Groupe Doux : les dessous d’une faillite

Tout, dans la façon dont l'affaire Doux se développe, montre l'immixtion des politiciens et leurs pratiques délétères.
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Groupe Doux : les dessous d’une faillite

Publié le 5 août 2012
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Tout, dans la façon dont l’affaire Doux se développe, montre l’immixtion des politiciens et leurs pratiques délétères.

Par h16.

Actuellement, il ne fait pas bon être ouvrier en France. Il ne fait pas bon avoir son entreprise dans les petits papiers de l’État. Et la situation passe de pénible à inextricable si, en plus, c’est le ministre du Dressement Reproductif qui s’occupe de votre cas. L’exemple du volailler Doux est particulièrement criant, et illustre comment les intérêts bien compris de certains passent avant l’utilité collective…

Avant d’entrer dans le vif du sujet, présentons rapidement le contexte qui a occupé la presse ces dernières semaines.

Il y a quelques mois, on apprenait les difficultés grandissantes que traversait le groupe Doux, leader européen de la volaille. On savait déjà depuis 2007 que les activités de produits frais, poulets et dindes sans label, pour le marché français, violemment attaquées par la concurrence et sous la pression de la grande distribution, perdaient et perdent encore de l’argent. Avec la détérioration du climat général des affaires en France et la situation déjà fort tendue du groupe qui menaçait de faillite depuis 2010, le volailler s’est retrouvé dans une situation inextricable que les tentatives de délocalisation au Brésil n’ont pas arrangée du tout. Au passage, on notera que le groupe a toujours su tirer profit de la Politique Agricole Commune, des subventions et des aides d’État plus ou moins généreuses qui lui auront été dispensées à la faveur des crises (aviaires et autres) ; finalement, à l’image de toutes les autres entreprises qui auront joyeusement croqué des subsides étatiques, le groupe s’est endetté, affaibli et se retrouve maintenant en cessation de paiement.

Situation qui, il y a quelques semaines, a conduit le tribunal de commerce de Quimper à placer le groupe en redressement judiciaire, dans l’espoir qu’un repreneur se présente. Ce fut le cas avec Sofiprotéol. À partir de là, tous les ingrédients (politiques, économiques, financiers, marché de l’emploi et ministre frétillant) étaient réunis pour que la situation parte en sucette avec brio.

just chillin'Les informations, derrière les articles d’une presse à la gloire de l’intervention étatique, sont difficiles à rassembler. Un de mes lecteurs m’a cependant fait profiter de quelques données privilégiées qui éclairent d’une lumière différente le déroulement de l’affaire. En effet, il apparaît que le consortium rassemblé par Sofiprotéol a fait une offre de reprise portant sur l’ensemble du périmètre du groupe Doux. Cette reprise nécessitait de supprimer 900 emplois, ce qui représente principalement deux usines et, surtout, le siège du groupe, soit 500 emplois. Pour rappel, ce siège est situé près de Quimper. Cette information n’est pas neutre, on le comprendra plus tard.

En échange de ces suppressions, Sofiprotéol proposait de sauver 3100 emplois. Compte-tenu de la structure du groupe, il s’agit très majoritairement d’emplois ouvriers. A contrario, la plupart des emplois supprimés ne sont pas des emplois d’ouvriers puisque plus de la moitié sont liés à la fermeture du siège du groupe, comprenant essentiellement des fonctions de support. Socialement, la proposition de Sofiprotéol pouvait être considérée comme « responsable » ; d’ailleurs, les syndicats semblaient assez favorables à cette offre. C’est suffisamment rare pour être noté.

Las. C’était sans compter sans l’intervention des gens de l’État, et en l’espèce, des juges du tribunal de commerce de Quimper. Grâce à leur vigoureuse entremise, couplée il est vrai à celle du cabinet ministériel de Montebourg (avec la finesse d’analyse et le doigté diplomatique judicieux qu’on imagine sans mal), la situation, déjà mal engagée, s’est rapidement transformée en foirade mémorable. Ce n’est pas exactement la première fois que je constate dans ces colonnes que les tribunaux de commerce sont régulièrement l’anti-chambre d’une catastrophe industrielle ; on se souvient en effet que l’immixtion des juges dans les difficultés d’une entreprise de menuiserie spécialisée avait conduit cette dernière à la fermeture pure et simple, transformant habilement le licenciement de quatre personnes en perte d’emploi pour dix-sept.

Avec notre histoire de volailles, on retrouve chez les juges le même mélange d’expérience des affaires, de connaissance profonde du marché concerné, et une vision diaboliquement précise de la stratégie d’entreprise : ils ont décidé que l’offre n’était pas satisfaisante et qu’il valait mieux scinder le groupe Doux en deux avec d’un côté le pôle frais, qu’on mettrait en liquidation (soit 1300 emplois de supprimés) et de l’autre, mettre en plan de continuation l’autre pôle (2700 emplois).

On peut déjà s’étonner du refus du Tribunal de Commerce, et de l’étonnante décision qui revient à supprimer plus d’emplois que la précédente proposition du groupe Sofiprotéol. Mais quand on gratte un peu, on se rend compte que ce plan de continuation permet de sauver les miches des délégués syndicaux, présents (étrangement ?) dans des usines qui n’étaient pas reprises et qui allaient fermer dans la proposition du consortium. Du point de vue des gens bien informés du système, il n’y a pas stricte équivalence entre les emplois, et certains sont plus égaux que d’autres, notamment lorsqu’ils sont syndiqués.

chocking the chickenD’autre part, le plan de continuation du Tribunal de Commerce permet également de sauver le siège social et ses 500 emplois … près de Quimper, près du Tribunal, près des élus et autres politiciens qui gravitent à proximité. Miam. On imagine qu’il n’y aura eu aucune pression, d’aucune sorte, nulle part, pour aboutir à ce plan de continuation, d’ailleurs financé pour un mois seulement. Selon les explications du tribunal, la logique consistant à liquider le pôle frais était de pousser Sofiprotéol à faire une offre, même partielle, sur ce pôle ; le consortium avait en effet déjà proposé une reprise partielle du pôle cependant conditionnée à l’acceptation de reprise du reste du groupe.

Maintenant, l’autre pôle partant en plan de continuation, l’offre de Sofiprotéol est refusée, rendant par conséquent caduque l’offre sur le pôle frais. Il était évident, pour qui connaît le marché volailler, que l’éventuel repreneur n’avait aucune envie de reprendre le frais uniquement. En somme, les juges ont tenté de forcer la main du consortium et ont perdu. Ou, tout du moins, les juges peuvent prétendre à cette explication. En pratique, ils s’en fichent puisque leur propre carrière n’est pas remise en cause par les décisions de Sofiprotéol, et leur intérêt bien compris ne recouvrait pas la sauvegarde du maximum d’emplois du groupe, mais bien ceux des emplois qui leur étaient le plus profitable politiquement parlant.

Le résultat de l’ensemble de ces opérations et tractations en coulisse, c’est, d’ores et déjà, la perte de 400 emplois de plus que la proposition de reprise. On peine à y voir un gain, surtout que les emplois perdus sont les moins qualifiés et les moins mobiles. Et bien évidemment, le plan de continuation est, on le comprend, une petite cautère mal placée sur une jambe de bois puisque rien n’assure aux 2700 autres emplois qu’il n’y aura pas liquidation pure et simple une fois le mois écoulé.

Si l’on ajoute les éleveurs dépendants du pôle frais, qui se retrouvent avec des ardoises non payées et une structure de distribution totalement et durablement désorganisée, si l’on tient compte du fait tout de même éclairant que le patron de Sofiprotéol est patron du FNSEA, on comprend que toute l’affaire est, de très loin et depuis bien longtemps, sur le terrain politique des jeux de pouvoirs locaux, des baronnies diverses, bien avant d’être sur le terrain de l’économie de marché et de l’intérêt collectif des salariés ou, plus généralement, de l’emploi en France.

Sans même se forcer, on sait que toute cette affaire se terminera douloureusement, comme ce fut le cas pour Bourgoin il y a quelques années. Tout comme pour PSA, le ministre du Viagra Industrieux continuera à s’agiter vaguement pour justifier les soins apportés à sa permanente bouclée, en pure perte. Et comme d’habitude, ce seront les ouvriers et les classes les plus laborieuses qui rempliront la facture.

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  • Les juges du tribunal de commerce sont incompétents. Ils n’ont aucune expérience économiques et encore moins de management. Cette histoire est triste, mais il en existe bien d’autres. Personne ne réagit. Vous avez raison car ce pays est foutu.

    • Le volailler DOUX après avoir badigeonner sa poudre de perlimpinpin sur des individus, met des salariés, les éleveurs et les entreprises en relation avec la volaille dans une situation très délicate.
      Dans l’affaire DOUX, le PDG et les commissaires aux Comptes ont fait l’autruche depuis plusieurs années pour mettre la filaire volaille et les entreprises dépendant de la volaille en grande difficulté.

      Arrêtons de faire du n’importe quoi avec les salariés, il faudrait un jugement exemplaire avec plusieurs parties civiles comme le fait actuellement le la CFDT dans le Maine et Loire, car dans cette affaire, le groupe DOUX n’a pas joué sont rôle de bonne gérance (n’a jamais tiré la sonnette d’alarme) en profitant de grosses aides européennes.

  • On sacrifie 1800 Emplois pour flater l’égo de Charles DOUX et protéger les intérets de la BARCLAY avec l’aval du procureur de la république et des élus de Droite !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! L’audience du tribunal était un « pujilat » . On avait l’impression que c’était les repreneurs qui étaient responsables des 430 000 D’EUROS DE DETTE et que Charles DOUX ET son équipe de posaient en sauveur tel ZORRO ! ecoeurant !

  • Les juges des tribunaux de commerce, loin d’être des  » gens de l’Etat » sont des dirigeants d’entreprise élus par leurs pairs !
    D’où la haine de la gauche et de ses media envers ces juridictions qui, sans être parfaites, sont les « moins pires ».

  • On peut s’interroger sur le bon fonctionnement de la démocratie, en effet que font tous ces gens pour qui nous avons voté? J’avais cru comprendre qu’ils devaient défendre nos intérêts et veiller au bon fontionnement de leurs communes, de leurs cantons, de leurs régions et de leur pays…Que ce soit le Groupe Doux ou tous autres entreprises, est-ce que toutes ces « personnalités » ont un regard sur la bonne marche de celles – ci, avant qu’elles ne soient au fond du gouffre? Tout le monde sait que les entreprises sont vitales pour les communes, les villes, les régions. Il serait normal de s’y interresser, (d’autant plus quand leur patron a bénéficié copieusement des deniers de l’état), autrement qu’en venant aux manisfestations avec des mines et des discours compassionnels alors que les salariés s’apprêtent à s’inscrire au Pôle Emploi… Concernant les sites DOUX il y a bien longtemps que les salariés avaient conscience de la gravité de la situation, malheureusement les syndicats n’ont pas relayer cette inquiétude, on peut aussi se poser des questions sur leur rôle (manipulés, achetés…) En tous cas « Charles » continue de nous pourrir la vie, non seulement il a mis son groupe à genoux suite à des choix stratégiques et des décisions inappropriés, mais en plus il donne des conseils et fustigent les repreneurs potentiels!! et …cerise sur le gâteau des juges lui donne raison!!!!! C’est quoi cette justice, c’est quoi la démocratie??? Qui nous représente? Personne, ils agissent seulement dans leur propre intérêt. TOUS!
    PS. Je connais bien le Groupe Doux, votre article analyse bien le problème.
    MO

  • Un homme politique n’est pas un chef d’entreprise, le mélange des genres est toujours catastrophique. Il est consternant de constater qu’il est plus facile pour un politique d’aller serrer les mains des gréviste, que de mettre en place un écosystème dans le quel les entreprises peuvent se développer et créer les richesses du futur.

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