Jouons avec les chiffres de Krugman

En se basant sur les propres données de Paul Krugman, nous pouvons constater que l’approche autrichienne d’économie est bien plus pertinente pour expliquer la crise que la théorie keynésienne

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Krugman Contradiction

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Jouons avec les chiffres de Krugman

Publié le 27 mai 2012
- A +

En se basant sur les propres données que Paul Krugman déploie pour étayer ses thèses, nous pouvons constater que l’approche autrichienne d’économie est bien plus pertinente pour expliquer la crise que la théorie keynésienne.

Par Robert P. Murphy, depuis les États-Unis.

Cela fait quelques billets de blog que Paul Krugman utilise des graphiques et des tableaux pour (prétendument) prouver la supériorité de ses idées sur celles de l’École autrichienne. Pourtant, comme je vais le montrer dans cet article, je peux utiliser ses propres sources pour démontrer l’exact opposé.

Krugman sur la Fed et les paniques bancaires

Peut-être stimulé par son débat avec Ron Paul sur Bloomberg, Krugman a publié ceci au sujet des paniques financières et de la banque centrale américaine :

Il y a une croyance très répandue à droite comme quoi les crises bancaires ne se produisent que parce que soit la Fed soit Barney Frank [1] les ont causé ; revenons à l’étalon-or et il n’y aura plus besoin de régulation financière ou quoi que ce soit qui s’en rapproche.

Cela n’a bien évidemment aucun sens ; Walter Bagehot savait déjà tout des crises financières, qui constituent un phénomène récurrent depuis au moins le début du 19e siècle. Juste pour cerner le problème, j’ai pensé que le tableau de Gary Gorton (pdf) sur les « paniques » avant la création de la Fed méritait d’être publié :


« Les paniques se produisent ; la question est de savoir comment les contenir. »
(Commentaire ajouté par Krugman)

Je pense que même si Krugman n’évoque pas explicitement Ron Paul ou les économistes de l’École autrichienne, il les a en tête à ce moment-là. Après tout, avant que les autrichiens n’accroissent leur popularité, presque personne ne parlait de l’étalon-or et ils étaient les seuls à souhaiter la suppression de la banque centrale. Ce furent les autrichiens et plus notablement Ron Paul, qui remirent ces idées sur le devant de la scène à tel point que Paul Krugman ressente le besoin d’intervenir sur le sujet.

Dans ce contexte, Krugman est juste en plein fantasme lorsqu’il affirme que ces gens pensent que les paniques bancaires n’existaient pas avant la Fed. Étant donné que le sujet de thèse de doctorat de Murray Rothbard était La Panique de 1819, et que Rothbard a également écrit sur l’histoire de la Fed, je suis à peu près sûr que le tableau que donne Krugman ne l’aurait pas choqué.

Mais au-delà de la pauvreté de ses ruses de débat – qui consistent à attribuer à ses opposants une opinion qui semble à l’évidence ridicule – Krugman ouvre la porte à sa propre chute dans sa phrase finale, après le tableau, quand il écrit « Les paniques se produisent ; la question est de savoir comment les contenir. »

Bien heureusement, Krugman fournit lui-même la réponse dans un second billet publié le même jour.

Dans celui-ci, il écrit :

Suite de ce post. Nous avons vécu des paniques bancaires fréquentes avant qu’il n’y ait la Fed ; à quel point étaient-elles graves ?

Il existe une ancienne publication de Christy Romer sur les longues instabilités dans laquelle elle crée un indicateur : la perte mensuelle de production industrielle en points de pourcentage jusqu’au retour au pic précédant la panique :

On voit bien que certaines de ces paniques qui se sont produites avant la création de la Fed [2] ont été plus graves que les grandes récessions de 1974 et 1981, même si on est loin de ce qui s’est passé durant la Grande Dépression.

Selon mes estimations à partir des données de la production industrielle, cet indicateur est actuellement à 455 ; il va encore augmenter un peu mais pas tant que ça si la reprise se poursuit.

Donc nous sommes dans une situation plus grave que, disons, après la Panique de 1907 – mais pas tant que ça.

