Les lois et la confiance

La loi est-elle toujours la seule façon d’établir la confiance ? La loi est-elle même un moyen efficace d’établir la confiance recherchée, en toute circonstance ?

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Justice (Crédits Michael Coghlan, licence Creative Commons)

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Les lois et la confiance

Publié le 3 mars 2012
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Devant la complexification et la mondialisation de la société moderne, l’État est perçu comme un acteur direct de la confiance via un rôle de juge, de garant ou de dernier recours. Mais la loi est-elle toujours la seule façon d’établir la confiance ? La loi est-elle un moyen efficace d’établir la confiance recherchée, en toute circonstance ?

Par Stéphane Geyres, Institut Coppet

JusticeLa confiance est un mécanisme essentiel de toute société humaine. Lors des inévitables et nombreux échanges et interactions entre humains au quotidien, la confiance mutuelle – ou la méfiance, son opposé – est sous-jacente, omniprésente, c’est elle qui détermine en grande partie la décision de faire ou non une transaction.

L’achat d’une voiture, d’une maison ou même d’une simple baguette de pain, suppose la confiance mise a priori envers le commerçant quant à la capacité de son produit ou service à satisfaire notre attente. Si une fois acheté, le produit devait s’avérer trop éloigné de cet « idéal », la confiance mise dans le commerçant, la marque ou autres entités commerciales associées au produit défaillant, se verrait réduite et ceci peut-être au point d’empêcher toute nouvelle transaction dans le futur avec cet interlocuteur.

Ce cas est simple, voire simpliste, et il y a dans notre société sophistiquée bien d’autres cas à la fois plus complexes et plus subtils, mais qui restent centrés sur cette question de la confiance mutuelle : confiance envers les médecins et autres professions dites libérales, confiance en matière de médicaments, sécurité des aéroports, sur la route, confiance envers le restaurant qui nous nourrit, sécurité des produits achetés en grande surface, confiance dans les banques et même, confiance dans la monnaie.

Justement, devant la complexification et la mondialisation de la société moderne, l’État s’est pris – épris ? – depuis quelques décennies, avec une forte accélération depuis une trentaine d’années, à se positionner comme un acteur direct de la confiance via un rôle qui varie mais qui repose en général sur une logique de juge, de garant ou de dernier recours.

On rappellera pour la bonne forme que le rôle unique et précis d’un État, la fonction étatique donc, n’est que de garantir à tous ses citoyens les conditions de l’égalité devant le droit, rien de moins, mais aussi rien de plus. Ce rôle induit en effet une fonction quant à la confiance que le citoyen peut avoir à tout moment que ces conditions sont bien remplies et assurées, mais logiquement, là s’arrête le lien entre État et confiance.

Pourtant, chaque jour qui passe nous apporte quelque soi-disant nouvelle situation, plus ou moins médiatisée, où on en appelle à ce cher – très cher – État pour nous rassurer et nous apporter la confiance supposée nécessaire. Ce faisant, on a vu fleurir ces dernières années de nombreuses réglementations, lois, textes, décrets etc. – ainsi que leurs cortège de nouveaux organismes le plus souvent publics – et de plus en plus, les individus et les entreprises doivent être ‘conformes’ à tout – et surtout à n’importe quoi.

Par suite, on a créé dans les entreprises, et chez les familles et individus aussi dans une certaine mesure, une forte contrainte d’assurance de la conformité qui n’existait pas avec une telle ampleur jusqu’à il n’y a pas si longtemps : conformité aux lois de ‘sécurité financière’, conformité à la CNIL, conformité aux 35 heures, conformité à la sécurité incendie, conformité grippe A, et j’en passe bien d’autres, de tous ordres et toutes aussi coûteuses et stupides les unes que les autres.

Ce qui me frappe toujours devant cet afflux d’obligations tient en une question simple, de bouseux : mais comment faisait-on avant ? Tous ces sujets sont-ils vraiment si nouveaux ? N’y a-t-il pas de nombreux autres sujets où une question de confiance se pose qui sont explicitement ou implicitement gérés, même alors qu’il n’y a pas d’obligation de conformité ? Ne sont-ils pas porteur d’une solution simple qui pourrait être reprise ?

Dit autrement et en termes simples : la loi est-elle toujours la seule façon d’établir la confiance ? Et finalement, la loi est-elle même un moyen efficace d’établir la confiance recherchée, en toute circonstance ? Je sens déjà des bouffées d’émotions monter chez bien des lecteurs à la lecture d’une question devenue de nos jours aussi blasphématoire envers sa sainteté l’État.

Prenons donc quelques exemples de mécanismes existants, si possible – relativement – libres et spontanés, qui régulent (au sens strict : assurer une régularité) la confiance dans divers domaines. Ou au contraire, des exemples où la confiance est totalement artificielle – et en fait inexistante – qui résulte de l’obligation et non du libre-choix.

Un des meilleurs – et rares – exemples qu’on puisse probablement trouver dans notre pauvre société française, si malmenée et mise sous tutelle, reste probablement la restauration. Vincent Bénard a d’ailleurs rédigé un article immense sur cet exemple, ici.

