« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fît »

Jusqu’à quel point pouvons-nous vouloir le bien d’autrui sans lui demander son avis ?

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« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fît »

Publié le 14 mars 2012
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Lorsque nous agissons en société, nous ne pouvons pas nous poser la question de savoir si chacun de nos actes risque de plaire ou déplaire à telle ou telle personne en particulier. Jusqu’à quel point pouvons-nous vouloir le bien d’autrui sans lui demander son avis ? 

Par Fabrice Descamps

George Bernard Shaw est crédité de la boutade suivante : « Ne fais pas à autrui ce que tu voudrais qu’il te fît car il se peut que vous n’ayez pas les mêmes goûts ». Or, même si c’est là un bon mot, la formule contient une leçon philosophique très instructive.

On sait en effet que la Règle d’or se présente à nous sous deux formes, une négative, « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fît », et une positive, « Fais à autrui tout le bien que tu voudrais qu’il te fît ».

Mais admettons que je sois masochiste : si j’applique littéralement la Règle d’or, alors je devrais faire souffrir autrui puisque je souhaite qu’autrui me fasse souffrir pour assouvir mon désir masochiste. C’est la contradiction que souligne la plaisanterie de G.B. Shaw.

Qu’est-ce qui ne vas pas alors dans la formulation traditionnelle de la Règle d’or ?

En fait, elle sous-entend mais ne dit pas explicitement, c’est là son défaut, que je suis rationnel et qu’autrui l’est aussi. Même si je suis masochiste mais suffisamment rationnel, je comprendrai en effet qu’autrui n’a pas forcément les mêmes goûts que moi et donc je ne lui imposerai pas les miens car je ne voudrais pas non plus qu’il m’imposât les siens.

Le problème est alors le suivant : jusqu’à quel point peut-on vouloir le bien d’autrui sans lui demander son avis ? Lorsque nous agissons en société, nous ne pouvons pas en effet nous poser la question de savoir si chacun de nos actes risque de plaire ou déplaire à telle ou telle personne en particulier. Moi, par exemple, je milite à droite. Évidemment cela déplaît à ma femme qui, elle, milite à gauche – on ne s’ennuie jamais à la maison. Or devrais-je arrêter de militer dans un parti politique sous prétexte que les idées défendues par ce parti déplaisent à ma femme ? Non, évidemment, et ma femme le conçoit d’ailleurs fort bien. Je milite à droite parce que j’estime que les idées des partis de droite sont meilleures – mouais, enfin, moins pernicieuses – pour mon pays que celles de gauche. Je milite donc pour le bien d’autrui, c’est-à-dire celui de mes concitoyens. Je ne milite pas pour le bien de ma femme en particulier. Autrui n’est en conséquence personne en particulier. Il est un spectateur impartial, rationnel en un mot, qui pourrait approuver mes agissements.

De même, lorsque je passe devant le juge pour qu’il apprécie si j’ai nui à mon voisin, ce n’est pas l’avis de mon voisin sur la question qui compte ici – lui est persuadé que je lui ai nui et c’est pourquoi il m’a assigné en justice – , mais l’avis du juge qui va essayer de se placer dans le rôle d’un spectateur impartial et rationnel des faits pour justement juger si j’ai objectivement nui à autrui.

On voit ainsi qu’il est impossible d’appliquer la Règle d’or « Tu ne nuiras pas à autrui » si nous ne sommes pas rationnels.

Une nuisance objective à autrui est donc un fait moral objectif, c’est-à-dire qu’il y aurait nuisance à autrui même si ni moi ni autrui ne nous en rendions compte.

Appliquons notre critère à des problèmes concrets : y a-t-il nuisance objective à autrui si je mange de la viande casher ou halal ?

Remarquons tout d’abord qu’autrui a une définition très claire : autrui est un autre membre d’une société humaine que moi. En effet, autrui et moi sommes signataires d’un contrat social tacite et mutuellement avantageux. Ce contrat implique que nous vivions ensemble et nous rendions mutuellement service tant que nous ne nous nuisons pas l’un à l’autre. Un  bœuf  ou un mouton égorgés selon les rites casher ou halal ne sont pas signataires d’un contrat social avec moi. Un juif ou un musulman français le sont en revanche.

Donc autrui ne me nuit pas s’il mange de la viande casher ou halal. Il ne me nuit pas non plus s’il porte un niqab dans la rue. Lui interdire d’en porter un est en conséquence une violation de notre contrat social. Autrui ne me nuit pas plus quand il nie le génocide arménien. Jusqu’à quand M. Sarkozy justifiera-t-il ces violations répétées de notre contrat social ?

En outre, autrui ne me nuit pas quand, ayant obtenu un diplôme en France, il veut rester dans mon pays pour y travailler. Au contraire, il augmente ainsi notre richesse commune. M. Sarkozy, en le renvoyant chez lui parce qu’il n’a pas la nationalité française, me nuit en revanche clairement et doublement puisqu’une partie de mes impôts a financé les études de cet étranger et que son départ privera mon économie d’une main d’œuvre qualifiée.

C’est pourquoi, au second tour des prochaines élections présidentielles, je n’irai pas voter. Comme il est hors de question que je vote pour un socialiste et comme je ne peux pas non plus voter pour quelqu’un qui ne cesse de me nuire objectivement, je resterai chez moi. Il est fort probable que M. Hollande nuise plus à la France que M. Sarkozy, mais enfin, il y a aussi les principes et M. Sarkozy a violé suffisamment de ces principes pour que je l’en sanctionne [1].

—-
Sur le web

Note :
[1] Ô lecteur attentif de mes billets, tu pourrais donc me trouver incohérent puisque tu me sais utilitariste. Je devrais en effet, de deux maux, choisir le moindre et voter pour M. Sarkozy. Or tu te trompes : une violation répétée de nos principes moraux et sociaux est tout aussi pernicieuse pour notre pays que la mauvaise politique économique que M. Hollande va s’empresser d’appliquer car ce sont ces principes politiques qui assurent justement notre bonheur commun. Un petit passage de cinq ans dans l’opposition fera le plus grand bien à l’UMP : espérons qu’elle en profitera pour enfin se convertir au libéralisme dans le domaine de l’économie comme dans celui des mœurs.

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  • Je crois ,malheureusement ,que mon attitude sera très semblable à la votre lors des prochaines élections présidentielles. Je pense me rattraper lors des législatives . Si je ne suis pas seul on pourrait avoir des surprises.

  • C’est la phrase négative qui est pertinente.
    Elle conduit à s’interroger, à faire un examen de conscience ; elle postule que l’autre, a priori, n’est pas différent de soi ; elle invite, non pas à se mêler des autres, mais à s’abstenir de « faire » si la réciprocité n’est pas souhaitée. Conscience, non-discrimination, respect.
    Cependant, cette maxime me paraît insuffisante. Il faut la compléter par cette autre maxime négative inverse :  » n’accepte pas qu’autrui te fasse ce que tu ne lui ferais pas » (Une réponse par exemple à cette sottise : si on te frappe sur la joue droite etc)

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