Que dites-vous de ça ?

De l’aveu même de Krugman, les deux pires paniques [3] se sont produites après la création de la Fed. Et si nous prenons les chiffres de Romer dans le tableau ci-dessus et y ajoutons une chute de 455 pour la récession récente (dont Krugman lui-même nous dit qu’elle sera en réalité encore pire), nous obtenons que la perte moyenne de production (mesurée dans les unités de Romer définies dans le tableau) a été de 158,1 durant les récessions de la période d’avant-Fed contre 356,4 durant la période d’après-Fed.

Voyez-vous ce que cela signifie ?

Krugman lui-même nous dit que les paniques se produisent toujours et que la question est de savoir comment les contenir. Or quand on étudie les données citées par Krugman lui-même, on trouve que l’établissement de la Fed a généré (a) les deux pires paniques de l’histoire des États-Unis et (b) une série de paniques qui ont été en moyenne plus de deux fois plus graves que la moyenne des paniques d’avant la Fed.

Steve Horovitz a très bien expliqué en quoi la compréhension de Krugman de l’histoire bancaire des États-Unis était erronée, du fait que nous n’avions déjà pas un système bancaire de laissez-faire à la fin du XIXe siècle. Mais nous n’avons même pas besoin de nous appuyer sur de telles explications dans notre cas. Souvenons-nous que ces données ne nous ont pas été avouées par Krugman à l’issue d’une séance de torture. Il nous les a apportées volontairement comme si elles étaient censées embarrasser d’une quelconque façon les critiques de la Fed. À quoi auraient dû ressembler les chiffres pour que Krugman admette : « Hmm, il semble que pour une fois, la réalité empirique se retourne contre mes solutions keynésiennes ? » Les paniques d’après la création de la Fed auraient-elles dû être trois fois pires ?

Encore un commentaire avant de changer de sujet, parce que je souhaiterais m’assurer que tout le monde comprenne à quel point Krugman est un illusionniste rhétorique. Après avoir estimé la valeur actuelle de l’indicateur (en utilisant la définition de Romer de la perte de production) à 455, il écrit : « Donc nous sommes dans une situation plus grave que, disons, après la Panique de 1907 – mais pas tant que ça. »

Ce mot, disons, dans la citation laisse entendre que Krugman a tiré une fléchette dans la colonne de gauche du tableau de Romer, et qu’il a choisi cette panique au hasard. Mais non, en réalité, la panique de 1907 est dans la liste la pire de l’ère d’avant la Fed. Une telle constatation aurait dû pousser Krugman à écrire plutôt : « Donc la deuxième pire récession sous l’ère de la Fed – que nous traversons actuellement et durant laquelle celui dont j’ai dit qu’il n’y avait pas meilleur chef pour la Fed a été à la barre la plupart du temps – est déjà pire que le pire épisode d’avant la Fed. Mais bon, tant que la reprise continue – et j’avertis suffisamment souvent que nous sommes proches du désastre si les Républicains reviennent – ce ne sera pas si grave que ça. Ce n’est pas comme si ça allait aussi mal que durant la Grande Dépression, qui s’est produite 20 ans après que la Fed ait été créée pour éviter des paniques comme celle de 1907. »

La signature structurelle

Un peu plus tôt dans le mois, Krugman était revenu sur son thème familier qui consiste à dire que les chiffres de l’emploi suivent davantage les explications de la récession fondées sur la demande globale :

Comment produire des explications sur les événements qui se produisent dans l’économie ? On peut partir de ses préjugés bien sûr… Mais ce que j’essaie en général de faire est de me demander si les faits disponibles s’accordent avec la « signature » que l’événement semble indiquer – à savoir, observons-nous l’empreinte générale que la situation semble nous suggérer ?