Se nourrir est une fonction des plus vitales, très bas dans la pyramide de Maslow, juste au-dessus de « respirer » et de « boire ». Les risques d’indigestion, de maladie ou autre intoxication alimentaire sont évidents et des accidents arrivent d’ailleurs encore trop souvent. Par ailleurs, le restaurant, la cuisine, surtout en France, c’est de nature charnelle, plaisir, sensualité, fantaisie, imaginaire. Comment savoir lequel choisir, lequel est bon et comment savoir s’il est fiable, sain et servira une cuisine toujours de qualité dans le temps ?

Devant une question touchant des considérations aussi basiques voire vitales, il est étonnant – mais heureux – de constater que le secteur de la restauration n’a pas trop subi les affres de la « communistisation » de notre société – un peu quand même… Et pourtant, globalement, ça marche. Mais comment ce fait-ce ?

C’est en fait très simple : c’est le marché libre qui assure cette fonction, sans que personne en particulier ne l’organise. Chacun de nous se renseigne, découvre les nouveaux restos, les teste, ou pas, ou s’appuie sur le bouche à oreille. Des articles sont spontanément écrits et lus sur le sujet, les avis se font, et se défont. Ceux qui tentent reviennent s’ils ont été contents, parlent en bien du restaurant honnête et performant. Ou au contraire, n’y retournent pas et calomnient le mauvais restaurateur. Au bout du compte, très vite, les mauvais disparaissent et ne restent que ceux qui offrent un rapport qualité prix correct et sur la durée. Nous savons tout cela et le pratiquons presqu’instinctivement.

La confiance se construit donc naturellement via tout un réseau de mécanismes : le bouche à oreille, la presse spécialisée, la carte affichée devant le restaurant, le test sans grand risque, etc. Et en y réfléchissant, on se convainc vite que ces mécanismes sont aussi ceux qu’on emploie pour choisir son garagiste, son boulanger, un lieu touristique à visiter, et bien d’autres.

Après un tel exemple optimiste libéral et réaliste, prenons à l’inverse un secteur dont les enjeux vitaux ne sautent pas aux yeux, même à ceux d’Argus. Les pompes funèbres par exemple. Sous le prétexte que la situation dramatique de leurs clients pourrait être source d’abus, ce marché n’est pas libre et n’importe qui ne peut pas s’installer croque-mort. On se souvient sans doute du tollé lorsque le groupe E. Leclerc partit à l’assaut de la profession. Mais en quoi confier ce privilège à une corporation fermée est-il un gage de confiance ? Le risque d’abus reste hélas le même.

Autre exemple, les taxis. Quel est donc le risque pour le consommateur qui justifie le monopole actuel de cette profession ? Quelle confiance envers quel risque le monopole apporte-t-il ? Celui de payer le juste prix ? Non pas, car l’absence de concurrence sur les prix maintient ceux-ci bien plus haut que le niveau sur un marché libre. L’assurance que le chauffeur connaît Paris ? Avec le GPS, cet argument tombe tout seul ! Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer que le choix d’un taxi se fasse sur la base de la confiance qu’on accorde, ou pas, à un chauffeur, une compagnie, une association de conducteurs ?

On le voit, sur ce type de marché, la confiance et ses mécanismes naturels ne sont pas efficacement remplacés par ceux du monopole ou de l’interventionnisme. Et on peut facilement généraliser. Le code de la route et son permis de conduire, à quoi bon ? Les nombreuses certifications obligatoires – électricité, immobilières, transports – les professions libérales, dont les médecins, les pharmaciens, les rayons X dans les aéroports, etc., pourquoi faire ?

On peut même généraliser avec les banques. Mais si. Probablement le secteur d’activité le plus réglementé qui soit, ceci sous prétexte qu’il s’agit de protéger notre argent des voleurs et des fraudeurs. Mais est-on bien sûr que la confiance ne ferait pas aussi bien ?

L’intérêt du banquier, ce n’est pas juste de faire un coup, prendre l’oseille et se tirer, mais de générer du profit dans la durée. Cette durée, il lui faut la gérer, sinon, son projet devient vite aléatoire. Il lui faut donc établir la confiance, une image positive donc, en bref, une réputation flatteuse. Et elle ne sera durablement flatteuse que si les actes rejoignent la parole, donc si le secret bancaire est bien gardé, s’il ne fait pas faillite, s’il est capable de rendre les fonds confiés, s’il est à l’écoute pour les financements… Bref, s’il assure un niveau de service qui est celui que la réglementation exige de lui.

En d’autres termes, rien de ce que la réglementation exige ne serait pas déjà assuré par le seul besoin de garder, d’améliorer même, sa réputation. Le mécanisme probablement le plus fort et le plus efficace de l’arsenal de la confiance sur un marché libre, c’est le maintien de la réputation du vendeur, bien social le plus précieux de la société libre.

Les boutiques de luxe des grandes marques parisiennes n’ont pas besoin de réglementation pour veiller à leur réputation de qualité sur le marché. Pourquoi cette force d’un des phares de l’industrie française ne suffit-il pas à convaincre nos gouvernants qu’un secteur économique n’a jamais besoin de textes toujours imparfaits tentant vainement de se substituer au mécanisme naturel de la confiance et de la réputation ? Et que le meilleur moyen de protéger le consommateur, c’est en laissant le marché libre organiser les mécanismes optima de la confiance.

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