Intrusion politique dans les « think tanks » américains

Dans une tribune publiée dans le Washington Post, Tevi Troy est revenu sur l’essor des laboratoires d’idées, sur leur impact et sur les menaces qui pèsent sur ce mouvement unique au monde. Article traduit de l’anglais par Estelle Devisme pour Le Bulletin d’Amérique, titre original : Think tank Politics.

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Ed Crane, Président fondateur du CATO Institute.

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Intrusion politique dans les « think tanks » américains

Publié le 19 avril 2012
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Dans une tribune publiée dans le Washington Post, Tevi Troy est revenu sur l’essor des laboratoires d’idées, sur leur impact et sur les menaces qui pèsent sur ce mouvement unique au monde. Article traduit de l’anglais par Estelle Devisme pour Le Bulletin d’Amérique, titre original : Think tank Politics.

Par Tevi Troy(*).

Article publié en collaboration avec le Bulletin d’Amérique.

Ed Crane, Président fondateur du CATO Institute.

L’imbroglio au CATO Institute a attiré l’attention sur l’hyperpolitisation ces dernières années de ce think-tank libertarien basé à Washington. L’annonce du procès intenté par Charles et David Koch afin d’accroître leurs parts au CATO Institute a été suivie par des accusations et contre-accusations qui rendent difficile de comprendre qui fait quoi à qui. Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette bagarre est une mauvaise nouvelle pour le CATO en tant que marque et pour les think tanks en général.

Les think tanks sont devenus extrêmement importants pour l’élaboration des politiques au cours du dernier demi-siècle. La Brookings Institution a été profondément impliquée dans la conception de ce qui est devenu le Plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe occidentale après le second conflit mondial. L’American Enterprise Association — maintenant American Enterprise Institute — a aidé à orchestrer le démantèlement des contrôles sur la production et les prix en temps de guerre. Et le CATO Institute, comme Eric Lichtblau l’a rapporté dans le New York Times, « a introduit avec succès les idées libertariennes dans le débat politique et la politique de Washington, assurant leur respectabilité auprès du grand public. »

Dans les dernières décennies, cependant, les think tanks — comme une large part de notre culture — sont devenus de plus en plus politiques. Cette tendance a commencé après l’émergence de la Heritage Foundation, qui a été le premier think tank à embrasser comme objectif la défense des idées. Quand Ronald Reagan fut élu président en 1980, la Heritage Foundation rédigea un programme conservateur détaillé pour la nouvelle administration. Il contenait plus de 2.000 recommandations de politique générale. À la fin du second mandat de Reagan, l’administration avait adopté plus de soixante pour cent des propositions.

Des think tanks tels que la Hoover Institution et l’American Enterprise Institute ont également travaillé en étroite collaboration avec l’administration. En 1988, Reagan avait déclaré : « Aujourd’hui, la recherche américaine la plus importante provient de nos think tanks — Et aucun n’a été plus influent que l’American Enterprise Institute. »

Le succès concret de la Heritage Foundation a encouragé les imitations et contribué au lancement de l’ère que le politologue Donald Abelson a appelée « the advocacy think tank » [le think tank « plaideur »]. Les nouveauxthink tanks de Washington ont eu tendance à être moins intellectuels, de plus en plus politiques et davantage susceptibles d’être liés aux fortunes d’un parti ou d’une tendance au sein d’un parti.

Les Démocrates modérés utilisèrent le Progressive Policy Institute afin de générer des idées pour l’administration Clinton. Après la victoire de celui-ci en 1992, les anciens fonctionnaires de l’administration Bush créèrent le Project for the Republican Future et Empower America.

(Aucun des deux n’existe dans sa version originelle : les dirigeants du PRF ont formé le magazine The Weekly Standard en 1995, et Empower America a fusionné avec Citizens for a Sound Economy pour devenirFreedomWorks en 2004.)

Cette tendance a atteint de nouveaux sommets en 2003, avec la création du Center for American Progress, qui se concentre sur la politique et le développement d’un message, consacrant l’équivalent de 40% de son budget à la communication et à la sensibilisation, selon son fondateur John Podesta (qui avait déclaré en 2008 que cette somme était huit fois supérieure à celle des organisations de politique publique «libérales» (de gauche) typiques).

Comme l’a dit en 2008 Jennifer Palmieri, sous-directrice de la communication de la Maison Blanche, lorsqu’elle était vice-présidente en charge de la communication du Center for American Progress , « d’autres s’efforcent d’être objectifs, pas nous. » L’an dernier, a rapporté le New York Times, le Center for American Progress aencouragé les manifestations Occupy Wall Street.

Le CATO Institute a, en grande partie, évité cela. En effet, sa stricte ligne libertarienne a été, au fil des années, l’un de ses atouts. Il a été disposé à critiquer — ou louer — n’importe quel grand parti, se fondant sur les écarts ou l’adhésion à la pensée libertarienne, plutôt que partisane.

Pourtant, la lutte pour le leadership au sein du CATO Institute menace de le faire redescendre à la place occupée par bien trop d’autres think tanks. Lichtblau écrit dans le Times que le problème est que les frères Koch veulent « installer un pipeline plus direct entre le CATO Institute et les contacts de leur famille au sein du parti républicain. »

Si cela est vrai, c’est effectivement inquiétant. Si les donateurs voient et utilisent les think tanks comme des pions dans une guerre politique, la valeur de leur produit diminuera aux yeux du public, des journalistes et des hauts responsables gouvernementaux.

Mais même si ce n’est pas l’objectif des frères Koch, ce différend est en train de ternir la réputation du CATO Institute d’une organisation capable d’offrir une recherche non partisane, si ce n’est non idéologique. Le fait que les donateurs puissent mener les think tanks à agir de manière politique nuira à ceux qui s’y plient, et peut même, par association, faire du tort à ceux qui s’y refusent.

Selon Andrew Rich, auteur de Think Tanks, Public Policy, and the Politics of Expertise, «les penchants idéologiques bien connus de beaucoup, en particulier des think tanks les plus récents, et leur agressivité afin de parvenir à une grande notoriété, sont venus miner la crédibilité avec laquelle les experts et l’expertise sont généralement considérés par l’administration. »

Karlyn Bowman, de l’AEI, avait déclaré à Rich que la monnaie des think tanks ressemble au « papier-monnaie de Weimar — une monnaie sans grande valeur en raison de la prolifération et du fait de la revendication manifeste de certains think tanks. »

Cette dévalorisation potentielle menace la capacité des think tanks de Washington à trouver des solutions à certains des problèmes les plus graves de notre pays. À l’ère d’une politique frénétique et des nouveaux médias, les think tanks peuvent continuer à jouer un rôle précieux. Malheureusement, la prolifération d’organisations, plus politiques, associée aux luttes politiques comme celle qui se déroule au CATO Institute, remet en question leur aptitude à jouer ce rôle.

A lire: 

*Tevi Troy est Senior Fellow du Hudson Institute. Il a été secrétaire adjoint du Département de la santé de 2007 à 2009. Il était auparavant adjoint du Conseiller pour les affaires domestiques à la Maison Blanche. Il a obtenu un PhD de l’Université de Texas à Austin.

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