Manifestations étudiantes au Québec, décryptage pour les Français

Vu depuis la France, dur de comprendre ce qui se passe dans les universités québécoises en ce moment. Contrepoints vous propose un décryptage depuis l’autre côté de l’atlantique, pour vous permettre de comprendre les tenants et aboutissants de la situation.

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Manifestations étudiantes au Québec, décryptage pour les Français

Publié le 25 mai 2012
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Vu depuis la France, dur de comprendre ce qui se passe dans les universités québécoises en ce moment. Contrepoints vous propose un décryptage depuis l’autre côté de l’Atlantique, pour vous permettre de comprendre les tenants et aboutissants de la situation.

Par Pierre Lemieux, depuis les États-Unis.

"Grève" à l'université McGill (CC, Gerry Lauzon)

Depuis quelques mois, des étudiants des universités et collèges québécois font la grève pour s’opposer à une légère augmentation, étalée dans le temps, des frais de scolarité des universités. Passons rapidement sur l’incongruité du terme « grève » pour décrire l’action d’individus qui, dans le but d’être subventionnés encore davantage, refusent de recevoir un service qui leur est rendu presque gratuitement. Au Québec, l’accès aux collèges (qui correspondent à peu près au lycée) est essentiellement gratuit dans le cas des collèges publics, et fortement subventionné pour les collèges privés. Les droits de scolarité demandés par les universités sont fixés par le gouvernement, y compris pour les universités dites privées, et ne couvrent pas le cinquième de leurs coûts de fonctionnement, le reste étant bien sûr payé par l’État, c’est-à-dire par les contribuables. De plus, des bourses d’État sont disponibles. Non seulement les étudiants contestataires refusent-ils d’assister à leurs cours, mais ils ont forcé plusieurs institutions d’enseignement à fermer, privant leurs confrères de leurs cours et mettant l’année scolaire en péril. Ils ont également organisé de nombreuses manifestations publiques qui ont bloqué la circulation et provoqué violence et vandalisme.

La première chose qui frappe est la naïveté des élèves et étudiants contestataires. Produits d’un système d’éducation déficient, d’un État Providence mur-à-mur et d’une démission parentale nouvel-âge, ces enfants-rois, à l’aube de l’âge adulte, souhaitent que les contribuables soient mis aux travaux forcés pour eux. Et ils sont prêts à tout casser pour avoir raison. Ils font penser au petit Abdallah dans Au pays de l’or noir, na ! On rétorquera peut-être qu’ils se rendent compte qu’il y a quelque chose de corrompu dans l’État du Québec. Certes, mais leur naïveté est puérile quand ils brandissent le drapeau rouge, symbole des pires tyrannies et de dizaines de millions de morts au 20e siècle. On dira qu’il faut que jeunesse se passe. Soit, mais elle doit quand même passer avec un minimum de dégâts pour autrui.

Le gouvernement du Québec aurait dû faire deux choses. Premièrement, il aurait dû assurer la poursuite des cours dans ses propres universités et collèges, prêter le concours de la force publique aux institutions privées qui souhaitaient faire de même, et contrôler la violence dans les manifestations publiques. Comme tout État contemporain, celui du Québec disposait déjà, avec sa police nombreuse et suréquipée ainsi que son implacable système judiciaire, de pouvoirs plus que suffisants. En vérité ses pouvoirs étaient déjà extraordinaires et liberticides. Deuxièmement, et en appui à ces mesures défensives, il aurait dû retirer leurs bourses aux étudiants contestataires, annuler leur année scolaire, et cesser de payer les enseignants qui torpillaient ouvertement leurs institutions. Vous n’êtes pas contents de ce que les contribuables vous donnent à la pointe du fusil ? Eh bien, ils ne vous en donneront plus !

Il est possible que, à cause de lois existantes qui ne sont en fait que des lois d’exception, c’est-à-dire des diktats qui privilégient les étudiants au détriment du reste de la population, le deuxième train de mesures aurait été légalement irréalisable. Par exemple, les enseignements sont syndiqués et protégés jusqu’à l’hypothalamus (voire plus haut) et il est probablement impossible de les sanctionner. S’il le fallait, une loi aurait pu corriger ce droit d’exception et réaffirmer la règle de droit.

