Milton Friedman et la critique du keynésianisme

Au-delà de ses thèses monétaristes, Milton Friedman a écrit sur les comportements de consommation et sur la temporalité des politiques de relance, deux théories qui mettent à mal les thèses keynésiennes.

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Milton Friedman et la critique du keynésianisme

Publié le 31 juillet 2012
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En ces temps de crise économique, certains des travaux académiques de Milton Friedman mériteraient d’être davantage étudiés et commentés, à condition de ne pas se cantonner à la seule de ses théories qui soit légèrement connue en France, le monétarisme. Hors cette question, Friedman a ainsi écrit sur les comportements de consommation et sur la temporalité des politiques de relance, deux théories qui mettent à mal les thèses keynésiennes.

Par Alexis Vintray.

Théorie du revenu permanent de Milton Friedman

En 1957, alors qu’il est encore peu connu, Milton Friedman écrit A Theory of the Consumption Function dans lequel il s’en prend à l’un des fondements de la théorie keynésienne, sa fonction de consommation. Cette fonction de consommation décrit la façon dont un ménage consommera en fonction de ses revenus.

Pour Keynes, la consommation est fonction du revenu disponible à l’instant t. Dès lors, si le revenu augmente temporairement par un plan de relance, le consommateur consommera plus, prenant en compte ce revenu supplémentaire.

Séduisant mais largement faux. Friedman observe que la consommation des ménages est beaucoup plus régulière que leurs revenus. Pour expliquer cette différence, Friedman propose son hypothèse du revenu permanent : le revenu d’un individu a deux composantes : une composante permanente et une composante transitoire. Ce qui compte ce n’est pas le revenu des ménages, mais leur estimation de leur revenu permanent, fonction de leurs revenus passés et l’anticipation qu’ils ont de leurs revenus à long terme. Pour que la consommation des ménages change, il faut que ce soit ce revenu permanent qui change, et un chèque de remboursement temporaire d’impôts n’y fera rien si l’économie est déprimée.

Dès lors, l’argumentation keynésienne ne tient plus : à quoi servirait une politique de relance si les ménages accumulent l’excédent de revenu dans des bas de laine sous leurs matelas ? À peu de choses à part creuser le déficit ! Cela a été ainsi vérifié dans des études américaines sur des baisses temporaires de fiscalité dans les années 1960, ainsi que, plus généralement de manière statistique. Seule une baisse durable de la fiscalité peut avoir un effet sensible sur l’activité.

Il serait hâtif de dire qu’il en est toujours ainsi, ne serait ce qu’en raison de l’intervention d’autres facteurs pour expliquer les variations de la consommation et pour ne pas sombrer dans l’historicisme. Mais l’argument reste valable, largement vérifié, et devrait faire réfléchir à deux fois les partisans de la relance à tout crin.

Temporalité de l’intervention étatique

Friedman porta un autre coup, plus violent, aux théories keynésiennes sur l’intervention étatique en période de crise : loin d’atténuer les crises, elle ne fait que les aggraver. Les politiques contra-cycliques (destinées à lisser l’évolution économique) sont en fait pro-cycliques (elles accentuent les cycles économiques).

Friedman étudia cette question dans ses Essays in Positive Economics (1953). Dans ce recueil se trouve en particulier un texte, The Effects of a Full-Employment Policy on Economic Stability, écrit en 1951. Milton Friedman y souligne que l’action de l’État est marquée par des lags ou délais en français. Il estime ainsi entre 10 et 24 mois les délais entre le moment critique et le moment où l’État agit concrètement. Entre les deux, il y a un délai entre le moment où le problème survient et celui où les hommes de l’État en prennent conscience, puis à nouveau un délai jusqu’à la décision des mesures à prendre, et enfin un troisième avant que les effets de ces mesures se fassent sentir. Il résume ainsi cette analyse des lags de l’action publique en 1962 dans son ouvrage capital, Capitalism and Freedom :

There is likely to be a lag between the need for action and government recognition of the need ; a further lag between recognition of the need for action and the taking of action ; and a still further lag between the action and its effects.

Partant, les effets des plans de « relance » se font sentir quand la machine économique reprend, accentuant l’expansion de façon inconsidérée.

Ces théories de Milton Friedman sont cependant bien loin d’être écoutées actuellement, alors que les hommes politiques de tout bord semblent jouer à qui aura le plus grand plan de soutien à la croissance ? Qu’est-ce qui permet d’expliquer cette obstination de l’intervention politique alors ? Montrer qu’on agit pour ne pas passer pour Mister Do-Nothing, répondre à la demande exprimée sur le marché politique en somme. Quelques pistes qui mériteraient un article à part entière.

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  • Je ne suis pas convaincu par la théorie présentée. Même si le revenu complémentaire est épargné, cela ne ferait que différer la consommation dans le temps. L’épargne étant probablement très liquide et disponible.

    Et même en considérant qu’il est épargné long terme, cela contribue au financement de la machine économique.

    Pas convaincu, donc.

