Les « Eurobonds », véritable erreur ou choix stratégique ?

Pourquoi une telle différence d’appréciation sur le sujet des eurobonds entre Hollande et Merkel ? Qu’a donc François Hollande derrière la tête pour insister de cette manière ?

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Les « Eurobonds », véritable erreur ou choix stratégique ?

Publié le 31 mai 2012
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Le couple franco-allemand fait désormais chambre à part : pour François Hollande, il n’y a point de salut hors eurobonds, tandis que Angela Merkel refuse toute nouvelle fuite en avant vers toujours plus de dette. Pourquoi une telle différence d’appréciation sur le sujet des eurobonds ? Qu’a donc François Hollande derrière la tête pour insister de cette manière ?

Par Thibault Doidy de Kerguelen.

Notre nouveau Président l’affirme : « Hors eurobonds, point de salut. » Sa position est-elle le résultat de sa méconnaissance de l’économie et de ses rouages ou un choix délibéré ? En tous cas, pour l’instant, le seul résultat concret, c’est la cassure à laquelle nous espérions ne pas assister un jour : le couple franco-allemand fait désormais chambre à part. « Nein », il n’y aura pas d’eurobonds. La première rencontre entre les deux chefs des deux plus grands pays d’Europe fut très explicite, Dame Merkel ne veut plus de fuite en avant vers toujours plus de dette. François Hollande n’en démord pas, endetter le niveau fédéral peut permettre de gagner du temps, espérant que surgisse, telle un deus ex machina, la relance tant attendue.

Mais pourquoi un tel clivage ? Pourquoi une telle différence d’appréciation sur le sujet des eurobonds ?

Si, dans un autre article, nous avons déjà eu, il y a quelques mois [1], l’occasion d’analyser l’aberration des eurobonds sur un plan technique, je vous propose de nous concentrer aujourd’hui sur leur aspect politico-économique. Le terme eurobonds peut recouvrir deux réalités.

Une mutualisation de la dette nationale, ce qui revient à dire que les pays riches, ceux qui sont les plus vertueux, assumeront le risque de la dette émise pour aider les pays les moins vertueux qui auront besoin d’emprunter pour finir leurs fins de mois. Les journalistes vous disent qu’alors, les pays les plus en danger pourront se présenter sur le marché et bénéficier des taux accordés aux pays les mieux cotés. Mais qui remboursera ? Si les Français, à une époque ont relativement peu apprécié de « travailler pour le Roi de Prusse », je peux vous garantir que les Prussiens n’accepteront jamais de travailler pour les Grecs ou les Espagnols, qui, tout heureux de retrouver du crédit à un prix abordable s’empresseront d’en abuser. À chacun sa dette.

L’autre interprétation, celle qu’en fait François Hollande, consiste à créer de nouvelles obligations ne se substituant pas à celles existantes mais au contraire s’ajoutant, créant ainsi une « dette fédérale » qui pourrait venir soulager les instances européennes et leur permettre d’avoir une réelle politique interventionniste. Tout d’abord, simple réflexion de bon sens, il ne s’agit là que d’ajouter de la dette à la dette et il faudra bien LES rembourser un jour. N’oublions pas que dans cette perspective, les États restent détenteurs de leur dette, que les collectivités locales restent détentrices de leur dette, que les institutions publiques (retraites, sécurités sociales etc.) restent détentrices de leur dette et que nous ajoutons une nouvelle couche de dettes au mille feuilles. C’est tout sauf sain. Ça sent la politique à court terme (« après moi le déluge »).

Qu’est-ce qui fait la capacité à rembourser une dette publique ? La capacité pour une institution à lever un impôt suffisant pour assurer les charges de fonctionnement plus les annuités d’emprunts en cours. Cette capacité à lever l’impôt [2] est directement dépendante de la plus value réalisée par l’activité économique de l’ensemble du pays. Nous appelons cette activité « PIB ». Or, ce que nos politiques semblent ne pas avoir remarqué, c’est qu’il n’y a qu’un PIB. Quand on évalue l’endettement d’une commune par rapport à son PIB, c’est logique, mais lorsque l’on évalue celui de la communauté de communes par rapport au PIB de la communauté, il faut penser que celui-ci a déjà servi à rembourser la première tranche du mille feuilles, de même le PIB de la Région n’est que l’addition des PIB des communautés de communes, que le PIB de l’État n’est que l’addition de ceux des régions et que le PIB européen… l’addition des PIB nationaux. Lorsque des journalistes ou des politiques vous disent que l’Europe n’est pas endettée alors qu’elle est la première économie du monde, ils vous mentent.

