Le Triomphe de la cupidité, un navet de Joseph Stiglitz

Un nouveau livre affligeant, dont nous vous présentons quelques perles.

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Joseph Stiglitz (René Le Honzec/Contrepoints.org, tous droits réservés)

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Le Triomphe de la cupidité, un navet de Joseph Stiglitz

Publié le 6 février 2012
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Joseph Stiglitz nous a gratifié d’un livre, Le Triomphe de la cupidité. Un livre (pas nouveau) affligeant, dont nous vous présentons quelques perles.

Un article d’Alain Cohen-Dumouchel.

Le triomphe de la cupidité est la traduction française de Freefall-America, Free Markets, and the Sinking of the World Economy paru en janvier 2010 aux États-Unis. L’ouvrage traite de la crise de 2008, dite des subprimes, de ce qui l’a précédé, de ses conséquences, et enfin des moyens d’y remédier à court et à long terme.

L’auteur, prix Nobel d’économie, appartient à l’école néo-keynésienne. Il défend l’interventionnisme étatique. Selon lui, l’État et les réglementations en place n’ont rien à voir dans la crise de 2008. Il donne également des conseils pour éviter les crises futures qui tiennent en trois mots : davantage de réglementations.

Le crédo de Stiglitz, c’est que l’État doit piloter l’économie et encadrer les banques. Il plaide pour la stimulation qui consiste à dépenser beaucoup d’argent (il insiste là-dessus) pour orienter l’économie vers des secteurs porteurs. Selon la doctrine keynésienne l’argent ainsi investi aura des multiplicateurs élevés.

Le pavé fait 467 pages. Il est très mal écrit, tout au moins pour la traduction française, mais il est probable que l’original en anglais n’y est pas pour rien. Il faut parfois relire trois fois une phrase pour ne pas comprendre ce que veut dire Joseph Stiglitz. Les répétitions sont multiples et vraiment pénibles. Le texte aurait pu être raccourci de moitié sans rien perdre de son contenu.

L’ensemble est extrêmement confus. Le triomphe de la cupidité n’est pas un ouvrage de vulgarisation, il est beaucoup trop indigeste pour cela. Mais il ne constitue pas non plus une démonstration technique des effets et des causes de la crise de 2008, il n’en a pas la rigueur.

Le chapitre « Remerciements » qui suit la préface est très révélateur. Joseph Stiglitz est manifestement très fier de relater ses rapports privilégiés avec tous les puissants de ce monde. La liste de ses relations est effectivement assez impressionnante. Ce qu’il faut retirer de ce chapitre particulièrement soporifique est que Stiglitz est un membre de l’oligarchie financière, un membre critique certes, mais très bien intégré et très influent.
La posture, presque comique, qui consiste à gronder l’administration Obama parce qu’elle n’a pas suffisamment relancé-stimulé l’économie ne doit pas tromper le lecteur. En envoyant le message : « vous devez davantage intervenir, vous devez davantage contrôler », Stiglitz flatte les dirigistes tout en faisant semblant de les critiquer. C’est ce qui fait son succès et sa popularité parmi les gouvernants du monde.

L’auteur prétend s’attaquer au fondamentalisme du marché mais il confond continuellement dans ses analyses les banquiers proches de Washington et les vrais partisans du free market. Cet amalgame entre l’oligarchie financière et industrielle des États-Unis et les défenseurs sincères de l’auto-régulation des marchés rend l’argumentation de Stiglitz très faible. Que des lobbies de Wall Street aient usé de leur influence à Washington pour ajouter, modifier ou supprimer des lois en leur faveur pendant la phase de croissance de la bulle immobilière est une évidence. Le problème est que cette proximité du pouvoir avec les intérêts économiques est très fermement dénoncée par les libéraux. Mettre dans un même sac les positions corporatistes des banquiers, les néo-conservateurs de Bush et les libéraux (libertarians) est une aberration qui, malheureusement bernera la plupart des lecteurs.

Il faudrait un autre livre pour critiquer point par point chacune des affirmations et des présupposés de Stiglitz. On peut relever certaines erreurs criantes.

Stiglitz part du principe que le secteur de la finance était dérèglementé. C’est évidemment objectivement faux, c’est probablement le secteur le plus réglementé du monde, largement devant les centrales nucléaires.

Il évacue rapidement l’influence du Community Reinvestment Act (CRA) en pages 48 et 49 : « ce sont les banques, sans aucune incitation de l’État, qui se sont lancées dans les subprimes ». Selon lui, le fait que l’État ait obligé les banques à prêter autant aux minorités ethniques qu’au reste de la population n’a eu aucune influence sur la crise. Pour étayer cela, Stiglitz évoque le renflouement d’AIG, une banque d’affaires spécialisée dans les CDS qui a mobilisé 200 milliards de dollars d’argent public pour son sauvetage. Il conclut que si des banques n’ayant rien à voir avec les subprimes et le CRA ont du être secourues, cela démontre qu’elles se lancent toutes seules dans les activités à risques. C’est 235 pages plus loin, au chapitre 6, que Stiglitz détruit lui-même son argument. Il établit en effet le lien entre les crédits hypothécaires et leurs dérivés qu’il qualifie d’innovations à risques : « ils [les marchés financiers] ont coupé en rondelles les crédits hypothécaires dans des titres, puis coupé en rondelle ces titres dans des produits toujours plus compliqués » (p. 283). Il explique ensuite page 284 :  « AIG vendait des assurances contre l’effondrement d’autres banques – type particulier de dérivé qu’on appelle un Credit Default Swap (CDS) ».

