Non à la « bad bank »

La bad bank est un dispositif opaque élaboré pour transférer l’argent de la poche du contribuable vers les comptes de résultat du secteur financier

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Non à la « bad bank »

Publié le 25 janvier 2012
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La bad bank est un mécanisme pour redistribuer la richesse du pays depuis les contribuables vers les actionnaires, les directeurs, les travailleurs et les créanciers des entités financières. Des institutions financières qui ont investi là où il ne fallait pas et qui ont été capables de convaincre les politiciens d’acheter à des prix gonflés leurs actifs toxiques.

Par Juan Ramón Rallo, depuis Madrid, Espagne

Nous ne savons que très peu de chose ou même rien du programme économique [du nouveau Premier ministre espagnol] Rajoy, si ce n’est, d’après ce qui a filtré, qu’il prétend créer une bad bank. C’est-à-dire, une autre bad bank, car apparemment le système financier espagnol doit en être plein.

Et qu’est-ce qu’une bad bank ? À la base, le gouvernement espagnol émet de la dette et achète à nos établissements tous leurs mauvais investissements, qui viennent s’accumuler dans un véhicule d’investissement appelé bad bank.

Vraisemblablement, et d’après ce qu’on nous dit, l’acquisition s’effectuerait avec un important décompte par rapport à la valeur réelle, de sorte que les contribuables pourraient même sortir gagnant sur le long terme. Par exemple, si des promoteurs doivent à un établissement financier €100 millions et que l’État acquiert ce prêt en échange de €70 millions, le gouvernement pourrait finir par empocher au bout de quelques années un bénéfice de €30 millions. Fantastique, non ? En fait, pas tellement. Demandez-vous pourquoi, si nous sommes devant une indubitable bonne affaire, l’institution financière en question désire se débarrasser d’un prêt, même avec une décote de 30% et, surtout, pourquoi aucun investisseur n’est disposé à acheter, à part l’État.

Je ne sais pas, peut-être est-ce parce qu’en réalité il ne s’agit pas d’une bonne affaire ? Supposez que les promoteurs ne paient pas leurs dettes, ce qui ne serait pas surprenant, et que l’institution financière ne peut toucher que le plancher acquis auprès de ces promoteurs et qui aujourd’hui, au point où on en est, n’a qu’une valeur de €10 millions. Résultat final de l’opération : l’État a payé €70 millions pour une poubelle qui en vaut seulement 10. Et qui a empoché la différence de 60 millions ? Clairement, l’institution financière qui a investi là où il ne fallait pas et qui a été capable de convaincre les politiciens d’acheter à des prix gonflés ses actifs toxiques.

Finalement, la bad bank est seulement un mécanisme pour redistribuer la richesse du pays depuis les contribuables vers les actionnaires, les directeurs, les travailleurs et les créanciers des entités financières. En Irlande, les contribuables ont dû apporter €50 milliards (plus de 30% du PIB) et, pour le moment, le véhicule financier cumule des pertes supérieures à €1,1 milliard ; c’est-à-dire… bien peu de gains. C’est la pure logique : si l’État est le seul acteur disposé à acheter ces actifs à des prix aussi démesurés, c’est parce que les actifs ne valent pas ce que le gouvernement va payer pour eux ; c’est parce qu’il s’agit d’un dispositif opaque élaboré pour transférer l’argent de la poche du contribuable vers les comptes de résultat du secteur financier.

On en trouvera pour argumenter, avec quelque raison, que dans ces moments, le marché est trop chahuté pour pouvoir attribuer des valeurs réalistes aux actifs des banques ; ce n’est pas tant que beaucoup d’organismes financiers ne veulent pas assainir leurs bilans en vendant leurs crédits toxiques avec un important décompte, mais bien le fait que s’ils le faisaient maintenant, le prix auquel ils pourraient placer leurs actifs serait si injustement bas qu’ils feraient immédiatement faillite. En d’autres termes, l’unique agent capable de garder la tête froide en ces temps troublés est le gouvernement, qui, loin de se laisser conduire par un prix irrationnel des actifs, est capable de calculer son authentique valeur à long terme et assainir notre système financier.

Le raisonnement, comme tous ceux réellement trompeurs, possède un brin de vérité. En effet, dans des moments comme aujourd’hui, beaucoup d’investisseurs, sauf ceux qui voient plus loin, n’ont pas trop envie de continuer à plomber leurs bilans d’actifs risqués à long terme, et, étant donné l’incertitude, ils préfèrent maintenir des positions aussi liquides que possible. Toutefois, je me limiterai à poser deux questions. Combien de temps s’est écoulé depuis le début de la crise financière ? Bien que ce soit une question controversée, tous coïncident pour dire qu’en octobre 2008, après la faillite de Lehman-Brothers, la crise avait déjà éclaté, de sorte qu’il s’est écoulé au moins trois ans. Deuxième question : durant ces trois années, les banques et les caisses d’épargne espagnoles n’ont-elles pas bénéficié d’un seul moment de calme pour vendre leurs actifs à des prix réalistes ?

Il est évident que oui, de sorte que l’on ne peut qu’en déduire que si elles ne l’ont pas fait c’était pour ne pas avoir à reconnaître leur authentique valeur dans leurs bilans ; et si elles ne veulent pas nous dire la vérité, c’est parce que, dans ce cas, elles feraient faillite. Il est évident que la bad bank que Rajoy a en projet n’achètera pas les actifs des banques et des caisses d’épargnes à des prix si bas qu’ils provoqueront leur faillite, raison pour laquelle le gouvernement du [Parti Populaire], s’il persiste dans ce projet barbare, paiera nécessairement des prix artificiellement élevés. Autrement dit, le gouvernement du PP appauvrira encore plus le contribuable pour nettoyer les bilans de caisses d’épargne et de banques contaminées par leur propre comportement.