Certes, l’Europe est la première économie du monde, mais son PIB finance déjà difficilement l’endettement des couches inférieures du gâteau, il n’est pas besoin d’être docteur en sciences éco pour comprendre que tirer dessus les ressources nécessaires au remboursement d’une couche supplémentaire de dette est peu compatible avec l’objectif de relance. Qui a déjà vu un cheval courir plus vite parce qu’on alourdissait sa charge ? Cela n’aurait pour conséquence que d’aggraver l’explosion lorsqu’elle se produira, même si on peut espérer, avec cette couche supplémentaire de dettes, retarder le moment fatal.

En tout état de cause, les « eurobonds » sont de la dette. Or, ce que notre Président ne semble pas avoir compris, c’est que la dette ne réduit pas les déficits publics, la dette ne rend pas les entreprises plus performantes, la dette ne rassure pas, la dette n’enrichit pas, bref, la dette, qu’elle soit fédérale ou nationale ou communale ne crée pas de croissance. Cela, Angela Merkel l’a très bien compris. C’est pour cela que la rupture semble affirmée.

Mais, allez vous me dire, si les positions sont aussi tranchées, que risque-t-il de se passer maintenant ?

Quelques journalistes et politiques « politiquement corrects », de moins en moins nombreux, continuent de réciter leur mantra « Europe fédérale, Europe fédérale, Europe fédérale ». Ceux-là, qu’ils soient de gauche ou de droite soutiennent Hollande car, se disent-ils, la création d’une dette fédérale va de paire avec une organisation politique fédérale. Le problème, me semble-t-il, c’est qu’une organisation fédérale, cela veut dire que la « règle d’or » s’impose, que le budget de chaque État européen devra répondre à des normes fédérales et recevoir une approbation fédérale, que la Sécurité sociale devient fédérale, et il y a peu de chances qu’elle s’aligne sur les prestations françaises, que les régimes de retraites s’uniformiseront, et certainement pas à 60 ans, que la législation du travail s’uniformisera, et certainement pas sur 35h, que l’armée deviendra fédérale, et qu’il ne sera plus possible de décider unilatéralement de retirer ses soldats d’un champ de bataille, que la représentation populaire changera, qu’il ne sera plus question d’avoir quatre fois plus d’élus que les USA avec quatre fois moins de population, que les régimes fiscaux s’uniformiseront, au détriment des pays les moins fiscalisés… Tout cela sans être même sûrs que la croissance soit au rendez-vous. Je ne vois sincèrement pas un peuple d’Europe prêt à accepter cela aujourd’hui.

Alors, si le mythe des « Eurobonds » ne nous conduit pas vers l’Europe fédérale, où nous emmène t-il ? Qu’a donc François Hollande derrière la tête lorsqu’il insiste de cette manière, sachant pertinemment que son interlocutrice ne cédera pas ?

En fait, tout laisse à penser que, d’ici la fin de l’année, actant de la volonté de la Grèce ou de quelque autre partenaire de quitter la zone euro, ou d’un « grand pays » de ne pas voter la « règle d’or », Angela Merkel et, derrière elle toute l’Allemagne, ne décide de s’écarter de l’actuelle organisation de la monnaie unique et de se recentrer sur une zone « Euro Nord » (pour ne surtout pas utiliser le terme d’ « Euro Mark ») réunissant les actuels pays « vertueux », ceux qui ont assaini leurs finances ou sont en passe de le faire (Allemagne, Hollande, Finlande, Luxembourg, Autriche) auxquels quelques autres pays du Nord (Norvège, Danemark, Suède) pourraient s’associer à court terme, rejoints par quelques-uns d’Europe centrale, tels que la Slovénie, la République Tchèque, la Lettonie, la Lituanie. Les pangermanistes du XIXième siècle en ont rêvé, Mitterrand passait pour un vieux ringard de le craindre, Merkel est en passe de réussir la grôsse Europe autour de Berlin.