Maintenant, considérons l’hypothèse que nos problèmes soient principalement structurels. En général ce qu’on nous explique est que nous avons trop de travailleurs dans les mauvaises industries, que nous devons nous attendre à une baisse du niveau général de l’emploi le temps que les travailleurs soient évacués de ces secteurs pris « dans une bulle »[4]. Très bien, donc quelles devraient être les signatures de ce scénario ? Certainement que les pertes d’emplois devraient être concentrées dans lesdits secteurs hypertrophiés, que l’emploi devrait en tout cas augmenter ailleurs – et que les salaires devraient augmenter dans les secteurs qui ne sont pas hypertrophiés plus rapidement que dans ceux qui le sont.

Donc regardons rapidement les statistiques fournies par le BLS sur l’emploi et les salaires.

Voici ce qu’on obtient d’abord :

Il me semble qu’il y a des pertes d’emplois partout, non ?

Et sur les salaires :

Qui fait la meilleure offre sur les travailleurs ?

On peut toujours essayer d’affiner la chose en désagrégeant les données, mais à première vue, la signature d’un problème structurel n’est tout bonnement pas là.

Avant de nous plonger dans le fond du problème, laissez-moi noter que – une fois encore – Krugman fait de la prestidigitation. Demandez-vous : pourquoi utilise-t-il les variations absolues dans le premier graphique, alors qu’il utilise (presque correctement) les variations en pourcentage dans le second graphique ?

Je suspecte que la réponse soit que les variations en pourcentage pour le premier graphe ressemblent à ceci :

Maintenant une autre correction. Même s’il est vrai qu’Arnold Kling (et peut-être d’autres) a appuyé son scénario de la réorganisation comme s’il continuait d’être l’explication dominante de toute la récession, la position standard de l’École autrichienne est que le repli initial était indispensable en raison des déséquilibres structurels des années de boom. Mais à ma connaissance, aucun autrichien n’a ensuite affirmé que les séries d’assouplissement quantitatif, le Plan Paulson ou le plan de relance d’Obama, auraient un effet disproportionné sur la construction.

Si tel avait été le cas, ces programmes auraient ralenti le recul de l’immobilier et de la construction plus généralement, et le point de vue autrichien était que ça n’aidait pas l’économie d’empêcher la reprise nécessaire. En d’autres termes, la position standard des autrichiens était que les différentes interventions (qui ont toutes été soutenues par Krugman, à quelques réserves sur leur conception ou leur mise en place près) appauvriraient collectivement les Américains, et nuiraient à l’économie en général. Il n’y avait aucune raison de s’attendre à ce que, par exemple, le plan de relance d’Obama mène à un recul plus important dans la construction que dans les services au quatrième trimestre de 2009.

De fait, pour obtenir un meilleur test de la présence de la « signature structurelle » dans la récession avant que les mesures que Krugman a défendues (et qu’il considérait comme insuffisantes) n’entrent en vigueur, nous pouvons nous pencher sur le chômage dans les trois secteurs que Krugman a choisis pour son test.

La seule différence (au-delà de celle évidente qui consiste à utiliser les pourcentages plutôt que les pertes absolues d’emplois) est que je vais changer la période de temps de 2006 à 2008. Le lien vers le BLS de Krugman ne donne que des données annuelles, donc ce sont les meilleures dates de début et de fin possibles pour isoler l’éclatement de la bulle immobilière et le début officiel de la récession (en décembre 2007) tout en étant avant que le gros de la médecine keynésienne ne soit administrée (dont le démarrage se situe à la fin 2008 avec plus particulièrement une entée en vigueur au début de 2009).

Voilà à quoi ressemble alors le nouveau graphique :

Voilà qui me parait ressembler à un rééquilibrage sectoriel.

Conclusion

Ce n’est pas la première fois que Krugman utilise des données de façon erronée pour mettre en cause les positions Autrichiennes. Dans ma réponse au premier (et dernier ?) billet de blog où Krugman m’a mentionné spécifiquement, j’écrivais :

Je peux citer au moins deux épisodes où le scénario du « réajustement sectoriel » des Autrichiens a clairement plus de pouvoir d’explication que celui de « l’insuffisance de la demande » de Krugman. En particulier, fin 2008, Krugman affirmait que l’éclatement de la bulle immobilière n’avait que très peu de rapport avec la récession car les derniers chiffres du BLS montraient qu’à l’échelle des États, le chômage était faiblement corrélé au déclin des prix de l’immobilier.

