L’Eurozone de tous les risques (3e partie)

Alors qu’on ne sait toujours pas clairement où les développements futurs vont mener l’Eurozone, les coûts et risques à maintenir le système sont déjà immenses et s’accroissent.

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L’Eurozone de tous les risques (3e partie)

Publié le 26 avril 2012
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Alors qu’on ne sait toujours pas clairement où les développements futurs vont mener l’Eurozone, les coûts et risques à maintenir le système sont déjà immenses et s’accroissent.

Par Philipp Bagus, professeur associé à l’Universidad Rey Juan Carlos, de Madrid, Espagne.

Lien vers la première et deuxième partie de l’article

Tendance à la hausse des prix

L’Eurosystème est propice à l’inflation au détriment de tous les utilisateurs de la monnaie. Comme nous l’avons vu, l’Eurosytème incite aux déficits et à l’accumulation de la dette. Au moins une partie de ces déficits est financé par la création monétaire. La BCE a été inflationniste dans le but de soutenir le projet de l’euro.

Cette position de la BCE se traduit par les mesures suivantes :

  1. Depuis 2008, la BCE fournit des liquidités infinies aux banques. Dès qu’une banque lui apporte une nouvelle obligation grecque comme collatéral, la BCE lui fournit du nouvel argent.
  2. La BCE a dilué les critères portant sur les collatéraux. Les obligations grecques, portugaises et irlandaises seront acceptées comme collatéraux, même si elles sont notés comme étant mauvaises. La qualité des actifs qui garantissent la monnaie est diluée.1
  3. La BCE a carrément acheté des obligations elle-même, à hauteur de 220 milliards €.
  4. La BCE maintient ses taux d’intérêts à des niveaux artificiellement bas pour sauver le projet de l’euro. Des taux d’intérêt plus élevés pourraient mener la périphérie au défaut, dans le public comme dans le privé. Bien que l’inflation se situe autour de 3%, et au-dessus de la limite de 2% qu’elle avait fixée, la BCE a rabaissé ses taux déjà historiquement bas début novembre-décembre 2011.

Les prix dans la zone euro sont ainsi plus élevés qu’ils ne devraient l’être. Les coûts des sauvetages ne seront probablement pas payés par une simple augmentation de la fiscalité, mais aussi par la création monétaire. Imaginons que le gouvernement allemand perd 10 milliards € dans un prêt au gouvernement grec. Le gouvernement allemand augmentera-t-il les impôts de 10 milliards € ? Réduira-t-il ses dépenses de 10 milliards € ? La réponse est probablement pas. Le plus probable est que le gouvernement allemand étendra son endettement auprès du système bancaire, augmentant de cette façon la masse monétaire. Pendant que les montagnes de dettes s’accroissent dans toute l’UEM, la pression inflationniste s’accroit. Il n’y a aucune échappatoire dans l’UEM.

La centralisation et la perte de liberté

L’UEM a un biais de fabrication dans la centralisation qui peut affecter toute l’Union Européenne. Comme nous l’avons vu auparavant, il y a des incitations au déficit, notamment dans les petits pays qui peuvent espérer être renfloués. L’accumulation des dettes a déclenché une crise des dettes souveraines. Cette crise, à son tour, a été utilisée, et pourrait encore l’être, pour la centralisation. Les renflouements et les fonds de sauvetages requièrent de nouvelles institutions centrales. Pour gérer et prévenir les futures crises de la dette, certains hommes politiques ont appelé à un gouvernement économique. On doit s’attendre à ce que les pays perdent leur souveraineté en échange de sauvetages et à la faveur d’une augmentation du pouvoir des institutions européennes. 2 En fait, Porter (2010, p.13) avance qu’une solution aux problèmes actuels pourrait être une harmonisation de la fiscalité, une taxe « fédérale », ainsi qu’une fusion définitive de la BCE et des banques centrales nationales, ce qui constituerait un pas vers une union politique. De façon semblable, Deo, Donovan et Hatheway (2011), voient dans une sorte d’ »union fiscale » une solution à la crise de l’euro.