On pourrait arguer que le gouvernement a presqu’essayé la première voie de solution. Des manifestations violentes ont été réprimées, mais non sans la bien-pensance et les bavures habituelles de la police, qui n’a pas encore appris, semble-t-il, qu’elle est censée protéger la liberté individuelle, pas l’État. Quant à la seconde voie de solution, le gouvernement n’a même pas fait mine d’y songer.

Le gouvernement a fait  deux choses. D’une part, il s’est acharné à « négocier » – l’argent des contribuables – avec les leaders des associations d’étudiants, lesquels ne sont représentatifs que d’une minorité d’activistes, accréditant ainsi la légitimité d’une grève des subventionnés. D’autre part, il a adopté une loi d’exception liberticide. Toute loi d’exception est, en elle-même, liberticide dans la mesure où elle contredit l’idéal de la suprématie du droit, fondée sur des règles générales, abstraites et visant des individus indéterminés dans un nombre illimité de cas futurs. Les théoriciens du droit libéral comme Friedrich Hayek ou Georges Ripert ont défendu cette idée essentielle. À empiler les lois d’exception les unes sur les autres, la loi devient impossible à connaître. Le droit d’exception est le pain et le beurre de l’État contemporain, qui discrimine sans arrêt en faveur de certains au détriment d’autres individus, et il faut reconnaître que le gouvernement du Québec n’est pas le seul à avoir péché au cours des dernières décennies. Reste que la loi d’exception adoptée à marche forcée le 18 mai impose des limites permanentes à la liberté de manifester en plus de modifier le droit civil pour faire porter une responsabilité extraordinaire aux organisateurs des manifestations étudiantes.

La réaction des élites québécoises aux événements des derniers mois et à la loi d’exception est révélatrice. L’intelligentsia de gauche a appuyé les étudiants contestataires avec des arguments à faire pleurer un crocodile, et s’oppose à la loi d’exception seulement parce que ce sont les leurs qui sont victimes de l’exception. Des porte-parole de droite et du centre, de leur côté, se sont bruyamment réjouis de la loi d’exception, sans comprendre qu’elle accordait des pouvoirs accrus à un État qui en avait déjà trop. Ils ont ainsi donné raison à Alexis de Tocqueville : « Le goût de la tranquillité publique devient alors une passion aveugle, et les citoyens sont sujets à s’éprendre d’un amour très désordonné pour l’ordre. »

Les bonnes âmes diront que la loi d’exception est somme toute modérée, oubliant que quand on donne à Léviathan un centimètre de corde, il en prend un mètre. De plus, dans le cas qui nous occupe, le gouvernement a réussi à transformer une basse tentative d’extorsion des contribuables en une haute lutte pour la liberté d’expression. Il faut le faire !

Pas grand-chose de bon ne peut sortir des troubles actuels. Vus à l’aune de l’étatisme, les deux camps, ceux des étudiants contestataires et ceux des étatistes de droite ou du centre, sont bonnet rouge et rouge bonnet. Il est dommage que nous – par « nous », je veux dire le petit groupe de libertariens ou libéraux classiques du Québec, dont je fis naguère partie – n’ayons pas réussi à enseigner, surtout aux jeunes, qu’il existe une autre option que le socialisme ou le conservatisme : il y a l’approche libertarienne.

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  • Complètement en désaccord. Votre récapitulation de la situation est biaisée par votre peur de devoir payé plus. Mais hélas je dois vous rappeler que les étudiants ont fait des propositions qui permettraient que non seulement la hausse ne grimpe pas, mais aussi qui permettraient la gratuité scolaire. Dans notre société d’aujourd’hui, il faut voir plus loin que la question économique! Le fait que l’éducation soit plus accessible diminuerait des trucs du genre: la criminalité, les problèmes de santé, les aides sociales, etc. Par ailleurs, en 1976, le gouvernement du Québec a signé un accord annonçant que la province se dirigerait vers la gratuité scolaire. Bref, écoutez avec vos deux oreilles et entendez ce que les étudiants ont a proposé.

