Ces fondateurs du politiquement correct français : Pierre Bourdieu

L’essor du relativisme, ce courant qui écrase tout système de valeur hiérarchique et qui asphyxie tout esprit critique depuis des années, doit certainement beaucoup à La distinction de Pierre Bourdieu.

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Ces fondateurs du politiquement correct français : Pierre Bourdieu

Publié le 30 juillet 2012
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L’essor du relativisme, ce courant qui écrase tout système de valeur hiérarchique et qui asphyxie tout esprit critique depuis des années, doit certainement beaucoup à La distinction de Pierre Bourdieu.

Par Claude Robert.

Loin de moi l’idée de critiquer l’œuvre du sociologue, son travail méthodique force le respect, et il faut d’ailleurs bien faire la différence entre Pierre Bourdieu le scientifique, et Pierre Bourdieu le militant jusqu’au-boutiste… Ceci étant dit, il semble que le second se soit parfois invité dans le travail d’analyse et ait réussi à nuire à l’objectivité du premier.

C’est ce qui s’est produit, il me semble, dans La distinction, livre paru dans une période fortement marquée idéologiquement (fin des années 1970) et qui a sans doute beaucoup aidé à couronner, légitimer et probablement prolonger des décennies de contre-culture (c’est-à-dire de culture anti-bourgeoise). L’idée incriminée dans cet ouvrage n’est pourtant que suggérée, évoquée indirectement, à force de critiques à peine larvées de la nature de la culture savante ou bourgeoise, faite de retenue, de « distanciation », de « rejet du directement assimilable et jouissif », et de valorisation à peine masquée de la culture populaire qui serait « l’affirmation d’une continuité de l’art et de la vie », et plus admirable encore, qui serait « le refus du refus » qui caractérise si bien la « culture savante ». Je résume en forçant à peine le trait : les « doctes » et les « dominants » sont essentiellement exclusifs, tandis que le peuple a un goût sans a priori.

Mais Pierre Bourdieu n’est jamais si proche de l’aveu que lorsqu’il cite les thèses opposées aux siennes pour mieux avancer dans ses démonstrations.

Ainsi en est-il de l’exemple qu’il donne pour montrer combien les heureux élus qui apprécient l’Art savant ou déclaré comme tel sont prêts à toutes les argumentations pour justifier leur système de valeur :

Et pour convaincre que l’imagination auto-légitimatrice des happy few n’a pas de limites, il faut encore citer ce texte récent de Suzanne Langer que l’on s’accorde pour considérer comme un des « world’s most influential philosophers » : – Autrefois les masses n’avaient pas accès à l’art : la musique, la peinture, et même les livres, étaient des plaisirs réservés aux gens riches. On pouvait supposer que les pauvres, le ‘vulgaire’ en auraient joui également, si la possibilité leur en avait été donnée. Mais aujourd’hui où chacun peut lire, visiter les musées, écouter de la grande musique, au moins à la radio, le jugement des masses sur ces choses est devenu une réalité, et à travers lui, il est devenu évident que le grand art n’est pas un plaisir direct des sens. Sans quoi, il flatterait – comme les gâteaux ou les cocktails – aussi bien le goût sans éducation que le goût cultivé. (p 32, Éditions de Minuit)

Cette citation politiquement très incorrecte, et introduite avec ironie par Pierre Bourdieu aux dépens de son auteur, citation avec laquelle il est de toute évidence en parfaite opposition, laisse entrevoir une partie du refoulé : le système de valeur dominant est un système essentiellement arbitraire, construit non pas sur un apprentissage objectif de techniques objectives d’appréciation d’un beau la plupart du temps objectif, mais sur une partition de territoires sociaux purement fortuite et sur la défense acharnée de cette partition.

Même si le sociologue ne l’admet jamais clairement, La distinction laisse transparaître en filigrane comme une préférence pour le goût populaire, qui est décrit avec une sorte de déférence voire d’admiration latente, tandis que le goût bourgeois n’est la plupart du temps présenté que comme celui des classes dominantes, comme s’il n’était qu’un territoire sociologiquement imposé par la force, et naturellement jamais justifié par une quelconque échelle universelle du goût nécessitant un minimum d’apprentissage. Cet apprentissage est cependant reconnu par le sociologue, mais il semble l’entacher d’inégalitarisme, de favoritisme, comme si la faute que ce sésame existe en incombe aux classes dominantes, coupables qu’elles sont d’avoir su dominer même dans l’univers sensible du goût ! Pourquoi dans ce cas ne pas reprocher aux classes dominantes de dominer ? Il est d’ailleurs amusant de constater qu’entre les classes populaires et les classes dominantes, se trouve une petite bourgeoisie dont le portrait que dresse le sociologue est sans doute le plus péjoratif : cette catégorie dépenserait beaucoup d’énergie à acquérir le goût dominant, elle en ferait même trop. Comme si, au lieu de respecter le goût populaire, elle l’abandonnait comme un traitre quitte ses origines pour trouver mieux…

Lorsque j’étais étudiant dans les années 1970-80, je me demandais pourquoi le goût classique/dominant/bourgeois était si décrié au point qu’une sorte de contre-culture du laid, du facile ou du provocateur se soit épanoui aussi bien. À cette époque, je me demandais également pourquoi, dans la noosphère des sciences humaines, « petit bourgeois » était devenu très péjoratif alors que traiter quelqu’un de « prolétaire » n’était pas de rigueur.

