La fabrique de bonnes notes

Les institutions européennes veulent lancer une nouvelle agence de notation. Mais pourra-t-elle apporter quelque chose de neuf ? Honnêtement, il est permis d’en douter.

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La fabrique de bonnes notes

Publié le 1 mai 2012
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Les institutions européennes veulent lancer une nouvelle agence de notation. Mais pourra-t-elle apporter quelque chose de neuf  ? Honnêtement, il est permis d’en douter.

De Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.

Ils ont osé :

Les trois grandes agences américaines Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch auront bientôt de la concurrence. Car l’Europe aura bien sa propre agence de notation « transparente, innovatrice et indépendante ».

L’agence de notation européenne transparente, innovatrice et indépendante (ANETII?) devrait être opérationnelle au mois de septembre de cette année. Les réactions sont mitigées :

Le gouvernement allemand, qui a régulièrement critiqué le fonctionnement des agences de notation, soutient l’initiative de Roland Berger. De leur côté, la Banque centrale européenne (BCE), l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et le patronat allemand avaient fait part de leurs réserves, jugeant le projet peu réaliste. Le plus difficile reste à faire pour la nouvelle agence européenne : gagner sa crédibilité auprès des marchés.

Tout est dit en une phrase : gagner sa crédibilité. Quelle crédibilité aura une agence de notation européenne ?

Notation AAALe métier d’une agence de notation consiste à évaluer la santé financière d’une foule d’emprunteurs afin d’aider les investisseurs à placer leur argent au mieux. Ces derniers recherchent des perspectives de rendement acceptables, et tiennent surtout à retrouver l’intégralité de leur somme à l’issue du prêt – un point qui devient de plus en plus crucial alors que la crise de la dette publique continue à déployer ses effets.

Trois agences de notation installées tiennent l’essentiel du marché, mais sont constamment décriées, quoi que pour des raisons opposées. Les professionnels de la finance leur reprochent d’agir avec toujours un temps de retard et d’indiquer les tendances de la veille, ce qui rend leurs analyses caduques, surtout conjuguées à la vitesse de la finance moderne. Les personnes morales notées par les agences, qu’il s’agisse d’entreprises ou d’États, se plaignent constamment d’être sous-évaluées et clament que les notes ne reflètent pas la réalité de leur situation, bien meilleure que ce que jugent les agences. Les libéraux enfin – une petite minorité dans la cacophonie ambiante – reprochent aux agences de nombreux conflits d’intérêts et la valeur légale de certaines de leurs notes, seuls des emprunts d’une certaine « qualité » étant susceptibles de convenir face à telle ou telle norme comptable. On se rappellera avec émotion les notes triple-A des produits financiers à base d’hypothèques tritisées au début de la crise de subprimes.

Bref, les agences de notation ne conviennent à personne et font l’unanimité contre elles. Mais toutes les critiques ne sont pas de même force ; clairement, le principal reproche fait aux agences est une tendance naturelle à surévaluer les entités jugées. Ce biais « optimiste » et l’indulgence supposés des agences occidentales envers les pays du même nom ont ainsi amené la Chine à fonder une nouvelle agence, Dagong, nettement moins douce envers les pays occidentaux en crise.

Une nouvelle agence européenne pourra-t-elle apporter quelque chose de neuf dans ce contexte ? Honnêtement, il est permis d’en douter.

On peut se demander en effet quelle sera la valeur ajoutée du nouveau venu dans le marché. Si on ne peut pas exclure l’élaboration de produits novateurs d’évaluation financière, un détail de la mise en place de cette entité met la puce à l’oreille:

Le cabinet de consulting allemand Roland Berger a finalement réussi à boucler le tour de table de 300 millions d’euros nécessaire au lancement du projet.

Trois cent millions ?! La somme donne le vertige. Et encore, ce n’est que pour le « lancement »…

Par les temps qui courent, il est bien peu probable qu’une telle somme ait été réunie exclusivement à travers des fonds privés, ce qui jette un doute immédiat quant à la fiabilité des notes que la nouvelle entité donnera aux organismes publics et aux États.

Si c’était simplement pour avoir des notes moins complaisantes, il n’était pas nécessaire de monter une nouvelle structure : l’agence Dagong en donne un bon exemple, pour tout ce qui se situe hors de Chine en tous cas.

Il existe même une agence de notation ouverte, communautaire et gratuite, Wikiratings. Certes, elle ne fait que débuter, mais que pourrait donner ce projet avec une fraction des 300 millions récoltés par le cabinet Roland Berger…

Même si une bonne surprise est toujours possible, la mise de fonds initiale absolument monstrueuse et le caractère « européen » mis en avant avec insistance autour du projet ne plaide pas en faveur d’une agence réellement indépendante, capable de dire que le roi est nu. On pense plutôt à une agence-alibi, payée de façon plus ou moins directe par des fonds publics, et chargée de donner des prévisions (toujours optimistes) et des évaluations (invariablement excellentes) sur les politiques économiques menées en Europe.

Imagine-t-on des banques ou des investisseurs privés réunissant une telle somme pour s’entendre répondre que l’Europe va mal ? Aucun intérêt. Même chose pour les pouvoirs publics. Mais imaginer au contraire une nouvelle agence « officielle », adoubée par les pouvoirs publics, expliquant au monde que l’Europe est sur la voie de la sortie de crise… Tout d’un coup, un tour de table à 300 millions devient nettement plus plausible !

Les premières analyses rendues par cette agence permettront sans doute d’y voir plus clair.

—-
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  • Sauf qu’on a réellement besoin d’une concurrence dans le milieu des agences de notations. On a eu une catastrophe ces dernières années à cause de la confiance aveugle qu’ont les investisseurs envers S&P.

    Evidemment que l’agence de notation européenne sera liée aux instituts européens et difficilement neutre. Mais au moins on aura un institut supplémentaire dans l’évaluation de la valeur des produits financiers !

    • De la concurrence, il y en a. Le problème, c’est que les 3 agences ont un pouvoir légal d’influencer sur le taux de solvabilité.

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