Cependant, j’avais fait observer que regarder les variations du chômage d’un an à l’autre à la fin 2008 pouvait difficilement être le bon test. En revanche si on regardait les variations à partir du moment où la bulle a explosé, on trouvait que cinq des six États ayant les plus fortes chutes de l’immobilier étaient aussi sur la liste des six États ayant les plus fortes augmentations du chômage.

Une autre fois, Krugman pensa encore avoir porté au scénario du réajustement un coup décisif lorsqu’il fit remarquer que l’industrie manufacturière avait perdu plus d’emplois que la construction. Je lui fis remarquer que ça n’était pas un test valide étant donné que l’industrie manufacturière comptait au départ plus de travailleurs. Lorsque nous regardons les baisses en pourcentage, la construction a en fait reculé plus fortement que l’industrie manufacturière. De plus – et exactement comme prévu par la théorie Autrichienne – la baisse des emplois dans l’industrie des biens durables a été plus grave que dans celle des biens non durables, tandis que le déclin dans le secteur du détail a été moins fort que dans les trois autres.

Ce sont des épisodes très importants. Lorsque Krugman a cru que les chiffres étaient de son côté, il était content de mettre en difficulté le scénario du réajustement sectoriel ; il pensait que son propre modèle était parfaitement capable d’expliquer la situation à condition de démontrer que la chute de l’immobilier n’avait véritablement rien à voir avec les bouleversements sur le marché du travail. Et, comme Krugman l’expliquait lui-même, à condition d’utiliser des tests valides, les résultats auraient mis en difficulté le scénario autrichien…

Et sachant que c’est Krugman qui avait fixé ces deux défis, il est notable de voir que la théorie autrichienne s’en sort avec brio.

À la lumière de ses récents billets sur les paniques bancaires et les signatures structurelles, je pense que nous pouvons amender ma déclaration de l’époque et considérer que Krugman a maintenant effectué quatre tests empiriques, et en se basant sur ses propres données, nous pouvons constater que l’approche autrichienne fait bien mieux que la keynésienne.

—-
Article titré « Charting Fun with Krugman », publié le 23 mai 2012 sur le site du Mises Institute.
Traduction : Geoffrey B. pour Contrepoints.

—-
Notes :

[1] NdT : Barney Frank est un Représentant démocrate du Massachusetts qui s’était illustré au début des années 2000 pour son soutien aux agences Fanny Mae et Freddie Mac et aux programmes publics de subvention de l’immobilier.
[2] NdT : La Réserve Fédérale américaine a été créée en 1913.
[3] NdT : Comme on peut le voir sur le tableau, il s’agit de 1920 et 1929.
[4] NdT : Krugman fait allusion notamment au secteur de la construction immobilière qui a traversé une bulle de crédit au début des années 2000.

—-
À lire sur Contrepoints, d’autres articles consacrés aux divagations de Paul Krugman :

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.

 

Pays dynamique

Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engran... Poursuivre la lecture

Charles-Henri Colombier est directeur de la conjoncture du centre de Recherche pour l’Expansion de l’Économie et le Développement des Entreprises (Rexecode). Notre entretien balaye les grandes actualités macro-économiques de la rentrée 2024 : rivalités économiques entre la Chine et les États-Unis, impact réel des sanctions russes, signification de la chute du PMI manufacturier en France, divergences des politiques de la FED et de la BCE...

 

Écarts économiques Chine/États-Unis

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints... Poursuivre la lecture

La rupture conventionnelle est un dispositif de rupture du contrat de travail d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. Contrairement à la démission, elle permet au salarié de bénéficier des allocations chômage.

Voici 5 raisons de conserver tel quel ce dispositif.

 

Sa remise en cause serait un acte de défiance envers le dialogue social

La rupture conventionnelle est issue de la négociation entre partenaires sociaux : sa création a été prévue par l’accord national interprofessionnel de 2008 (signé par l’e... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles