Menaces sur l’État de droit en Roumanie

Devenue majoritaire au Parlement en avril dernier, puis parvenue au gouvernement après une motion de censure parlementaire perdue par la droite en mai, la gauche roumaine, menée par la coalition USL, tente d’asseoir son pouvoir par des mesures très polémiques. L’Union européenne commence à s’émouvoir d’une situation menaçante pour l’Etat de droit en Roumanie.

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Traian Băsescu, le président roumain en sursis

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Menaces sur l’État de droit en Roumanie

Publié le 10 juillet 2012
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Devenue majoritaire au Parlement en avril dernier, puis parvenue au gouvernement après une motion de censure parlementaire perdue par la droite en mai, la gauche roumaine, menée par la coalition USL, tente d’asseoir son pouvoir par des mesures très polémiques. L’Union européenne commence à s’émouvoir d’une situation menaçante pour l’État de droit en Roumanie.

Par Denis Matton et Elisa Matton (*).

Traian Băsescu, le président roumain en sursis

Devenue majoritaire à la chambre des députés et au sénat, en avril dernier, puis parvenue au gouvernement après une motion de censure parlementaire perdue par la droite en mai, la gauche roumaine (menée par la coalition USL) veut profiter de ce nouveau rapport de force pour asseoir davantage son pouvoir et étouffer plusieurs affaires en faisant jouer abusivement certaines dispositions constitutionnelles et en prenant des mesures dérogeant à la constitution. L’Union européenne commence à s’émouvoir d’une situation menaçante pour l’État de droit en Roumanie.

Pour débuter, les parlementaires de gauche ont tout d’abord limogé le 4 juillet dernier les présidents de droite de la chambre des députés et du sénat à la suite d’une procédure contestable sur le plan juridique. Les majorités de gauche des deux chambres ont, en effet, évincé en cours de mandat leurs présidents, or la constitution prévoit que ces deux personnalités sont élues pour la durée des législatures.

À droite, on a dénoncé à juste titre un « coup d’État constitutionnel » dans la mesure où ces limogeages ont été rendus possibles grâce à une limitation des pouvoirs de la Cour constitutionnelle (CC), l’instance chargée du contrôle de constitutionnalité.  Le gouvernement avait en effet décidé peu avant, par « ordonnance d’urgence », que la Cour ne pouvait plus exercer son contrôle sur ce type de mesures prises par le Parlement.

On peut raisonnablement s’interroger sur l’opportunité et la légitimité d’une telle ordonnance d’urgence. En effet, un tel acte de gouvernement ne peut être décidé que dans des « situations extraordinaires » (article 115 alinéa 4 de la constitution). On cherche en vain les circonstances exceptionnelles et le raisonnement juridique justifiant la limitation des compétences de la CC. Qui plus est l’article 115 alinéa 6 de la constitution prévoit que « les ordonnances d’urgence ne peuvent être adoptées dans le champ du droit constitutionnel, elles ne peuvent pas affecter le statut des institutions fondamentales de l’État, les droits, les libertés et les devoirs consacrés dans la Constitution, les droits électoraux… ».

Il est évident que l’ordonnance d’urgence limitant les compétences de la CC touche au droit constitutionnel et contrevient à la constitution roumaine. On notera au passage que le titulaire de la charge d’Avocat du peuple, équivalent roumain du Médiateur français ou de l’ombudsman scandinave, qui a le pouvoir de contester devant la CC les ordonnances d’urgence prises par le gouvernement, avait été destitué le 3 juillet pour être remplacé par un proche de l’USL.

La Présidence de la République, détenue par le leader de centre-droit Traian Basescu, est ensuite passée dans le viseur du gouvernement et du Parlement. Ces derniers ont alors entamé la procédure de suspension du Président de la République prévue par la constitution lorsque le Président « commet des faits graves violant les dispositions de la Constitution ».  Une simple majorité de députés et sénateurs peut décider de la mise en route de la procédure. Or, il se trouve qu’aucun fait anticonstitutionnel n’a été sérieusement imputé à M. Basescu par les médias, la société civile et le peuple, en général.  Il s’agit tout simplement d’un montage juridique fondé sur une interprétation et une utilisation abusive de dispositions constitutionnelles.

