, la NAACP [3] a appelé au boycott de la Caroline du Sud en espérant forcer l’État à retirer le drapeau confédéré du toit du capitole de l’État à Columbia.

En 2000, le groupe de défense des droits civiques obtint satisfaction, mais le drapeau fut déplacé au sol vers un monument en l’honneur des soldats confédérés tombés, devenant presque aussi visible qu’il ne l’était avant. Le NAACP a donc refusé de mettre fin à son boycott.

Le NAACP affirme que le boycott est très suivi, prenant comme exemple les conférences qui se déroulent ailleurs, ainsi que les Harlem Globetrotters et les tournois de la NCAA qui évitent l’État. Mais en 2010, le sénateur d’État noir (de Caroline du Sud) Robert Ford, responsable du compromis qui a mené à déplacer le drapeau du capitole, a déclaré que le boycott était en grande partie terminé et qu’il ne bénéficiait plus de soutiens.


Article paru le 09.08.2012 sous le titre 5 Boycotts that Lacked Bite dans Reason Magazine.
Traduction Geoffrey B. pour Contrepoints.

Notes :

  1. NdT : Phineas and Ferb est une série de dessins animés diffusée depuis 2007 par Disney qui a eu beaucoup de succès aux États-Unis.
  2. NdT : Bain Capital est un fonds d’investissement co-fondé par le candidat à la présidentielle américaine Mitt Romney.
  3. National Association for the Advancement of Colored People.
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  • Ce que je reteins de l’article :

    * les boycotts sont efficaces contre les entreprises en situation de (quasi-)monopole : ils créent une concurrence avec l’option « ne pas consommer »
    * les boycotts organisés par des groupes de consommateurs politisés foirent car ils augmentent le capital sympathie de la cible auprès de gens défendant des opinions contraires (Chick_Fill_A)

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