    • Si les propositions des étudiants du Québec sont du même tonneau que ceux qu’on a en France, merci bien …
      Voir plus loin que la question économique ça commence par voir la question économique, pas par la nier en réclamant une impossible et délétère gratuité. TANSTAALF !
      Rien ne prouve que la gratuité de l’éducation a le moindre effet positif sur la criminalité, la santé ou les besoins sociaux ; au contraire, même, une fois pris le pli de la gratuité (apparente seulement apparente) on a pris le chemin de la servitude, qui n’est pas bon pour toutes ces choses.

    • @ Nicolas

      « Complètement en désaccord. Votre récapitulation de la situation est biaisée par votre peur de devoir payé plus »

      Pierre Lemieux habite au Maine. Entre vous deux, je suis certain que c’est vous qui avez peur de payer plus, puisque lui ne paie rien au Québec.

  • Oh le bel article tout à fait neutre et non partisan ! Si dans votre aisance de vie il est facile de payer le surplus, sachez que pour d’autres ce sont des difficultés supplémentaires… ou des dettes en plus à la fin des études. Rappelez moi juste quelle crise vivons nous ? Ah oui celle de la dette, c’est bien de ça dont il s’agit.

    Au delà de ces argumentations de part et d’autre, la question fondamentale reste pour moi : quel choix de société vivons-nous ? Celui qui correspond à la continuité de l’humanité, c’est à dire une transmission perpétuelle du savoir le plus facilement possible afin de bâtir de nouvelles connaissances sur cette base ou celle d’un droit à payer pour ce savoir transmis, cela sous l’égide d’une génération post-guerre mondiale qui à connu l’abondance de la croissance et qui fait payer à ses descendant leurs factures ?

    Vous aurez compris vers quelle solution je me penche…

    • Le but de la gauche est l’irresponsabilité.
      Les étudiants doivent assumer en partie leurs études, c’est le seul moyen d’assurer leur qualité et leur utilité économique.

      Leur en faire payer 20%, cible du gouvernement, me semble fort modéré.
      Par ailleurs les frais devraient varier selon le coût des études et non être uniforme.

      • Bien que n’étant pas de gauche assurer que celle-ci à pour but l’irresponsabilité vous accrédite totalement, elles cherchent à gouverner selon leurs idées. Quelles le fassent de manière irresponsable, sûrement.

        Sans aller jusqu’à défendre des cohortes d’étudiants en psychologies, la notion d’utilité économique des études est floue. Soit c’est pour un marché du travail immédiat, créant ainsi des surplus dans certains cas, soit c’est pour du long terme et c’est alors de la prévision gouvernementale socialiste

        Le pourcentage ne représente rien 20% de 100 et 10000 sont en valeur absolue nettement différent.

        Le vrai souci est d’avoir un marche du travail libre, et il l’est beaucoup plus qu’en France avec des mentalités prêtes a accepter un changement de travail cote employeur.

        L’erreur est de considérer que les études font la vie et de s’enfermer dans ce cadre,

      • Ou avez vous vu que « Le but de la gauche est l’irresponsabilité. » ???

        De plus, « les frais devraient varier selon le coût des études et non être uniforme. » ça veut dire quoi cette phrase au juste?

  • Désolant…

    Un prof d’Université qui écrit de cette façon: des racourcis, des jugements gros comme le bras…

    Il a payé comment pour ces diplômes québécois dans le temps ?

    Avait-il des frais afférents de 1000$ par année ?

    A-t-il parlé du taux d’imposition des hauts salaires (habituellement des gens instruits) qui remboursent amplement les « subventions » reçues durant leur étude.

    Un peu de rigeur SVP !!!