Certes, les chambres doivent recueillir l’avis de la CC avant de lancer la procédure de suspension du président, mais cet avis n’est que consultatif et nullement contraignant. Ainsi la CC a rejeté les 7 chefs d’accusation retenus par la coalition USL pour  justifier la suspension du président. Mais sans faire lire l’argumentation de la CC en séance, et donc, sans prendre connaissance des attendus, le Parlement a voté en majorité la suspension du président. Lorsque la suspension est confirmée par les chambres, un référendum est organisé dans les 30 jours afin que le peuple se prononce sur la destitution finale du président. Mais là aussi, la coalition de gauche a tout prévu : elle vient de modifier la loi sur le référendum. Désormais, le président est démis si les votes en faveur de son maintien n’obtiennent pas la majorité des inscrits. Il suffisait auparavant qu’ils obtiennent la majorité des suffrages exprimés. Autant dire que c’est maintenant mission impossible pour Basescu d’éviter sa destitution. Dans ce cas, le président du sénat, désormais de gauche, depuis le 4 juillet, assure la Présidence de la République par interim, pendant 3 mois maximum, période pendant laquelle doit être organisée une nouvelle élection présidentielle.

Au vu du fil des événements, on aperçoit la vraie nature du processus. Il ne s’agit ni plus, ni moins que d’un véritable holdup constitutionnel mûrement prémédité par des politiciens sans scrupules. D’une certaine manière, on peut dire que les ex-communistes de l’USL sont peut-être en train d’inventer une nouvelle dictature : celle du Parlement… lorsqu’ils y sont majoritaires. L’Union européenne a de quoi s’inquiéter et elle a commencé à s’intéresser de près aux appels au secours lancés par les juges de la CC roumaine.

On peut s’interroger sur l’accélération du changement ainsi voulue par la gauche alors que des élections législatives vont se dérouler en novembre et qu’elles devraient lui être favorables comme l’annoncent ses succès remarquables aux dernières municipales de juin. La signification de cette apparente impatience de la gauche doit être recherchée vers les affaires judiciaires en cours qui mettent en difficulté ses dirigeants. L’actuel Premier ministre Victor Ponta a été accusé de plagiat en ce qui concerne la rédaction de sa thèse universitaire et un ancien premier ministre de gauche, Adrian Nastase vient d’être condamné pour corruption. Également, plusieurs ministres fraîchement désignés par V. Ponta n’ont pu prendre leurs fonctions en raison de mensonges liés à l’obtention de leurs diplômes. Ces affaires, et aussi la crainte, sans doute, que d’autres révélations et scandales ne viennent ternir l’image d’une gauche en phase de reconquête, expliquent probablement cette prise d’assaut de la Présidence et cette volonté de maîtriser tous les leviers de pouvoir, notamment ceux de la justice.

Au-delà de l’aspect féroce et quelque peu sordide de cet épisode politique, on doit relever les failles d’une constitution qui permet si facilement la mise en cause de l’exécutif par le législatif et qui n’encadre pas plus strictement la procédure des ordonnances d’urgence. En cherchant à préserver leur pays d’une nouvelle aventure dictatoriale, les constituants roumains s’étaient inspirés de la constitution de la Vème République française. Il faut savoir, hélas, que les institutions françaises sont loin d’être, en théorie, un modèle de préservation et de garantie de l’état de droit comme le faisait remarquer si justement le Président Mitterrand lui-même lorsqu’il critiquait le contenu de l’article 16 de la loi fondamentale française qui semble avoir peu ou prou inspiré le dispositif roumain des ordonnances d’urgence.

(*) Élisa Matton est ancienne conseillère auprès du Ministère des Finances roumain. Denis Matton, philosophe, a été candidat du Parti Libéral Démocrate aux dernières élections législatives françaises de juin 2012 (7ème  circonscription de l’étranger : Allemagne, Europe centrale, Balkans).

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  • La Hongrie a quitté le monde des démocraties l’année dernière, avec à peine quelques soubresauts à l’échelon des institutions européennes qui se sont aplaties.

    La voie est toute pavée pour que la Roumanie en fasse autant. Le scénario de la gauche roumaine ressemble trait pour trait au scénario de la droite hongroise.

    A mon humble avis, Hongrie et Roumanie devraient être fichues hors de l’UE à grand coups de pieds dans le cul, ou mises sévèrement au purgatoire.

    • Tout à fait d’accord avec vous.

      Mais un bémol et de taille:
      – La Hongrie à fait la Une de tous les journaux de France et d’Europe…Car se sont des gens de Droite, donc de « méchants fascistes ».
      – La Roumanie ne fera pas une ligne dans les journaux (je viens d’apprendre ce qui se trame ici) car se sont de « Gentils Socialistes » !!!

  • /sarc
    comment ? « la démocratie parlementaire » ne serait qu’une forme de dictature de la majorité (relative !). On nous aurait donc trompé ?
    mon dieu mon dieu quelle surprise

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