Silicon Island

À La Havane, tout comme le reste de la réalité cubaine, la médecine aussi est à deux vitesses. La première est celle des patients qui n’ont pas d’argent pour se soigner correctement en dehors des « soins gratuits », l’autre est celle de ceux qui peuvent assumer le prix d’une chirurgie esthétique fournie par un réseau illégal au sein des centres hospitaliers.

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Silicon Island

Publié le 24 juillet 2012
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À La Havane, tout comme le reste de la réalité cubaine, la médecine aussi est à deux vitesses. La première est celle des patients qui n’ont pas d’argent pour se soigner correctement en dehors des « soins gratuits », l’autre est celle de ceux qui peuvent assumer le prix d’une chirurgie esthétique fournie par un réseau illégal au sein des centres hospitaliers.

Par Yoani Sánchez, depuis La Havane, Cuba.

« Ceux-là, c’est un médecin qui me les a implantés pendant sa garde », me raconte-t-elle en se touchant fièrement la poitrine par-dessus sa blouse. Ensuite, elle a montré son derrière et elle a fait la moue : « pour celui-là, le résultat n’est pas aussi bon parce que le chirurgien manquait de pratique ». Quand je lui ai demandé où elle avait obtenu les prothèses en silicone qu’on remarque de façon évidente sur son corps, elle m’a expliqué qu’elle ne portait que des « produits de marque » et que donc elle avait demandé à son fiancé italien de les lui rapporter. « Le reste n’a pas été facile, tu imagines bien, payer un docteur pour qu’il m’opère ». Je lui avoue que je ne suis pas très au courant de tout ça, que les blocs opératoires me font peur et que je me suis habituée il y a des années à l’image du corps dégingandé que me renvoient les miroirs. Mais je lui demande malgré tout des détails et elle me confirme ce dont je me doutais déjà : l’existence d’un réseau illégal de chirurgie esthétique réalisée dans ces même centres hospitaliers qui vous accueillent gratuitement.

Cette pratique s’est renforcée à la fin des années 90 et au départ, les principales clientes étaient des prostituées dont les fiancés étrangers couvraient les frais. Mais elle s’étend aujourd’hui aux personnes des deux sexes qui ont les moyens d’obtenir le corps de leurs rêves. Normalement, ils entrent sous un faux prétexte clinique, pour une douleur qu’ils n’ont pas réellement et quelques heures après leur sortie du bloc, on les renvoie chez eux pour se rétablir. Dans les registres des hôpitaux, il ne reste aucune trace de ces opérations chirurgicales et une grande partie du matériel utilisé est achetée au marché noir par le personnel médical lui-même. Rien ne doit mal se passer, car la moindre plainte ferait exploser le réseau des personnes impliquées. La discrétion est fondamentale et le patient est rarement suivi pour savoir s’il y a eu des effets secondaires. Le docteur a prévenu mon amie juste avant que l’anesthésie fasse effet : « Nous sommes tous des adultes, chacun est donc responsable de ce qu’il se passe »

Pour un prix allant de 750 à 900 CUC, les implants mammaires sont les plus demandés parmi la large gamme de greffes et d’opérations clandestines proposées. Sur des sites Internet comme Revolico.com, on peut trouver une grande variété de tailles d’implants et les marques les plus répandues sont Mentor et Femme (en français dans le texte). À ce prix, on devra ajouter la « main d’œuvre », qui va de 500 à 700 CUC s’il s’agit de spécialistes reconnus de ces actes. Quelques débutants le font aussi pour un peu moins cher, mais les résultats laissent vraiment à désirer. Pour un chirurgien cubain, dont le salaire arrive à peine aux 30 CUC mensuels, il est très tentant de réaliser ce genre d’opérations. Malgré tout, il sait que le danger d’être découvert et de se voir retirer le droit à exercer la médecine est très élevé. C’est pourquoi les chirurgiens se protègent par le biais de réseaux qui s’étendent presque toujours jusqu’à la partie administrative et à la direction des hôpitaux. Tous sont impliqués, depuis les brancardiers et les chirurgiens esthétiques jusqu’aux infirmières et aux fonctionnaires de la Santé Publique. Le pire qui puisse arriver, c’est que quelqu’un meure sur la table d’opération ; il faudra alors inventer une quelconque maladie chronique pour justifier le décès.

Il y a quelques semaines, la blogueuse Rebeca Monzó a révélé dans un tweet un de ces scandales de la chirurgie illégale. Il s’agissait dans ce cas précis de l’hôpital Calixto García, mais ça aurait très bien pu concerner n’importe quel bloc opératoire de la ville. Sans préciser encore les détails de ce qu’il s’est passé, on parle de toute une salle clandestine réservée aux patients étrangers et cubains qui pouvaient payer ces interventions. La rumeur populaire dit qu’on a tout découvert quand une touriste fraîchement opérée a eu des saignements à l’aéroport en partant de Cuba, mais cela pourrait relever de la pure mythologie. Ce qui est sûr, cependant, c’est que tout comme le reste de notre réalité, la médecine aussi est à deux vitesses, deux dimensions bien différentes se côtoient. La première est celle des patients qui n’ont pas d’argent pour offrir ou payer les docteurs, l’autre est celle de ceux qui peuvent assumer le prix d’une telle chirurgie rubis sur l’ongle. Avoir des moyens matériels peut raccourcir les délais et augmenter la qualité de n’importe quel traitement ; cela fait apparaître à temps le fil pour les points de suture, les radios, les médicaments cytostatiques.

Tout commence lorsqu’on offre un savon à la stomatologue qui nous répare une carie dentaire et continue jusqu’à un bloc stérile où une étrangère se fait avorter ou bien où une Cubaine se fait poser des implants mammaires.

—-
Sur le web.
Traduction : M. Kabous

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