La propension de Stiglitz à se contredire est particulièrement sensible dans le domaine de l’interventionnisme. Il conspue tout au long du livre les marchés libres, et leur attribue tous les maux mais il ne peut s’empêcher d’avouer involontairement – 467 pages c’est difficile à contrôler – que la finance n’est pas un marché libre. Quelques exemples significatifs :

Page 47 (quel aveu !) : « Une réglementation laxiste sans argent bon marché n’aurait peut-être pas conduit à une bulle. Mais l’important c’est que l’argent bon marché avec un système bancaire bien géré ou bien réglementé aurait pu conduire à une expansion […]

Page 231 : « Ce renflouement et ses nombreux prédécesseurs des années 1980,1990 et des premières années 2000 ont envoyé un signal fort aux banques : n’ayez pas peur des prêts qui tournent mal, l’État ramassera les morceaux.»

Page 265 (magnifique exemple donné par Stiglitz lui-même où la réglementation aboutit à une dérégulation) : « Quand la crise s’est développée, l’autre exigence des banques […] a été l’interdiction des ventes à découvert ».
« La vente à découvert incite puissamment les acteurs du marché à débusquer la fraude et le crédit imprudent – certains pensent qu’elle a davantage contribué à mettre un frein à ces mauvais comportements que les autorités de contrôle de l’État. »

Malgré ses défauts l’ouvrage contient plusieurs exposés convaincants sur les magouilles des banquiers, l’enfer des crédits hypothécaires pour les particuliers, le gâchis humain engendré par la crise, les contradictions entre la politique imposée par le FMI aux pays pauvres et l’image donnée par la faillite financière américaine.
Pris isolément, il y a donc des paragraphes intéressants dans ce livre, mais le parti pris idéologique de Stiglitz est tellement lourd qu’il devient impossible à un lecteur non averti de démêler le vrai du faux, d’aller du général au particulier, et de remettre dans le bon ordre les causes et les conséquences de la crise. Nous avons affaire à un livre de propagande contre le marché libre dont le procédé principal est la falsification des idées libérales.

Lorsqu’on l’écoute ou le lit, Stiglitz avait évidemment prévu la crise de 2008. Malheureusement personne ne l’a écouté et l’économie a connu une crise très grave…
La recette de Stiglitz au moment de la parution du triomphe de la cupidité consiste à ce que les États dépensent beaucoup plus en s’endettant beaucoup plus. Pages 118 à 122, il expose les sept principes d’un plan de stimulation réussi et critique celui mis en place par l’administration Obama jugé trop restreint et qui « aurait pu être plus efficace » (page 123) pour conclure page 130 : « 800 milliards de dollars sur deux ans ne faisaient pas le poids. »

Dans son prochain bouquin Stiglitz affirmera certainement qu’il avait prévu la crise de la dette de 2011, mais là nous pourrons lui ressortir un peu cruellement il est vrai ce qu’il écrivait en janvier 2010. Je vous en laisse juge :

Pages 183-184 : « L’État (via la Fédéral Reserve) a prêté de l’argent aux banques à des taux d’intérêt très faibles. Puisque l’État peut emprunter à un faible taux d’intérêt, pourquoi ne pas utiliser cette aptitude pour fournir un crédit moins coûteux aux propriétaires en difficulté ?  […] C’est bénéfique pour tout le monde – sauf pour les banques. L’État a un avantage sur elles, tant pour lever les fonds (puisque ses risques de défaut de paiement sont pratiquement nuls) que pour percevoir les intérêts. »

Page 233 : « Traditionnellement la Federal Reserve achète et vend des bons du trésor, des bons d’État à court terme. […] Il n’y a aucun risque que les bons posent problème : ils sont aussi sûrs que l’État américain. »

Page 271 : « Le système financier avait toujours eu des produits qui répartissaient et géraient le risque. Celui qui voulait un actif très sûr achetait un bon du Trésor. Celui qui voulait prendre un peu plus de risques pouvait acheter une obligation d’entreprise. Les parts de capital (les actions) étaient encore plus risquées. »

Page 289 : « Le débat continue sur ce qui attirait des milliers de milliards de dollars dans les dérivés. L’argument allégué est la « meilleure gestion du risque »: par exemple, ceux qui achètent les obligations d’une entreprise souhaitent se décharger du risque de faillite de cette entreprise. Cet argument n’est pas très convaincant. Si l’on veut acquérir un titre sans risque de crédit, on peut acheter un bon d’État de maturité comparable. C’est aussi simple que cela. »

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