Zone euro : « Des plans d’irrigation pendant le déluge »

Croire que la richesse provient de la création de monnaie, au lieu de comprendre que c’est la monnaie qui est la contrepartie de la richesse créée : cette illusion monétaire est pathétique.

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Zone euro : « Des plans d’irrigation pendant le déluge »

Publié le 14 mars 2012
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Il faut être un keynésien illuminé pour croire que la relance du crédit aura le moindre effet sur l’économie réelle et l’emploi. Croire que la richesse provient de la création de monnaie, au lieu de comprendre que c’est la monnaie qui est la contrepartie de la richesse créée : cette illusion monétaire est pathétique.

Par Jean-Yves Naudet.
Publié en collaboration avec l’aleps

L’expression est de Jacques Rueff, à propos de la création des DTS (Droits de tirage spéciaux) par le FMI et des dérives du système monétaire international, alors que le monde était inondé de dollars. Que dirait-il aujourd’hui, face à l’attitude des banques centrales ?

On croyait le stade ultime du keynésianisme atteint avec les folles relances budgétaires, qui ont multiplié les dettes souveraines, puis avec la monétarisation de la dette par la réserve fédérale américaine. On pouvait penser que la BCE, influencée par la rigueur allemande, allait résister. On se trompait : le « super Mario » qui la dirige s’est converti à la secte keynésienne.

 

La mission de la BCE : maintenir la stabilité des prix 

Quel est le rôle de la Banque centrale européenne ? Du point de vue des textes, les choses sont claires. Sur le site officiel de la BCE, on lit, à la rubrique Les missions :

Le traité instituant la Communauté européenne définit les missions du SEBC et de l’Eurosystème, qui sont spécifiées dans les statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la Banque centrale européenne (BCE). Les statuts figurent dans un protocole annexé au traité. Le texte du traité fait référence au SEBC plutôt qu’à l’ Eurosystème. Il a été rédigé en partant du principe que l’ensemble des États membres de l’Union européenne (UE) adopteraient l’euro. C’est l’Eurosystème qui accomplit les missions conférées par le traité tant qu’il existe des pays ne faisant pas partie de la zone.

Le langage est très eurotechnocrate, mais on comprend mieux à la rubrique Les objectifs :

L’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix. […] Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté, tels que définis à l’article 2 (Article 105, paragraphe 1, du traité).

La Communauté se donne pour objectifs d’obtenir un niveau d’emploi élevé et une croissance durable et non inflationniste » (article 2 du traité sur l’Union européenne).

 

Quand la BCE pratiquait la rigueur monétaire

On voit bien comment le traité pour l’Union européenne a cherché un subtil compromis, en donnant à la BCE un objectif que la politique monétaire ne peut atteindre (croissance et emploi), mais dans le respect de sa mission fondamentale (la stabilité des prix).

Mais comme le texte dit toujours que la stabilité des prix est l’objectif principal, on en a longtemps déduit, sous l’influence de la Bundesbank, que la stabilité des prix était une condition impérative de la croissance et donc que tout relâchement monétaire conduirait à plus de chômage et moins de croissance. La BCE a mené une politique monétaire assez restrictive, fixant même un temps un objectif de croissance raisonnable de la masse monétaire, et des taux d’intérêt élevés, pour marquer cette rigueur monétaire.

Le contraste était saisissant avec le laxisme de la Réserve Fédérale américaine, qui a pratiqué des taux proches de 0 % et racheté à tour de bras de la dette fédérale : la FED est devenue le premier détenteur du monde de bons du Trésor américains, devançant la Chine.

Bien sûr, tous les keynésiens d’Europe, hommes politiques en tête, pestaient contre l’indépendance de la BCE à l’époque de Jean-Claude Trichet, qui semblait garder son cap sans s’émouvoir.

Mais progressivement, les coups de canifs dans le contrat se sont multipliés : des taux d’intérêt abaissés (1 %), rachat de dettes grecque, italienne ou portugaise… Mais ils pouvaient passer pour provisoires, pour détendre la pression exercée par les politiques.

 

Plus de 1000 milliards d’euros créés en deux mois !

C’était hélas une illusion. Le 21 décembre 2011, la BCE a accordé à 523 banques 489 milliards d’euros de prêts à trois ans. C’était inimaginable. Le keynésianisme monétaire le plus radical. Le 29 février 2012, Mario Draghi récidivait, allant encore plus loin : 529,5 milliards prêtés à 800 banques.

Mais comment une banque centrale fait-elle pour prêter ? A-t-elle une réserve cachée ?

Non : elle crée de la monnaie. Elle ne crée pas de monnaie contre rien, mais contre des actifs, notamment des créances, comme les titres de la dette grecque, dont les banques sont ravies de se débarrasser. La BCE ne prête pas aux États, mais aux banques qui ont prêté aux États ! Et comme la dette grecque ne sera pas remboursée, le fonds européen de stabilité financière, c’est-à-dire les États européens, apporte une garantie allant jusqu’à 35 milliards.

Le bilan de la BCE pèse désormais 32 % du PIB européen, contre 19 % pour les États-Unis, dont le laxisme monétaire est pourtant ininterrompu depuis dix ans. Ce bilan a plus que doublé depuis qu’elle a commencé à ouvrir le robinet monétaire en 2007.

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin, puisqu’un bilan de banque centrale n’a pas de limite ?

 

Cette fois, il n’y aura pas d’arche de Noé

En fait, les limites existent : c’est le non-remboursement de ces créances plus que douteuses. Que se passerait-il ? Comme l’explique Les Échos, « si jamais un incident se produisait, l’institut d’émission devrait augmenter son capital, c’est-à-dire faire appel aux États de la zone euro ».

On tourne en rond ! La BCE prête aux banques qui prêtent aux États qui recapitalisent la BCE : de la pure cavalerie !

La logique financière n’y trouve pas son compte, mais les partisans du système invoquent la logique économique. Les banques retrouvent une certaine aisance dans leurs liquidités et peuvent donc financer une croissance essoufflée alors qu’aujourd’hui elles sont tétanisées.

Croit-on qu’on puisse faire boire un âne qui n’a pas soif ? Pour gonfler les crédits à l’économie, avec des taux d’intérêt dérisoires voire négatifs, les banques prêteront à n’importe qui. Croit-on que cela n’aura aucun impact sur les prix ? En attendant cette grande « reprise », les banques vont prêter aux États : n’est-ce pas une bonne idée d’emprunter à 1 % à la BCE pour prêter à 2 ou 3 % aux États européens ?

« Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites », disait le sapeur Camember. Il faut être un keynésien illuminé pour croire que la relance du crédit aura le moindre effet sur l’économie réelle et l’emploi. Croire que la richesse provient de la création de monnaie, au lieu de comprendre que c’est la monnaie qui est la contrepartie de la richesse créée : cette illusion monétaire est pathétique.

Elle est surtout tragique. Un jour ou l’autre, cela se traduira en inflation. Cette année, la zone euro va emprunter plus de 800 milliards. Peu importe, puisque l’inondation monétaire financera le tout. Allons-nous revenir à la rigueur ? En dépit d’un accord européen qui ne sera pas ratifié par plusieurs pays (l’Irlande fera un referendum, l’Angleterre et la République tchèque n’en veulent pas, Hollande s’il est élu renégociera, etc.), chacun va essayer de s’en sortir au détriment des autres, et tous voient le salut d’une économie surendettée dans la monétisation des dettes : il s’agit bien de « plans d’irrigation pendant le déluge ». Mais cette fois, il n’y aura même pas d’arche de Noé.

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