Nous vendons notre vie privée au moins offrant

Google est épinglé par la presse pour sa proposition de panel rémunéré. Mais le plus gros pilleur de données, ce n’est pas lui.

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Nous vendons notre vie privée au moins offrant

Publié le 15 février 2012
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Il y a quelques jours, Google défrayait à nouveau la chronique et remettait sur le tapis l’épineuse question des données privées et personnelles à l’heure où Internet s’incruste dans nos vies comme jamais aucune technologie ne l’avait fait auparavant…

Il était évident qu’avec une telle proposition, Google ferait à nouveau parler de lui et qu’il aurait le droit à quelques beaux articles enflammés dans la presse, notamment française.

Quelle proposition ? Celle de rémunérer des internautes pour que Google puisse en traquer les moindres clics. La firme californienne présente ainsi son programme Screenwise qui s’emploie à suivre les internautes volontaires dans leurs moindres déplacements, en échange d’une rémunération pouvant aller jusqu’à 25$ sous forme de bons « cadeau ».

L’idée, pour Google, est de faire des études statistiques massives, d’utiliser, en quelque sorte, la foule des internautes et de coupler leur comportement à la puissance de calcul dont dispose le géant de la recherche sur internet ; pour le moment, c’est sur une période de 12 mois, avec un « paiement » sous forme de bons de réduction (sur Amazon, dans ce cas-ci) tous les trois mois. On imagine sans mal les retombées (publicitaires, comportementales, …) que la firme serait à même de retirer de l’expérience et on comprend qu’elle a donc suscité un intérêt suffisamment important pour engorger le site que Google avait mis en place.

Notez que l’expérience rémunérée est sur base uniquement volontaire, et permet de définir pour chaque utilisateur ce qu’il souhaite divulguer de ce qu’il souhaite conserver par devers lui ; ainsi, les navigations en mode « privé » dans le navigateur Chrome le restent (en tout cas, c’est ce à quoi s’engage la firme dans la présentation de son programme).

Google SkynetEvidemment, avec une telle proposition, la presse française n’a pas manqué de rappeler que la firme californienne jouait une nouvelle fois au Big Brother sur Internet, voire à balancer quelques contre-vérités (pour ne pas dire autre chose) afin de bien faire comprendre toute l’horreur de la situation.

Sans tomber dans l’angélisme et prétendre que Google n’est mu que par le seul désir de comprendre mieux l’Humanité et sa clicomanie récente, on peut encore une fois constater qu’il n’aura pas fallu titiller bien fort les frétillants journalistes de la presse française, quand bien même le panel Google n’est pour le moment ouvert qu’aux Américains. Rapidement ont fleuri des titres « Vendre votre vie privée contre 19€ » et des variations racoleuses sur le thème d’une prostitution de sa vie privée pour une poignée de lentilles Amazon.

Le principal problème de Google semble évident : il est américain, dominant sur le marché, propose des services gratuitement et engrange quand même les dollars à gros bouillons, brise régulièrement des tabous ou fait preuve d’une créativité qui a depuis longtemps disparu de France, à commencer par les rédactions de presse où le summum de l’originalité est d’être entièrement équipé en Mac (ils « think » tous « different » en même temps, en somme).

Une entreprise qui réussit, qui est même appréciée des consommateurs, capitaliste, outrageusement bénéficiaire, et (insulte suprême) américaine, voilà qui justifie amplement qu’on l’égratigne dans les articles de presse, spécialisée ou non, ou, mieux, qu’on l’étrille dans des jugements ubuesques où, en substance, on va amèrement reprocher au géant de se vautrer dans le vice de la gratuité, court-circuitant ainsi des concurrents (français) coincés dans un business-model dépassé.

Google searchOn peut se demander ce qui pousse, finalement, la presse française dans ce biais assez caractéristique. Attention, comme je l’ai déjà dit plus haut, je ne veux pas dire ici que Google serait irréprochable et que sa position dominante évidente ne lui donne pas la possibilité de faire des choses que l’éthique réprouverait. Il est en effet possible, voire probable, que le géant californien se serve de ses services pour aller toujours plus loin dans l’observation statistique et comportementale humaine et pas toujours, loin s’en faut, avec des buts philanthropiques.

Mais il existe cependant un garde-fou évident aux pratiques de Google, garde-fou que semblent oublier très vite les folliculaires pressés de l’hexagone dans leurs derniers petits papiers. Si l’on veut vraiment se tenir à l’abri de l’œil scrutateur de Google, on peut très bien se passer d’en utiliser les services. On peut ainsi utiliser d’autres moteurs de recherche, d’autres outils de cartographie, un autre browser que celui fourni par Google. On peut, assez facilement, ne rien émettre vers cette firme. Cela demande, certes, un peu d’attention mais n’est pas à proprement parler insurmontable.

Mais voilà : cette réalité d’une simplicité enfantine est bien vite oubliée. Google est le Goliath que tous les Davids journalistes français rêvent secrètement de terrasser un peu, et tant pis s’ils ont aussi un compte Facebook. Mais surtout, s’il semble indispensable de rappeler à Google qu’il ne faut surtout pas tenter ce genre de cascade parce que, comprenez-vous, c’est mal, on pourra oublier de se souvenir que la plus grosse entité qui se gave de données personnelles, jusqu’à présent, ce n’est certainement pas Google, Facebook ou même Visa (qui, pourtant, sont très bien placés pour le faire).

C’est, d’abord et avant tout, l’État. Et tout particulièrement en France (mais pas que). Et si votre banque connaît quelques uns des aspects de votre vie, l’État, lui, les connaît tous : il sait combien vous avez d’enfants, votre état général de santé, votre niveau de diplôme, vos revenus, votre consommation d’électricité, de gaz. S’il le veut, et sans que vous n’en sachiez rien, sans que vous puissiez vous en protéger, il peut décider de savoir ce qui passe sur votre ligne téléphonique, peut décider de regarder dans vos tiroirs, dans vos armoires, et emporter sans se justifier ce qu’il juge intéressant. Il peut décider, arbitrairement, de vous emmener faire un tour au poste de police (et pas forcément le plus proche).

Et là où Google déclenche des douzaines d’articles d’une presse vibrant à l’unisson d’une éthique en béton armé visant à protéger la veuve, l’orphelin et leurs données privées de navigation, les exactions de l’État en matière de protection des droits civiques de base dans de récentes affaires n’ont provoqué qu’une paire d’articles sur des supports spécialisés. On veut bien think different, mais surtout pas trop pour éviter de sortir du lot.

Mais surtout, personne ne s’étonne du fait qu’au contraire de Google qui propose tout de même une poignée de cacahuètes en l’échange des données personnelles, l’État, lui, s’est fendu d’une ponction de plus de 26.000€ par Français pour avoir aussi le droit de mettre son museau dans vos affaires.

Bien sûr, Google est capitaliste et cette distribution de bons Amazon est une abomination bassement mercantile. Alors que les dettes étatiques pachydermiques, elles, sont pour notre bien.

Et tout le monde sait que l’État, jamais, ne pillera les données personnelles (ou plus) sans demander son avis aux intéressés.
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