Réforme de la justice en Colombie : nuages sur la liberté

La Colombie est agitée par la contestation d’une réforme que les parlementaires colombiens ont utilisé pour introduire des mesures qui leurs sont très favorables.

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Réforme de la justice en Colombie : nuages sur la liberté

Publié le 29 juin 2012
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La Colombie est agitée par la contestation d’une réforme que les parlementaires colombiens  ont utilisé pour introduire des mesures qui leurs sont très favorables.

Par Carlos A. Olano, depuis Bogota, Colombie.

Blason colombien

La Colombie vit des jours agités depuis quelques jours. Pas seulement à cause des attaques terroristes des FARC ou de l’utilisation d’enfants comme boucliers humains ou comme chair à canon par ce groupe illégal. Pas seulement non plus par les actions criminelles des « bandes criminelles dites BACRIM ». Pas seulement encore par les récents assassinats pour des vols de portables à Bogotá ou encore par le délicat état de santé du vice-président de la République. Le pays est surtout choqué par les récentes actions du Congrès colombien, l’institution censée représenter les intérêts des citoyens de la « démocratie la plus ancienne de l’Amérique Latine ».

Le 19 juin dernier, la Colombie a appris qu’un groupe d’une douzaine de parlementaires s’étaient réunis à huis clos dans un prestigieux club de la capitale colombienne afin de finaliser le texte de la réforme de la justice. Ce texte avait déjà été examiné au cours de huit débats législatifs. On attendait qu’il soit un grand « remaniement » du système de justice du pays qui demeure assez fragile. Cependant, le résultat fut tout autre : les détails du document final, connus peu à peu, ont été tels que l’ancien président Andrés Pastrana l’a qualifié de « Coup d’État à la Constitution ».

À la dernière minute, ont été inclus et supprimés des sujets qui avaient été effacés ou ajoutés pendant le processus de négociation qui avait réuni pendant deux années entières le Parlement, le gouvernement et même, dans une certaine mesure, les représentants du pouvoir judiciaire. Ainsi, ont été supprimés les motifs de perte d’investiture inclus dans la Constitution et des changements ont été établis dans le processus d’enquête et de sanction de parlementaires pour des comportements inappropriés. Dans la pratique, cela signifie que le Conseil d’ État, institution chargée de ces enquêtes, se trouve sans un véritable pouvoir pour punir les parlementaires, ce qui reflète un degré d’impunité jamais vu auparavant en Colombie.

En outre, la Cour Suprême, qui avait auparavant enquêté et condamné un nombre non négligeable de parlementaires dans les affaires de « parapolitique » et « FARCpolitique » (parlementaires accusés de soutenir les paramilitaires, ces groupes armés de l’ultra droite, ou les FARC, ces groupes armés d’extrême gauche), a été écartée pour ces enquêtes, qui, selon le projet de loi des parlementaires, seront conduites par deux nouvelles chambres non encore créées. Cela signifie dans la pratique que les procès en cours, y compris ceux concernant des hauts fonctionnaires de l’ère Uribe, se trouveraient dans l’incertitude juridique et que les accusés pourraient s’en sortir sans aucune punition. Autrement dit, l’impunité.

Ce ne sont que deux des mesures discutables incluses dans cette réforme de la justice, ou plutôt cette « déformation » de la justice comme le disent les colombiens sur les réseaux sociaux comme Twitter (Note de traduction: reforma a la justicia et deforma a la justicia en espagnol). Elle n’apporte des bénéfices qu’aux hauts fonctionnaires et élus, laissant un système judiciaire encore plus fragile que le système actuellement en place. Un système judiciaire qui punit avec tout le poids de la loi le citoyen ordinaire, qui permet aux violeurs de sortir de prison en ayant purgé des peines ridicules mais qui protège au contraire les hommes politiques corrompus liés aux groupes illégaux.

La Colombie est en ébullition devant cette réforme. Les citoyens ont exprimé leur rejet du texte, non seulement à travers des milliers de tweets faisant appel à un référendum pour éviter que ce changement de la Constitution n’entre en vigueur, mais aussi par la collecte active de signatures afin de déclencher un référendum pour la révocation du Congrès. Les colombiens montrent leur refus dans les rues et par des hashtags tels que #SeMueveLaContraReforma et #SeMueveElReferendo sur Twitter.

Cette révolte populaire a été soutenue par des universitaires et des experts qui débattent aujourd’hui de la constitutionnalité du texte rédigé par les douze parlementaires. Cette pression populaire et des élites a abouti à ce que le président colombien, Juan Manuel Santos, exprime son opposition au texte. Il a demandé une session extraordinaire du Congrès pour y présenter  son objection formelle à la réforme de la justice ; politiquement, le gouvernement a accepté sa responsabilité dans les faits (pour ne pas s’être opposé avec plus de force et avoir permis des changements profonds au texte original) avec la démission du Ministre de la Justice. Le pays est agité aujourd’hui par de forts débats juridiques entre la constitutionnalité et l’inconstitutionnalité de la réforme, ou sur les véritables responsables et sur le futur de la justice en Colombie.

Mais c’est peut être la légitimation de la violence qui gagne dans cette situation. La corruption, les intérêts personnels des politiciens et la conduite de l’appareil d’État au bénéfice d’un nombre très limité de personnes sont des actions qui nourrissent le discours des groupes terroristes qui cherchent à priver la population de l’état de droit. Ce sont ces groupes violents qui en profitent car ils utilisent comme excuse le manque d’intérêt des politiciens à résoudre les grands problèmes sociaux qui affectent le pays, ces grands problèmes qui sont les véritables responsables de la situation d’inégalité et de violence dans lequel se trouve le pays depuis plus de cinquante ans. Dans les discours de ces extrémistes, l’inégalité et le manque de présence étatique sont la raison pour la « révolution » et la prise d’armes, en particulier dans les zones rurales, où la population ne se sent pas représentée par ses parlementaires, qui ne sont visibles que pendant les campagnes électorales, font des promesses jamais tenues et utilisent le pouvoir législatif dans leur propre intérêt.

Il faut espérer désormais que les citoyens prennent le pouvoir entre leurs mains et imposent le respect de leurs droits. Aujourd’hui, tous les Colombiens sont responsables de l’émergence d’un pays meilleur, et la solution est entre leurs mains : punir les politiciens dans les urnes, se rassembler en tant que nation et éviter que les « hauts dignitaires de l’État » continuent à légitimer la violence.

Addendum : depuis la rédaction de cet article, la situation a continué à évoluer et la réforme semble vouée à être retirée.

Carlos A. Olano est diplômé en affaires publiques et relations internationales, master en sécurité et défense nationale.

Traduction Federico Rocha / Contrepoints

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