Vente à découvert: un pistolet à eau contre la dette française

Selon la dernière rumeur qui circule sur la médiasphère, Sarkozy serait à l’origine du lancement aujourd’hui de nouveaux produits financiers permettant de spéculer contre la dette française. Mais l’information a été exagérément mal interprétée sur de nombreux points. Décryptage.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
L'arme fatale contre la dette française?

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Vente à découvert: un pistolet à eau contre la dette française

Publié le 16 avril 2012
- A +

Selon la dernière rumeur qui circule sur la médiasphère, Sarkozy serait à l’origine du lancement aujourd’hui de nouveaux produits financiers permettant de spéculer contre la dette française. Mais l’information a été exagérément mal interprétée sur de nombreux points. Décryptage.

Par Stanislas Jourdan.

L'arme fatale contre la dette française?

Selon la dernière rumeur qui circule sur la médiasphère, Sarkozy serait à l’origine du lancement le 16 avril prochain de nouveaux produits financiers permettant de spéculer contre la dette française. Mais l’information a été exagérément mal interprétée sur de nombreux points. Décryptage.

De quoi s’agit-il ? Eurex, leader européen des marchés de produits dérivés, va bientôt permettre à ses clients d’échanger des « futures » c’est à dire des contrats à terme avec pour actif sous-jacent les bons du trésor français. Ces produits permettent (entre autre) de vendre à découvert de la dette française, une pratique jusqu’ici limitée à des fonds d’investissement d’une certaine taille. Ces outils permettront désormais à tout un chacun d’utiliser ces outils de spéculation.

Coïncidence ?

Pour certain, le fait que cette annonce coïncide avec l’arrivée prochaine des élections n’est pas un hasard. Il s’agirait d’une stratégie de Nicolas Sarkozy pour gagner les élections : en permettant aux marchés de faire pression sur la dette française, cela apporterait du crédit au discours pro-austérité budgétaire du candidat sortant.

Cette analyse a notamment été impulsée par le célèbre gestionnaire de portefeuille Marc Fiorentino qui y voit une « arme fatale contre la France ». Rapidement, l’affaire est reprise par de nombreux blogs et autres sites d’informations. Fabrice Epelboin y va également de son billet sur Reflets, avec en prime une pincée de complotisme :

C’est une véritable stratégie de la terre brulée qu’a mis discrètement en place Nicolas Sarkozy à la veille de ce qui semble être son départ de l’Elysée. En remettant en place des outils de spéculation accessibles à l’ensemble des acteurs du marché, et destinés à spéculer à la baisse sur la dette Française, le gouvernement Français prépare un cataclysme financier et montre son sens du timing.

Toutefois, après avoir consulté quelques amis traders et fait quelques recherches complémentaires, mon point de vue est beaucoup plus nuancé.

Vente à découvert ? Rien de bien nouveau…

Tout d’abord, sur l’autorisation de vendre à découvert. Cette pratique n’a jamais été interdite si ce n’est en août dernier sur certaines institutions financières. Renouvelée en novembre 2011, l’AMF a finalement mis fin à cette interdiction (pdf) le 13 février dernier. Mais cette décision n’a de toute façon aucun rapport avec la dette souveraine, elle ne concernait que les marchés actions du secteur financier.

Entre temps, les ministres européens ont d’ailleurs approuvé un texte visant à empêcher l’utilisation des CDS « nus », c’est à dire de spéculer sur la faillite d’un pays sans même posséder de titres de dettes de ce pays.

Ensuite, il faut savoir qu’il y a 13 ans, le marché des contrats à terme sur la dette souveraine existait : il était proposé par le MATIF, qui l’a fermé notamment en raison de la concurrence d’autres acteurs sur le marché des obligations souveraines allemandes, bien plus attractif. Ce n’est donc pas une quelconque interdiction récemment abrogée qui a conduit à l’arrêt de ce marché, mais plutôt un certain désintérêt pour le produit.

Jusque-là, difficile donc d’y voir un lien direct avec la campagne électorale… Mais admettons qu’il y ait anguille sous roche. Quel pourrait être l’effet de l’ouverture du marché des contrats à terme sur la dette française ?

« Il est vrai que cela pourrait augmenter sensiblement la volatilité du marché » analyse un financier interrogé, qui nuance tout de même: « mais cela ne devrait pas avoir plus de conséquences que cela ».

Pour preuve ? L’exemple italien.