Récemment, à la lecture de La distinction, j’ai tout de suite pensé avoir trouvé si ce n’est l’origine de ces  inclinations tout au moins leur officialisation et leur institutionnalisation. L’essor du relativisme, ce courant qui écrase tout système de valeur hiérarchique et qui asphyxie tout esprit critique depuis des années, doit certainement beaucoup à cet ouvrage.

—-
Sur le web.

Lire aussi : Ces fondateurs du politiquement correct français : Karl Marx et Friedrich Engels

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  • C’est vraiment un article bizarre.
    On peut lire « la distinction » totalement autrement, j’y ai lu un auteur qui, comme beaucoup de « transfuges de classe », n’arrivait pas à cacher son amour/haine pour le côté populaire de la force dont il provient, et non une simple admiration comme c’est dit ici. Il moque, en effet, pas mal le petit bourgeois mais n’est pas beaucoup plus tendre avec les classes populaires et on sent qu’il envie pas mal les classes supérieures, sans pour autant pouvoir l’avouer (même, sans doute, à lui même).

    Au de là du sujet extrêmement intéressant du livre, il y a énormément de choses à dire sur ce travail, tant positives que négatives. Comme c’est dit en début d’article, « la distinction » marque le passage du Bourdieu scientifique (à lire et relire) au Bourdieu blablatiste (à beaucoup moins lire….) dont le climax est sans doute « la misère du monde ».
    Mais, c’est dommage que ce qui ressort de cet article n’est qu’une infime partie de ces critiques que l’on pourrait faire.

  • Moi aussi j’ai ressenti une certaine ambiguité de P.Bourdieu vs à vis du goût des élites, et les mappings issus de ses analyses factorielles ont du forcément le faire réfléchir (aimer le Messie de Haendel par exemple veut en dire long…). Néanmoins, la posture générale de l’auteur n’est pas vraiment favorable à l’élite, loin s’en faut. Par ailleurs, cet article ne fait qu’extraire de la Distinction ce qui semble avoir influencé le politiquement correct actuel. Ce n’est pas une thèse sur P.Bourdieu

  • Ce qui m’a le plus frappe c’est la quantite d’efforts que Bourdieu a mis a developper des « theories » pour expliquer avec de mots savants des phenomenes tout simplement evidents… Le capital culturel par exemple.

    Sans blague? Les gosses qu’on emmene a l’opera et qu’on submerge de reference literaires des leur plus jeune age; a qui on explique des histoires passionnantes d’ingenieurs ambitieux et d’auteurs geniaux; ces gosses auront plus de facilite a l’ecole que ceux qui ont eleves en regardant Telechat?

    Merci Bourdieu. Franchement, sans vous on n’y aurait jamais cru…

    Les bourdieuseries sout souvent d’excellentes occasions de sonder les opinions politiques des profs.

  • « L’essor du relativisme, ce courant qui écrase tout système de valeur hiérarchique et qui asphyxie tout esprit critique depuis des années, doit certainement beaucoup à cet ouvrage. »

    Il faut revoir votre copie.

    – Le relativisme n’ÉCRASE pas tout système de valeur hiérarchique: il reconnaît que différents systèmes de valeur hiérarchique existent, il les décrit, mais ne porte pas de jugements sur lesdits systèmes – et encore moins ne cherche à les écraser.

    – En quoi le relativisme asphyxie t-il l’esprit critique?? Bien au contraire, il en est un outil. Le relativisme, c’est mettre les choses en perspective, prendre du recul sur les phénomènes. Quelle incompatibilité avec l’exercice de la raison critique?

    • Marie P : « il reconnaît que différents systèmes de valeur hiérarchique existent, il les décrit, mais ne porte pas de jugements sur lesdits systèmes »
      ——————————
      Si le relativisme ne porte pas de jugement sur les systèmes (c’est un truisme sur lequel tout le monde s’accorde), il ne peut pas faire de hiérarchie. Comment alors affirmer qu’il reconnaît « différents systèmes de valeur hiérarchique », ça défie toute logique !?!

      • De la façon dont je l’entends, c’est le système lui-même qui se caractérise par une hiérarchie de valeurs : telle société/système social accordera plus d’importance à telles valeurs plutôt qu’à telles autres, jugera tel principe supérieur à tel autre.

        Le relativisme les étudie, mais ne dit pas : « tel système est supérieur à tel autre ».

        C’est là ce que j’ai voulu dire.

      • miniTAX : « Le relativisme les étudie, mais ne dit pas : « tel système est supérieur à tel autre ». »
        ———————————
        Certes mais ce n’est pas vraiment un scoop. Et c’est justement ça qui est reproché au relativisme : de placer tout au même niveau (vous n’allez pas le nier quand même, si ?). La culture tribale au même niveau que le confucianisme, l’athéisme au même niveau que la foi religieuse, la culture occidentale au même niveau que la culture musulmane… C’est ce que l’auteur qualifie de « écraser les systèmes de valeurs hiérarchique » : tout mettre au même niveau.

        • Le débat devient intéressant : il existe forcément un système de valeur hiérarchique, infra culturel, instinctif, tout comme acquis et culrutel, grâce à l’apprentissage, l’éducation, l’expérience. Tout n’est pas aléatoire, tout ne se vaut pas. Le danger du politiquement correct, et de son relativisme embarqué qui ne dit pas son nom, c’est bien de tout ramener au même niveau, surtout ce qui semblait érigé comme supérieur au paravant. C’est un peu ce que relatent certains historiens ou philosophes lorsqu’ils déplorent la fin de l’esprit critique, la fin de l’esprit humaniste…

  • Les commentaires sont fermés.

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