Islam et économie de marché : incompatibles ?

Plusieurs observateurs du monde musulman avancent l’incompatibilité entre Islam et économie de marché comme étant la cause principale du sous-développement des pays musulmans. Pour qu’une telle thèse soit crédible, les principes de l’Islam doivent être en contradiction avec ceux de l’économie de marché. Le sont-ils vraiment ?

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Islam et économie de marché : incompatibles ?

Publié le 1 mai 2012
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Plusieurs observateurs du monde musulman avancent l’incompatibilité entre Islam et économie de marché comme étant la cause principale du sous-développement des pays musulmans. Pour qu’une telle thèse soit crédible, les principes de l’Islam doivent être en contradiction avec ceux de l’économie de marché. Le sont-ils vraiment ?

Par Hicham El Moussaoui.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.

Liberté de choix et recherche de profit

En Islam, les individus sont considérés comme les régents de Dieu sur terre ayant pour mission de démontrer leur soumission volontaire. Une mission inconcevable sans la liberté de choisir entre le bien et le mal en suivant son libre arbitre : « nulle contrainte en religion » (Coran, 2:256). Une liberté de choix qui ne se limite pas uniquement à la sphère religieuse puisqu’en Islam, il n’y a pas d’incompatibilité entre la prière et la recherche de profit. Celle-ci est même encouragée pourvu que l’activité soit licite et morale « Puis quand la Salat est achevée, dispersez-vous sur la terre, et recherchez [quelque effet] de la grâce d’Allah, et invoquez beaucoup Allah afin que vous réussissiez » (62:10). D’ailleurs, le travail en Islam est érigé au même rang que la prière.

À l’origine, la liberté de choix est préservée en Islam grâce à une tradition de limitation de la taille de l’État. En effet, il n’existe pas d’imposition obligatoire qui contraindrait le choix des individus (la Zakat étant juste de la charité obligatoire). Le champ de l’intervention de l’État a été limité par le prophète pour lutter contre la fraude, ce qui relève du domaine de la justice. De même, aux débuts de l’Islam, le système étalon-or limitait les possibilités de manipulation de la monnaie et donc du contrôle des choix des individus en rendant impossible la poursuite de politiques inflationnistes.

État de droit et contrat

En Islam la propriété privée n’est pas seulement reconnue mais surtout sacrée « Et ne dévorez pas mutuellement et illicitement vos biens,…» (2:188). Aussi, lors de son dernier pèlerinage, le prophète a insisté sur le respect de la propriété privée en la considérant comme une condition de la foi : « Ô hommes, vos vies et vos biens sont inviolables jusqu’à ce que vous rencontrerez votre Seigneur… ». L’état de droit a été respecté au début de l’Islam lorsque le premier calife Abou Bakr précisa qu’il ne devait être obéi que si ses décisions ne contredisaient pas le Coran et les pratiques du prophète. Cela signifie, d’une part, qu’il n’était pas au-dessus des lois, et d’autre part qu’il devait rendre des comptes devant ses sujets. Cette tradition, perdue plus tard, était soutenue aussi par la séparation des pouvoirs dans le sens où les juges jouissaient d’une réelle indépendance. Le respect des contrats licites en Islam est sacré puisque tout musulman qui ne respecte pas ses engagements vis-à-vis des autres encourt non seulement une responsabilité civile mais aussi divine : « O les croyants ! Remplissez fidèlement vos engagements» (5:1)

Libre concurrence

En Islam, la concurrence sur le marché est sauvegardée grâce à la limitation des distorsions des prix. Le prophète a interdit explicitement le contrôle des prix : « C’est Dieu qui fixe les prix, retient et étend et c’est lui Le Pourvoyeur… ». Le « Muhtassib », représentant de l’État et s’occupant de l’observation du bon fonctionnement du marché, ne doit en aucun cas manipuler les prix. Autrement dit, la régulation du marché doit se limiter seulement à prévenir la fraude et laisser la loi de l’offre et de la demande fixer les prix. Le prophète a explicitement aussi interdit le monopole car il conduit à la hausse des prix et à la dégradation du pouvoir d’achat : « Celui qui détient un monopole est un pécheur ».

Pourquoi une telle déviation ?

La déviation de la tradition islamique favorable à l’économie de marché a été induite par plusieurs facteurs, principalement la stagnation du droit musulman et les mauvais choix de modèles et de politiques économiques.  La fermeture de la porte de l’« Ijtihad » depuis le Xème siècle, explique pourquoi le droit musulman est devenu un obstacle au développement (Timur Kuran, 2010). Alors qu’il accompagnait le développement de l’entreprise privé et du libre-échange au début, le droit musulman est devenu complètement décalé suite à la récupération des juristes par les politiques et l’émergence de structures cléricales qui ont bloqué toute tentative de réforme et d’innovation. Et alors que les européens reprenaient, fin du 15ème siècle, les principes originels encourageant le libre marché, via l’école de Salamanque, les musulmans s’en sont éloignés pour retomber dans l’ascétisme et l’interventionnisme étatique.

La colonisation, surtout par les Français et les Espagnols, a créé une sorte de dépendance au sentier dans les pays musulmans car ils ont hérité de la tradition du code civil et de l’État fortement centralisé. Un héritage qui a affecté le choix des dirigeants musulmans juste après l’indépendance en l’éloignant du sentier de l’économie de marché. Ce choix a été également influencé par l’atmosphère intellectuelle de l’époque où l’on croyait à la justesse du modèle socialiste, sans oublier bien évidemment les considérations géopolitiques dans un contexte de guerre froide où le capitalisme et le socialisme se livraient bataille. Ainsi, la plupart des pays arabo-musulmans ont opté pour l’économie dirigiste à travers les nationalisations, les politiques budgétaires expansionnistes, la substitution aux importations, etc. Des politiques qui ont non seulement coupé les musulmans de leur tradition, mais les ont précipités dans des situations de crise d’endettement dans les années 80. Suite à ces crises, ils étaient obligés de suivre des politiques de libéralisation qui se limitaient à des opérations hâtives et bâclées de privatisations qui n’ont fait que remplacer des monopoles publics par des monopoles privés. Cela a renforcé le rejet et la méfiance chez les populations musulmanes vis-à-vis de l’économie de marché.

Tous ces choix politiques et événements historiques n’ont rien à voir ni avec le coran ni avec la sunna. Dès lors, le problème ne réside pas dans l’incompatibilité entre Islam et économie de marché, mais dans la déviation de la tradition des débuts de l’Islam favorable à l’économie de marché.

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