Y a t-il une alternative à cette absurdité ? Oui, et je ne me réfère pas à l’idée de laisser les institutions financières faire faillite, puisque malheureusement, et comme conséquence de l’abandon de l’étalon-or, les moyens de paiement de nos sociétés sont pratiquement dans leur totalité des dépôts bancaires, de sorte que leur faillite provoquerait un effondrement total du système. L’alternative juste et pragmatique ne passe pas par le sauvetage de ces institutions financières avec l’argent des contribuables, mais bien avec celui des créanciers.

Une entreprise fait faillite lorsque la valeur de ses actifs est inférieure à celle de ses passifs. Dans ce cas, les créanciers ne peuvent récupérer tout ce qu’ils ont prêté par la simple réalisation de ses actifs. Mais, de manière logique, cette même société peut sortir de cette situation de banqueroute en transformant en actions une partie de l’argent qu’elle doit à ses créanciers. Par exemple, si une entreprise possède des actifs évalués à €95 et des dettes pour €100, elle pourrait payer €10 de ceux qu’elle doit à ses créanciers en leur remettant des actions d’une valeur nominale de €5 : la compagnie serait ainsi immédiatement recapitalisée (elle devrait €90 et aurait €5 euros de patrimoine net). Ce type d’opération est à l’ordre du jour dans le monde commercial et est connue comme une capitalisation de dette.

D’après ce qui a filtré, le PP prétend injecter jusqu’à €150 milliards des contribuables dans le système financier grâce à l’argutie de la bad bank. Pourtant, il suffirait que nous transformions en actions la dette toxique de nos institutions financières, 20% de leur dette garantie et 5 % des dépôts à terme (c’est-à-dire que les paiements des intérêts à un ou deux ans ne s’effectueront pas en espèces, mais en actions), pour que le système financier espagnol se recapitalise à hauteur de €200 milliards. Et le tout, sans mettre un seul euro du contribuable et en redistribuant les droits de propriété sur les actifs bancaires d’une manière absolument juste : les contribuables n’ont pas à s’en charger, puisque comme contribuables, ils n’ont rien à voir avec les institutions financières, contrairement aux créanciers (ces personnes qui ont fait suffisamment confiance aux institutions pour leur prêter leur argent). Bien sûr, nous parlons des valeurs moyennes pour l’ensemble du système financier, de sorte que, pour les institutions les plus insolvables, la conversion sera plus importante, mais il est parfaitement sensé que la pénalisation (l’échange de dette contre des actions à la valeur fluctuante) soit proportionnelle à la taille de l’escroquerie.

Par conséquent, pourquoi ne pas utiliser ce schéma pour le secteur financier espagnol ? Pourquoi augmenter encore la dette de notre secteur public en des moments où nous devrions la réduire? Pourquoi faire porter aux contribuables qui ont déjà leurs propres problèmes de dette privée le coût des erreurs des autres ? Difficile à dire, ce doit probablement être un mélange de myopie politique, de manque de respect pour la propriété privée et de pusillanimité face à l’heure d’affronter certaines oligarchies économiques. Toutefois, à mon avis, il y a une autre puissante raison pour que le Parti populaire n’envisage pas cette option : l’Allemagne.

Nous, Espagnols, devons presque €200 milliards aux banques allemandes, en grande partie pour les prêts qu’ils nous ont accordés pour financer la bulle immobilière. Si une partie de la dette des banques et des caisses d’épargnes était transformée en actions, les banques allemandes, au lieu de percevoir religieusement chaque euro dû, deviendraient propriétaires d’institutions financières qu’elles n’ont probablement aucun intérêt à posséder. C’est ce qui est arrivé aux trois quarts avec l’Irlande, où les citoyens et les entreprises devaient €140 milliards aux banques allemandes : comme on le sait, il fut enjoint au gouvernement irlandais de créer une bad bank.

En général, je suis entièrement compréhensif avec les plaintes et les revendications des Allemands. Ils nous ont prêté de l’argent qu’ils veulent récupérer, et nous, si nous sommes responsables, devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le leur rendre. Mais l’Allemagne devrait aussi être consciente qu’il ne sera pas possible de rembourser tout ce qui nous lui devons à moins qu’elle nous refinance durant un certain temps ou – et c’est son option préférée – que nous socialisons les pertes. La première voie reste à sa discrétion (la capitalisation de dettes serait une manière de nous refinancer) ; la deuxième reste à la nôtre… et nous devrions refuser catégoriquement. Il ne s’agit pas de nous « argentiniser » et de nous draper dans notre orgueil, mais que les banques allemandes assument la responsabilité au moment de digérer le trou qu’elles ont contribué à creuser : s’il est injuste et contreproductif que le contribuable allemand couvre les gaspillages des hommes politiques espagnols – motif pour lequel les politiciens espagnols devraient immédiatement équilibrer recettes et dépenses –, il est aussi injuste que le contribuable espagnol couvre les erreurs des banquiers espagnols… et allemands.

On dit que Rajoy accordera autant d’importance à la politique étrangère qu’à l’économie en vue de réussir le redressement. L’idée me paraît absurde, puisqu’il ne s’agit pas de venir nous sauver de l’extérieur, mais bien que nous recommencions à créer la richesse de l’intérieur. Mais le Galicien a bien quelque chose de très important à négocier, ou, au moins, quelque chose de très important pour laquelle se battre : la bad bank serait une très mauvaise idée, quand bien même elle est défendue de manière intéressée par les banquiers et les politiciens d’ici et là.

—-
Traduit de l’espagnol.

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