La centralisation des politiques fiscales contient des risques imortants pour les membres de la zone euro. Ils abandonnent une partie de leur souveraineté. La centralisation entrainant une harmonisation des politiques fiscales, on pourrait penser que les mesures d’austérité vont prévaloir dans cette harmonisation. Et cela pourrait être vrai tant que l’influence de l’Allemagne reste dominante. Cependant, l’influence allemande va probablement subir le même sort qu’elle a subi au sein de la BCE. On pensait en effet que la BCE était favorable à une « monnaie forte » en prenant pour modèle la Bundesbank. De la même façon, le nouveau gouvernement économique pourrait prendre pour modèle la rigoureuse et responsable Allemagne. Mais, comme au conseil de la BCE, l’Allemagne et ses alliés se retrouveront en minorité. 3

Déjà dans le cas du sauvetage de l’Irlande, d’importants effets de l’harmonisation européenne apparaissent. Des hommes politiques européens comme Nicolas Sarkozy ont fait pression sur l’Irlande pour qu’elle augmente son impôt sur les sociétés. Le marché était le suivant : on vous sauve si vous augmentez vos impôts. Malgré la pression, le gouvernement irlandais a résisté.

Enfin, et de façon plus importante, l’harmonisation fiscale élimine la concurrence. En Europe, il y a toujours de la concurrence fiscale pour attirer les citoyens, les entreprises et les investissements. 4 Les pays ne peuvent pas augmenter trop la fiscalité car les personnes et les capitaux pourraient facilement partir vers d’autres pays de l’UE. La possibilité de voter avec ses pieds – en quittant les pays ayant un fardeau fiscal élevé – est une garantie importante de la liberté individuelle. L’UEM se dirige vers la centralisation et un gouvernement économique en éliminant la concurrence fiscale et en rendant plus couteux le vote avec ses pieds. Une fois que l’harmonisation sera atteinte, les impôts et règlementations vont probablement augmenter. Rester ainsi avec l’UEM implique ce risque important pour la liberté individuelle – peut-être la valeur européenne la plus importante.

Risque de conflits entre les nations

L’UEM provoque des conflits entre ce qui serait autrement des nations coopérant pacifiquement. La redistribution est toujours une cause potentielle de stress social. La redistribution monétaire dans l’UEM n’a pas été ressentie par le gros de la population, et cela n’a donc pas causé de conflits. Les renflouements, les fonds de sauvetage et les interventions de la BCE qui étaient la conséquence ultime du logiciel de l’UEM ont rendu les redistributions entre pays plus évidentes.

Les allemands n’aiment pas contribuer au maintien de l’Etat Providence grec. Dans les médias allemands, les grecs sont considérés comme « menteurs » et « paresseux ». Les médias grecs, de leur côté, demandent des réparations pour la Seconde Guerre Mondiale. Les allemands n’aiment pas payer pour la périphérie, les habitants des pays de la périphérie condamnent l’Allemagne pour les mesures d’austérité. Ils ont l’impression que les mesures impopulaires sont imposées par la pression étrangère (allemande). Au sein de l’UEM, ces divergences et conflits vont continuer et probablement s’accroitre. Rester dans l’UEM implique de vivre dans une telle atmosphère et ses risques d’escalade.

C’est un euphémisme de dire que les coûts de l’Eurosystème sont élevés. Ils comprennent un système monétaire inflationniste et autodestructif, une balle dans le pied que se tirent les gouvernements, un élargissement des Etats providences, la perte de la compétitivité, des sauvetages, des subventions, des transferts, un aléa moral, des conflits entre les nations, la centralisation et en général une perte de liberté. D’autant plus que ces coûts et risques augmentent chaque jour. Si l’on prend tout cela en compte, ça ne vaut pas le coup de sauver l’euro. Plus vite il disparaitra, mieux ce sera. Les alternatives existent. Un retour à une monnaie saine comme l’étalon-or relancerait la responsabilité, l’harmonie et la création de richesses en Europe.

Article original. Traduction GB/Contrepoints.

  1. Pour la qualité de la monnaie et l’importance des actifs d’une banque centrale, voir Bagus (2009a).
  2. La Bundesbank (2011a, p. 11) dans son rapport mensuel defend implicitement “un abandon étendu de la souveraineté fiscal nationale”.
  3. Rappelons qu’Axel Weber et Jürgen Stark abandonnèrent leur position en se constatant en minorité face à la position plus inflationniste du conseil. 
  4. Les petits gouvernemnts ont beaucoup de concurrents proches et ne peuvent taxer et regular plus que leurs compétiteurs. En raison du système de pouvoir traditionnellement décentralisé de l’Europe, celle-ci accueillit autrefois l’origine du capitalisme et d’une prospérité jusqu’alors inconnue (Hoppe 1993).
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