Désindustrialisation ?

Il y a dans ce qu’on appelle la désindustrialisation une part qui vient de l’omniprésence de l’État qui bloque les adaptations.

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Désindustrialisation ?

Publié le 1 février 2012
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Il y a dans ce qu’on appelle la désindustrialisation une part qui correspond à l’évolution de nos libres choix de clients, mais aussi une part artificielle qui vient de l’omniprésence de l’État qui bloque les adaptations.

Par Jean-Yves Naudet
Article publié en collaboration avec l’aleps

Les manifestants de Lejaby, le 17 janvier à Lyon.

Le terme est à la mode et les hommes politiques en usent et en abusent : la France est en voie de désindustrialisation. Chaque fermeture d’usine (comme Lejaby à Yssingeaux) en apporterait la preuve. Il faudrait donc réindustrialiser la France, produire français et acheter français, grâce à une politique industrielle et protectionniste. Certes l’emploi industriel recule. Mais c’est l’effet conjoint de l’évolution de la consommation et des spécificités du « modèle français ». Relancer l’industrie française à tout prix ne ferait qu’aggraver la situation.

La vie économique est faite de mobilité

Les fermetures d’usine sont toujours douloureuses pour ceux qui y travaillent parfois depuis longtemps. Elle sont aussi très médiatisées : on l’a vu encore à propos de l’usine Lejaby d’Yssingeaux. Au-delà des réactions syndicales et politiques qui participent de la démagogie (gardons l’emploi sur place, non aux licenciements), le désespoir de certains salariés n’était pas feint. Mais parmi les victimes des fermetures, il y a ceux qui sont plus sensibles au discours syndical (garder le même emploi) et ceux pour qui l’essentiel est de retrouver un emploi (dans cette usine ou dans une autre, à ce poste ou à un autre).

Quant aux mutations dans le tissu des entreprises on ne pourra pas les éviter, tout au plus peut-on les gérer en les préparant. La vie économique est mobilité ; les consommateurs modifient leurs achats ; la production doit s’adapter aux nouvelles demandes. L’emploi doit donc aussi changer, en suivant ces évolutions.

De l’agriculture vers l’industrie, de l’industrie vers les services

Il y a deux siècles, 90% des Français travaillaient dans l’agriculture. Les spectaculaires gains de productivité agricoles font qu’aujourd’hui l’agriculture, avec moins de 5% des emplois, produit beaucoup plus, permettant un accroissement des dépenses alimentaires, et dégageant des excédents destinés à l’exportation. En quelques générations, l’agriculture a détruit des millions et des millions d’emplois.

Mais la hausse de la productivité agricole a contribué à la hausse du pouvoir d’achat des Français, qui ont pu ainsi diversifier leur consommation. Progressivement la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation est passée de 90 % à 15 % ou moins. Les gens se sont tournés vers les produits manufacturés : les automobiles, les réfrigérateurs, les machines à laver, les télévisions, etc. L’industrie a créé massivement des emplois qui ont absorbé la population rurale.

C’est le même phénomène qui se reproduit avec le passage de l’industrie aux services. Les gains de productivité dans l’industrie ont été à leur tour spectaculaires ; ils ont permis de produire beaucoup plus, avec moins de main d’œuvre. La hausse des revenus a permis à nouveau de se tourner vers d’autres consommations, celles du tertiaire. Plus des deux tiers de nos consommations, donc des emplois, sont désormais situés dans les services : services à la personne, santé, enseignement, assurance, finance, loisirs, culture, tourisme, etc. Les services constituent 70 % des échanges mondiaux.

Le chômage frictionnel

Il y a là l’action conjointe des clients, à qui la hausse des revenus offre de nouveaux choix, et des entrepreneurs, dont le rôle est d’anticiper les nouvelles demandes et d’imaginer de nouveaux moyens d’y répondre. Dans une vraie économie de libre marché, le changement permanent d’emploi se fait assez facilement. Certes, il modifie des habitudes, mais les créations d’emplois dans les services compensent, et au-delà, les destructions dans l’industrie.

Sans doute le passage d’un emploi industriel à un autre, industriel ou pas, peut-il prendre un certain temps, et donner naissance à ce que les économistes appellent le « chômage frictionnel ». Ce temps est fonction de la qualification, et de l’information dont disposent employeurs et employés sur les possibilités de reclassement. Mais il n’est pas en général très long dans les pays où le marché de l’emploi est bien organisé. Aux États-Unis, la durée du chômage a été de 21 semaines en 2010, contre 65 semaines en France. Cela signifie qu’en France nous ne sommes pas en présence d’un chômage frictionnel, mais bien d’un chômage structurel, qui s’explique en général par les rigidités du marché du travail.

La consommation de produits industriels augmente

En réalité nous consommons plus de produits manufacturés qu’avant, mais ils nécessitent moins de main d’œuvre. C’est un premier point important.

Un second point est que la frontière entre produits industriels et services n’est pas étanche, tant s’en faut. Comme Gary Becker l’a démontré, ce n’est pas un « produit matériel » que nous consommons, mais les services qu’il nous rend. On ne consomme pas un réfrigérateur, mais les services du froid. D’ailleurs, dans le prix d’un produit « industriel », quelle est la part de services incorporés : conception, publicité, administration, commercialisation, après vente, assurances, formation, etc ? Souvent supérieure à 80 %.

Jean-Baptiste Say et Bastiat avaient déjà compris que tout ce qui correspond à une demande, tout ce qui répond à un besoin, est productif. Distinguer un secteur « noble », l’industrie, d’un secteur artificiel, les services, est une vision matérialiste de la vie économique, vision véhiculée par le marxisme (en URSS on ne calculait que le « produit matériel brut »).

La « mauvaise désindustrialisation » vient de l’État

Donc, a priori, la désindustrialisation de la France n’est pas une catastrophe. Pourtant, on peut aussi s’interroger sur certaines spécificités de notre pays. Pourquoi les créations d’emplois dans le tertiaire ne compensent-elles pas assez rapidement les pertes industrielles ? Pourquoi l’Allemagne a-t-elle un secteur industriel plus important que le nôtre ?

La réponse est hélas toujours la même : l’omniprésence de l’État. Tout d’abord, l’État distrait du marché du travail une masse d’emplois qui pourraient se créer et reclasser les personnes confrontées au chômage frictionnel. Ce sont les « faux emplois » engendrés par le gonflement des services publics. La « gratuité » (en matière de santé ou d’éducation) fausse les choix des ménages et pousse à la surconsommation de services. Les dépenses publiques privent les entreprises industrielles et les autres des moyens financiers de créer des emplois : c’est « l’effet d’éviction ». Les innombrables professions protégées, les monopoles publics, privent l’économie française de la souplesse indispensable à l’adaptation. L’innovation est muselée par la réglementation.

Dans ces conditions, toutes les solutions actuellement envisagées par les politiques sont vouées à l’échec : le protectionnisme et les impôts anti délocalisation réduiront encore la concurrence et l’incitation à s’adapter ; la politique industrielle introduira d’artificielles distorsions et conduira comme par le passé à des catastrophes. L’État et ses experts se trompent toujours ; le « redéploiement » des dépenses publiques et des prélèvements ne changera rien : il faut avant tout les diminuer.

Il y a donc dans ce qu’on appelle la désindustrialisation une part qui correspond à l’évolution de nos libres choix de clients, mais aussi une part artificielle qui vient de l’omniprésence de l’État qui bloque les adaptations. La liberté économique et le retrait de l’État sont les conditions nécessaires pour éviter bien des drames nés des fermetures d’entreprises.

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  • La consommation de produits manufacturés ne va pas cesser, mais remarquons les changements de comportement de la part des consommateurs. Le produit n’est plus perçu en lui-même, la consommation est devenue un flux: il ne s’agit pas de supprimer l’industrie (est-ce que celle-ci a fait disparaître l’agriculture ?) mais de l’intégrer dans une relation non plus au client (qui s’est enfui, peut-être pour sa perte, peu importe) mais à l’usager. Le produit en lui-même n’est plus une fin en soi, ce qui compte désormais c’est son usage. Il faut que les entreprises françaises se mettent à niveau malgré des logiques conservatrices, notamment, c’est vrai, au niveau des états.
    Les candidats pour 2012 parlent de récupérer la production en France, comme si l’industrie n’était pas en elle-même une libération de la contrainte territoriale. Ce qu’il faut c’est une relocalisation de l’économie et ça passe par le service (et si ça entraîne une relocalisation relative d’une production dans certains domaines, de la part de certaines entreprises… tant mieux).

  • Excellent article, très pédagogique.

  • excellent article.je suis plus dubitatif sur le libre choix des clients.pas sur qu’il existe tant que cela

    • Qu’est-ce que la liberté ? On pourrait parler de structure dynamique de notre conditionnement. Ainsi la société de surproduction a engendré la société de consommation, l’invention de nouveaux besoins a atteint un seuil cognitif qui empêche le consommateur de s’investir dans le produit comme fétiche (autrefois le réfrigérateur avait une existence propre, il y a bien eu une transformation des rapports aux choses par l’intermédiaire de cette marchandisation accusée par erreur de tous les maux… une dématérialisation non pas au niveau du produit, qui reste manufacturé, mais au niveau de la consommation). Ce serait donc bien l’industrie qui contiendrait en elle-même le fondement de son propre dépassement.

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