Dès lors, en défendant son projet envers et contre tous, François Hollande, comme nous le craignions et comme nous l’annoncions pendant la campagne électorale, provoque la cassure de l’axe Berlin-Paris et choisit son camp, celui des pauvres. Il ne restera dans cette Europe dite « du Sud », que les pays les plus endettés, les plus en difficultés. La France jouera alors le rôle pilote de leader sur cette zone « Euro Sud » à laquelle, n’en doutons pas, nos socialistes (souvenez vous de Martine Aubry le soir du 6 mai place de la Bastille, « je pense au Maghreb, je pense à l’Afrique… »),  relançant le projet sarkoziste que Merkel avait réussi à faire échouer d’Union de la Méditerranée, ajouteront l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, la Turquie. Tout cela vous sera présenté comme faisant de la France la « puissance leader » du bassin méditerranéen. Nous ne serons tout juste que « borgnes au Royaume des aveugles », rien de plus. Souhaitons qu’alors ce fameux projet d’Eurobonds soit abandonné car sans l’Allemagne, ce sont les seules frêles épaules de la France qui supporteront la dette ainsi contractée…

Ainsi donc la position de François Hollande n’est-elle peut-être pas uniquement due à sa méconnaissance de l’économie et de ses rouages. Elle peut être aussi l’élément tactique d’une décision hautement stratégique : préférer jouer les premiers rôles en deuxième division que le milieu de tableau en première…  Et dire qu’il y a un siècle, la France était la première puissance mondiale… Sic transit gloria mundi.

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  • L’Europe des Etats-Nations (avec un fédéralisme limité, plus limité que celui actuel) a donné de multiples succès : Arianespace, EADS.

    L’Europe à vocation fédérale nous a entrainé dans le marasme actuel, et nous promet pire. Faute de peuple européen (car il n’existe pas d’adhésion affective à l’Europe, un des signes de l’absence de peuple européen, et de ce fait, personne n’est prêt à mourir pour l’Europe, et encore moins pour Bruxelles), chacun croit que le problème n’est pas chez soi, mais vient de l’autre ; problèmes vis-à-vis desquels on se réconcilie sur le dos de l’Europe (genre, on verra plus tard), et sans voir que les engagements pris en son nom, ou les aveuglements qu’elle a justifié, finissent par retomber sur les européens, bien réels, eux.

    L’Europe fédérale, c’est, en pratique, l’absence de responsabilité. De ce point de vue, l’euro a été la cerise sur le gâteau : l’argent (semble-t-il) facile associé aux débuts de la zone euro a fait tourner bien des têtes avec les conséquences que l’on sait. Vivement que l’euro se casse la figure et que l’on retourne à une situation où les dirigeants d’un pays étaient plus tenus pour responsables, sans pouvoir se défausser sur l’Europe, et sa banque centrale.

    Milton Friedman: « Non seulement l’euro ne marchera pas, mais en plus, la monnaie unique serait « l’ennemi de la démocratie » » ; on y est, non ?

  • Très bon article même si vous êtes optimistes sur l’ancienne puissance de la France, la dernière fois que nous avons été la 1ère puissance mondiale c’était sous Louis XVI, avant la révolution 🙂

    Il pourrait aussi y avoir un scénario d’Europe fédérale, mais non pas démocratique mais politique avec une commission responsable politiquement devant le Parlement Européen. Les euro bonds seraient alors une fin (à l’image de la conception de Merkel). Cela étant dit je crains que mise à part quelques exceptions nos euro députés n’aient pas assez de courage politique pour aller jusque là.

  • Choisir entre l’approche comptable et l’approche domptable de l’économie!

  • Et c’était quoi la les subprime?
    sinon adosser un nouvel emprunt sur un ancien emprunt défaillant.
    Ce qui résulte irréfragablement de tous les faits recueillis (…) c’est que le paupérisme est constitutionnel et chronique dans les sociétés, tant que subsiste l’antagonisme du travail et du capital (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 129).
    Merci la loi du 3 juillet 1973 (loi Giscar Pompidou)
    Pas de solution socialiste possible à un problème intrinsèquement capitaliste.

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