    • Je résume vos argument :
      * un « ad hominem »
      * un « non sequitur » doublé d’une manipulation statistique
      Et vous venez nous parler de rigueur ? …LOL

  • Z’êtes un héros, M. Lemieux. Malheureusement, la glorification de la Révolution tranquille et de l’état-providence appartient aujourd’hui au domaine du sens commun pour le Québécois moyen. Je pense que même le Parti libéral est incapable de s’échapper du carcan intellectuel qu’est le modèle corporatiste québécois – de là les tentatives de « négociation » collectivistes, la répression policière, etc.

  • Précision: Le collège en France désigne le secondaire québécois, le collège québécois correspond au lycée (sauf la classe de seconde).

    La loi liberticide oblige à prévenir la police 10h avant de manifester, ce qui paraît élémentaire après 100 jours de manifestations de très grande ampleur, parfois inflitrées de casseurs. La police a le droit de modifier l’itinéraire et peut dissoudre la manif en cas de dérives violentes, ce qui, là aussi, paraît élémentaire. Enfin, la loi interdit de manifester sur les sites universitaires, afin que soit respecté le droit des non grévistes (les seuls dont les droits ont été effectivement piétinés dans cette affaire).
    La réaction outrée des québécois est absurde et incompréhensible.

    Que diraient-ils si, comme en France, une loi permanente obligeait à prévenir la police 3 jours à l’avance, et si les infractions étaient punissables de 6 mois de prison ?

  • pierre lemieux:quelque soient les arguments des pour et des contre,est il normal de voire une police passer les menottes a une grande partie de la jeunesse?tu n’as pas compris cela a ton age,alors tu as raté une grande partie de ta vie,c’est trop tard

    • « une police passer les menottes a une grande partie de la jeunesse? »

      Si cette jeunesse ne respecte pas la liberté des autres et détruisent la propriété d’autrui…oui oui oui.
      Si vous pensez qu’on peut tout se permettre parce qu’on est jeune, alors c’est vous qui avait raté une grande partie de votre vie.

  • excellent article où l’on voit à l’oeuvre le combat entre collectivistes de droite et collectiviste de gauche.

  • Merci pour cet excellent article. Chez nous aussi, en Suisse, certains estiment que la hausse des taxes d’étude conduit à une situation indéfendable, au nom de la gratuité de la formation.
    Pourtant, aucun d’entre eux ne s’émeut du fait que des jeunes du même âge s’endettent pour des années afin d’acquérir des téléviseurs plats, des voitures de sport ou je ne sais quel gadget qui soutient l’économie du crédit à la consommation.
    Que celui qui obtient par l’Etat un diplôme de médecin lui assurant un revenu de plusieurs dizaines de milliers de francs suisses par mois s’acquittent de sa dette à la société d’une manière ou d’une autre, il faut vraiment s’affirmer aristocrate pour s’en émouvoir.

    Bref, le jour où ceux qui étudient (j’en fais partie) contribueront autant à leurs cours que ceux qui n’étudient pas et qui paient des impôts, j’accepterai ces manifestations d’enfants gâtés.

  • Très rigolo cet article d’un baby boomer qui a vécu toute son existence en mineur économique aux frais de l’Etat (étudiant puis prof dans une université publique), et qui continue à vivre sur la bête, sa retraite dorée au Maine payée, entre autres, par les frais de scolarité des étudiants Québecois.

    • Avatar
      Pierre Lemieux
      28 mai 2012 at 3 h 51 min

      Ceci n’a pas grand chose à voir avec mes opinions, mais disons-le quand même: j n’ai pas été payé par l’U. du Québec et je n’ai pas de retraite.
      P. Lemieux

  • Pardon monsieur! Je ne sais pas ce vous utilisez comme vitesse de bande passante. Selon vos opinions très mal renseignés il ne m’étonnerait guère que vous soyez encore en train de télécharger les versions des faits en date de l’an dernier! Monsieur!

    Vous soulevez le point de la violence comme si c’était l’anarchie totale dans les rues de Montréal. Probablement que le Maine est trop loin d’ici pour votre lunette….. Vous vous bornez à accepter les oui-dires des autres sans vérifier les faits monsieur! Monsieurs!!

  • Les commentaires sont fermés.

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