    • Vous avez surement raison, mais qu’est-ce que ça change au fait qu’une baisse temporaire d’impôts n’a pas d’influence sur la consommation?

    • @twiter : vous n’avez pas compris la théorie, voilà pourquoi vous n’êtes pas convaincu.

      Friedman dit qu’un être humain qui sait que son revenu augmente temporairement est intelligent et anticipe la baisse future et ne modife donc qu’à la marge sa consommation.

      en fait, un être humain consomme en fonction de ses anticipations futures de revenu et lisse toute hausse ou baisse ponctuelle en fonction de la moyenne de ses anticipations.

      c’est un raisonnement que vous faites par vous même (vous épargnez en fonctino d’un gros achat futur par ex) sans même vous en rendre compte.

      Voilà pourquoi cette théorie marche, elle n’a fait qu’être énoncée à partir d’une réalité déjà existante car liée à la nature même de l’être humain.

      • et les critiques de lucas????

        et les analyses de sargent et wallace????

        il faut évoluer

        • Achtung klette : d’une certaine manière, la théorie friedmanienne du revenu permanent anticipe la critique lucasienne, en ceci que les deux montrent que les anticipations individuelles rendent ineptes les politiques conjoncturelles. Votre commentaire est donc parfaitement à côté de la plaque.

          • vous ne maîtrisez pas la critique de lucas

            friedman donne raison à keynes (cf la courbe de philips)

          • donne raison à court terme

          • Achtung klette : Lucas a justement étendu l’argument de Friedman en montrant qu’il s’appliquait aussi dans d’autres contextes, et notamment à des horizons temporels différents. Bien essayé, mais encore raté.

            Ah, mais quelle klette, ce pei !

          • vous confirmez vous être arrêté à friedman dans votre pensée.

            depuis de nombreux travaux ont été produits?

            La critique de Friedman n’était pas une attaque frontale contre la macroéconomie keynésienne. Contrairement à ce qui sera le cas pour Lucas, Friedman trouvait peu à redire quant à la méthode de Keynes, un auteur avec lequel il partageait une même filiation marshallienne. Il était également peu opposé au modèle IS-LM en tant que tel, sa cible étant plutôt les résultats de justification des interventions étatiques que les auteurs keynésiens en dérivaient. Il s’agissait pour lui de plaider pour la validité de la version classique du modèle IS-LM, qui suppose la flexibilité du salaire, aux dépens de sa version keynésienne, dans laquelle le salaire est supposé être rigide

            cf de vroey

    • « Même si le revenu complémentaire est épargné, cela ne ferait que différer la consommation dans le temps »
      ————————————-
      Il n’y a pas que le timing dans la consommation, il y a aussi la nature de la consommation. On ne peut pas faire l’hypothèse que l’argent
      des plans de relance sera dépensé pareil que l’argent que les gens ont pour leur propre consommation.

      L’argent des plans de relance keynésiennes va par nature à des projets qui n’auraient pas été financés parce que ne respectant pas les critères élémentaires de bonne allocation des ressources, c’est typique avec le soutien aux énergies renouvelables qui n’existent que grâce à des milliards & milliards de subvention et dont le désastre économique est devenu impossible à nier.

  • dans la mesure où le revenu courant excède le revenu permanent en raison de mesures fiscales (subventions ou baisses d’impôts) le consommateur sait que ceci n’est que ponctuel et qu’il ne faut pas augmenter son train de vie, d’où une épargne de précaution. Avec l’instabilité fiscale française l’épargne ne peut que se renforcer au détriment de la consommation pour les classes moyennes. Pour les classes pauvres on dépensera peut être mais on achètera des équipements importés ou non fabriqués en France : high tech ou automobiles mais bas de gamme

    • Lorsqu’on évalue la macroéconomie en fonction de la caractérisation du keynésianisme qui a été donnée plus haut, il apparaît qu’un retournement complet s’est produit. Autant la macroéconomie antérieure était doublement keynésienne, au plan méthodologique et au plan politique, autant l’inverse est maintenant vrai: la nouvelle macroéconomie est non-keynésienne conceptuellement et anti-keynésienne politiquement. Aucun des concepts proposés par Keynes et Hicks ne restent utilisés. La cause au service de laquelle la théorie est mise est la défense du laisser-faire.
      Cette évolution constitue-t-elle une étape finale dans le développement de la macroéconomie ? Bien sûr que non. D’une part, si la macroéconomie keynésienne s’est vue déclassée, il en ira de même un jour de la nouvelle macroéconomie classique. C’est le sort de tout paradigme. D’autre part, il faut tenir compte du fait que la macroéconomie est nécessairement normative dans la mesure où elle réfléchit sur la manière idéale d’organiser une économie de marché et du rôle que l’état peut jouer à cet égard. Les deux positions prévalentes sont soit le laisser-faire, soit l’attribution à l’état d’un rôle de suppléance visant à remédier aux échecs de marché. L’adoption de l’une ou l’autre de celles-ci dépendra à son tour du jugement établi en matière d’existence de telles défaillances de marché. Est « keynésien politique » l’économiste qui estime qu’elles existent et que l’état peut les résoudre, est « anti-keynésien politique », celui qui pense le contraire. S’il est possible que le déclassement de l’appareil keynésien traditionnel, hérité du modèle IS-LM, soit définitif (quoique ses capacités de rebond ne doivent pas être sous-estimées), il n’en va pas de même pour la cause politique keynésienne. Même si, comme noté plus haut, il y a eu un glissement d’attention vers des thèmes autres que l’efficience ou les insuffisances de l’économie de marché, ce dernier thème ne va pas disparaître de la scène. Le scénario qui était le plus probable — et qui s’est en fait réalisé — est que les keynésiens politiques appliquent au paradigme nouveau classique la tactique employée par Friedman à l’égard du paradigme keynésien — accepter de raisonner sur ses prémisses pour produire des résultats de politique économique contraire à ceux qui lui étaient spontanément associés. Tel est le sens des travaux regroupés sous l’étiquette de théorie « nouvelle keynésienne », dans laquelle l’adjectif « keynésien » se réfère au projet politique qui était propre à Keynes plutôt qu’à l’appareillage conceptuel éponyme.
      A l’heure présente, il faut reconnaître que les lignes de démarcation restent floues. D’une part, il est clair que les auteurs de sensibilité keynésienne quant au projet politique admettent
      2 2
      pleinement les principes méthodologiques mis en avant par Lucas. Certes, la discipline d’équilibre limite fortement le champ de l’exprimable, mais des voies restent néanmoins ouvertes pour faire passer le message keynésien de justification d’interventions étatiques, comme la multiplicité des équilibres ou le remplacement de l’hypothèse de concurrence parfaite par celle de concurrence imparfaite. D’autre part, des auteurs qui ont commencé leur carrière de recherche dans le sillage strict des principes nouveaux classiques ont commencé à s’en écarter en intégrant dans leurs modèles des éléments autrefois rejetés comme la viscosité des prix ou, de nouveau, la concurrence imparfaite. Une convergence se dessine-t-elle ? C’est ce que qu’affirment les auteurs qui se sont placés sous la bannière de la « nouvelle synthèse néoclassique ». Celle-ci combine la conceptualisation standard de la nouvelle macroéconomie avec, d’une part, l’hypothèse de concurrence monopolistique et, d’autre part, celle de viscosité des prix, l’une et l’autre étant justifiée par un argument de pertinence par rapport à la réalité. De tels modèles parviennent à renverser la thèse friedmanienne-lucasienne d’inefficience de la politique monétaire, ce qui n’est pas un mince exploit. Ici aussi, le changement apporté n’est pas exclusivement conceptuel, mais concerne également la construction de modèles macroéconomiques quantitatifs opérationnels, estimés par des méthodes économétriques sophistiquées.
      Références

      cf de vroey

      • « À la période d’échange suivante, les travailleurs, qui ont réalisé leur erreur d’anticipation, intègrent la hausse du niveau des prix dans leur attente, en conséquence de quoi la Courbe de Phillips se déplace vers le haut. Pour maintenir le gain d’emploi, des injections monétaires de plus en plus massives deviennent alors nécessaires. »

        Tiens, j’en profite pour signaler que le même phénomène se produit pour tous les types de « redistribution »: leur effet de transfert de richesse n’est que transitoire (tandis que leur effet de déformation de la structure de production, lui, est permanent).

      • voilà bien un propos d’ébauche qui explique l’originalité des toutes les théories en citant ici l’inefficacité de la politique monétaire inflationniste qui ne tient pas compte souvent des perverses du long-terme dans la pratique des certains essais…

  • Regardez dans la vie de tout les jours , la critique de Friedman est fondé , cependant la réponse que l’on peut y apporter l’est également.

    Si on garde la fonction de Consommation Keynésienne mais qu’on prend en compte l’effet mémoire chez Brown ( après un certain stade de consommation , on ne revient plus en arrière :  » Consommation sous forme de palier  » ) alors , les thèses Keynésienne ont tangibles.

    Pour preuve , prenez la fonction de consommation de Keynes et rajoutez y l’effet mémoire de Brown et vous trouverez qu’a long terme la pente de la courbe est supérieur a celle du court terme.

  • je pense que les politiques économiques seraient meilleur si on se basait sur les corrections des erreurs en conséquences des dynamismes aux choix des modèles des croissances; le cas de la politique budgétaire de la RDC…

  • la théorie repose sur les faits réels observés dans les comportements des consommateurs quant à ce qui concerne les anticipations et les consommations ordinaires; la notion du revenu permanent relatif aux cas précédents excelle en ce sens que la partie de la courbe illustrative démontre clairement que les épargnes/ investissements dépendent de la différence entre les deux revenus par estimation d’une propension transitoire non consommée, les notions comme épargnes-Projet entrent en jeu à ce niveau de réflexion…

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