Si l’on regarde la dette italienne, où Eurex propose déjà des contrats futures depuis 2009 et 2011 (selon la durée des obligations), on remarque que le volume d’échange est actuellement très limité. Certes, ces produits sont assez largement utilisés sur le marché des bunds allemands, mais le volume du marché italien, lui, est environ 25 fois inférieur. « Si les futures étaient l’arme idéale pour attaquer un pays, nous en aurions entendu parler en Italie » estime le trader spécialisé sur les marchés de dérivés.

La vrai arme fatale : les options

Selon lui, les futures ne sont pas l’outil idéal pour spéculer :

Les futures sont très utilisés pour se couvrir d’un risque, moins pour spéculer à la baisse. Pour cela, les options sont plus intéressantes car moins couteuses, plus flexibles, et potentiellement plus rentables.

A la différence des ‘futures’ (contrats à terme), les options sont des produits qui permettent d’acquérir le droit (et non l’obligation) d’acheter un certain actif à une certain prix, jusqu’à une certaine échéance. De plus, les contrats à terme impliquent de bloquer un dépôt de garantie auprès d’une chambre de compensation. Ce dépôt est ajusté tous les jours en fonction de la valeur de marché de l’actif sous-jacent, ce qui implique donc de mobiliser du cash avec une certaine incertitude de trésorerie. De leur coté, les options, ne sont que légèrement commissionnées, et permettent donc des effets de levier plus conséquents.

Et le trader de conclure :

Si je voulais spéculer à la baisse sur la dette française, plus que des contrats à terme, j’utiliserais certainement des options . Ça, c’est vraiment l’arme ultime.

Mais jusque-là, il n’est pas question pour Eurex de proposer ce type de produits. Seuls les contrats à termes sont concernés.

Alors, pourquoi relancer un marché sur ce créneau ? Une question de mode, selon notre ami trader :

Actuellement, la mode est à coter tout ce qui existe et qui puisse avoir un intérêt quelconque pour la clientèle. Eurex est juste dans la parfaite ligne de ce qui se fait de nos jours. Avant, beaucoup de transactions se passaient de gré à gré afin d’éviter toute standardisation et compensation. La mode est aujourd’hui à l’inverse : on trouve plein de trucs bizarre cotés sur les marchés. Mais avec de faibles volumes.

Un autre financier ajoute :

Les « market makers » ne sont pas stupides. Quand ils créent un produit, c’est qu’ils pensent que les particuliers vont intervenir massivement dessus, et donc être les grands perdants de la bataille.

Peut être bien que Sarkozy est prêt à tout pour gagner l’élection. Mais cette arme-là, si c’en est une, n’est certainement pas la plus terrible de son arsenal…

Sur le web

Fallait-il interdire les ventes à découvert? Un article de Contrepoints.

Voir les commentaires (2)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (2)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Un article de l'IREF.

En janvier dernier, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, annonçait la fin du « quoi qu’il en coûte ».

L’examen parlementaire en cours des projets de loi de finances de fin de gestion pour 2023, et de loi de finances pour 2024 montrent à l’inverse que, loin d’être fini, le « quoi qu’il en coûte » se poursuit. Et ce en dépit d’un goulet d’étranglement appelé à se resserrer du fait de l’aggravation de la charge de la dette dans les prochai... Poursuivre la lecture

Un article de l'IREF.

En 2022, pour alimenter un fonds pour le climat et la transformation énergétique  – KTF – de 212 milliards d’euros, le gouvernement allemand avait puisé à due concurrence dans les réserves non utilisées d’un autre compte, constitué en 2021 pour contribuer à l’amortissement de l’impact du coronavirus. Mais celui-ci avait bénéficié d’une suspension des règles du « frein à l’endettement », en raison de la pandémie. Ce qui ne pouvait plus être le cas du fonds KTF.

La CDU/CSU, les conservateurs dans l’opposition... Poursuivre la lecture

gouvernement électricité carburants taxes remaniement Bruno Le Maire
1
Sauvegarder cet article

Un article de l'IREF

La dette publique française a dépassé le seuil de 3000 milliards d'euros.

Elle a atteint 3013,4 milliards d’euros le 31 mars 2023, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Le gouvernement voudrait réduire le déficit public de 4,9 % en 2023 à 4,4 % dans le budget 2024. Mais le défi est considérable, alors qu’en août 2023 les taux d’emprunt de l’État français à dix ans ont dépassé le seuil de 3,25 %.

Selon les prévisions de Bercy, la charge annuelle de la det... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles